Le Mali annonce son retrait de l’organisation régionale G5 Sahel. Bamako proteste contre le refus d’autres pays membres de le laisser présider l’organisation, chargée notamment de la lutte contre le djihadisme.
La junte malienne au pouvoir s’avère pourtant incapable de repousser l’avancée des djihadistes dans le cercle de Niono, au coeur de la région de Ségou à quelques centaines de kilomètres de Bamoko.
Une enquête d’Olivier Duris
Alors que le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga déplorait que la France avait empêché l’armée malienne de se réimplanter à Kidal, une vidéo d’une minute et quatre secondes apparaissait sur les réseaux sociaux. Aux pieds d’une dizaine d’hommes vêtus de boubous bleu ou vert, les corps de huit personnes, dont un enfant, sont allongés à même le sol. Huit cadavres recouverts de tissus pour masquer l’horreur.
Certains d’entre eux ont été égorgés. Pour le prouver, un homme soulève le châle dont est recouvert le corps de l’enfant et montre sa gorge déchirée et en sang. L’enfant avait sept ans selon des sources villageoises. Le plus vieux des adultes, 99 ans.
Selon plusieurs témoins, le massacre s’est déroulé le 25 octobre dans le village de N’Dola, situé à quelques kilomètres de Niono, dans la région de Ségou. Et ses auteurs ne seraient ni les djihadistes, ni les dozos (les chasseurs traditionnels) organisés en milices, mais les soldats de l’armée malienne. Cité par l’ONG Human rights watch (HRW), un villageois qui dit avoir aidé à enterrer les morts affirme qu’ils ont tous été exécutés par les Fama (Forces armées maliennes). « Nous avons trouvé cinq corps à environ deux kilomètres du village, près du pont », a-t-il déclaré à l’ONG, selon laquelle les victimes avaient les yeux bandés et plusieurs d’entre elles avaient la gorge tranchée. Des sources locales ont confirmé cette version à Mondafrique.
Le gouvernement, par la voix d’un de ses porte-paroles, a admis qu’une opération anti-terroriste avait bien eu lieu ce jour-là dans cette zone, et que les Forces maliennes (Fama)avaient procédé à l’arrestation de « 14 suspects ». Mais il a rejeté les accusations d’exécutions extra-judiciaires.
À deux heures de route de Bamako
Ce n’est pas la première fois que l’armée malienne est accusée d’avoir perpétré un massacre. Ces dernières années, elles a régulièrement été épinglée par des associations maliennes, mais aussi par des ONG internationales telles que HRW, la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) et Amnesty international, et même par la division des droits de l’Homme de la Minusma (la mission onusienne). Mais la tuerie de N’Dola – qu’elle ait été commise par les Fama ou pas – marque une étape importante : elle démontre l’incapacité des autorités à assurer la sécurité dans une région qui était jusqu’il y a peu relativement épargnée par les violences, et qui se trouve à deux heures de route seulement de Bamako.
Comme le constate HRW, « depuis la fin de l’année 2020, la région de Ségou est secouée par des affrontements entre les combattants d’Al-Qaida de la Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin (JNIM) d’une part, et l’armée qui est parfois soutenue par des groupes d’autodéfense dont les membres sont connus sous le nom de Dozos, d’autre part ».
En réalité, avant cette opération à N’Dola, l’armée ne jouait plus vraiment de rôle ces derniers temps dans la zone. Plusieurs habitants des communes les plus reculées affirment que cela fait des mois, voire des années pour certains, qu’ils n’ont pas vu passer un soldat. Les seuls hommes armés qu’ils croisent sont soit des djihadistes, soit des dozos. Des habitants de la ville de Niono confirment, quant à eux, que les Fama restent la plupart du temps cantonnés dans leur camp. Ceux de Diabaly et Nampalari racontent la même chose : des soldats terrés dans leur base, qui ne répondent pas aux appels aux secours des populations et ne mènent quasiment plus de patrouilles.
Sept « cercles » tenus par les djihadistes
Aujourd’hui, selon plusieurs sources locales, sur les sept cercles (l’équivalent des départements en France) que compte la région de Ségou, cinq sont en partie contrôlés par les combattants de la katiba Macina, dirigée par Amadou Koufa et affiliée au Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM ou encore en arabe JNIM) du désormais fameux Yad Ag Ghali. Dans ces localités, les écoles ont parfois été fermées de force, et des règles ont été imposées aux habitants : aucune collaboration avec l’État, interdiction pour les femmes de sortir du village non accompagnées par un homme et non vêtues d’un hijab, interdiction pour les dozos de porter une arme, interdiction d’organiser des fêtes… Ceux qui ne se plient pas à ces règles sont sévèrement punis. Et ceux qui tentent de résister, en collaborant avec les forces de sécurité ou avec les milices dozos, sont tués.
« Tout est allé très vite. Il y a deux ans, on sentait que la menace était là, mais personne n’aurait pu prédire une perte de contrôle aussi rapide », se désole un élu de la commune de Dogofry (cercle de Niono) sous couvert d’anonymat. Comme d’autres élus, ce dernier a fui son village est s’est réfugié dans une grande ville dont il préfère taire le nom. « Tout le monde a peur de tout le monde aujourd’hui, explique-t-il. On ne sait plus qui est qui, même au sein de nos familles ».
Au coeur des réserves de riz
Jusqu’à mi-2020, la région de Ségou était restée à l’écart des violences que l’on peut observer depuis plusieurs années dans la région voisine de Mopti. Aujourd’hui, elle est devenue le sujet d’inquiétude numéro 1 à Bamako : parce qu’elle se trouve tout près de la capitale, à quelques heures de route, mais aussi parce que c’est dans cette région, et notamment dans le cercle de Niono, que l’on produit le riz qui nourrit de nombreuses familles maliennes. « Dans l’histoire récente du Mali, l’Office du Niger joue un rôle primordial en matière de sécurité alimentaire. C’est une zone irriguée particulièrement propice à l’agriculture. Or c’est justement dans cette zone que se concentrent la plupart des combats », déplore un chef traditionnel originaire de la zone qui s’est réfugié à Bamako.
La situation est devenue critique au cours du second semestre de l’année dernière, lorsque des djihadistes qui étaient auparavant actifs dans le Macina (région de Mopti) ont commencé à affluer en nombre dans la zone et à imposer leurs règles. On ignore les raisons de ce mouvement. S’agit-il d’une volonté d’étendre leur influence, maintenant qu’ils maîtrisent en grande partie le Macina ? Est-ce une stratégie visant à contrôler la région de l’Office du Niger et ainsi à sevrer la capitale en produits alimentaires ? Ont-ils tout simplement répondu à l’appel de quelques éleveurs en conflit avec des agriculteurs, comme cela arrive souvent dans cette zone ? Toujours est-il qu’ils ont très vite imposé leur joug à des dizaines de localités : assassinats ciblés, enlèvements, etc.
Dès le début, l’armée a été impuissante. En conséquence de quoi les dozos de la zone, aidés de villageois, se sont organisés en milices d’auto-défense. Mais avec leurs fusils de chasse traditionnels, ils ne faisaient pas le poids. Ils ont donc appelé à l’aide les dozos du Macina, plus aguerris et mieux armés (ils disposent notamment de fusils de guerre), qui ont à leur tour afflué en nombre. Des camps (sommaires) de dozos ont été construits : on en dénombre trois principaux à Bouyagui Were, B3 et Dogofry. Des barrages ont été érigés sur les principaux axes. Et des groupes se sont constitués dans de nombreux villages.
Mais eux aussi se sont rendus coupables d’exactions contre les civils. Les Peuls de la zone les accusent d’avoir enlevé et tué nombre d’entre eux – car pour eux comme pour nombre de militaires, un Peul est forcément un complice des djihadistes. En l’absence de l’État, ils ont en outre commencé à faire la police et même à rendre la justice. Plusieurs témoins ont raconté à Mondafrique avoir subi des tortures de la part des dozos suite à une plainte déposée contre eux par d’autres habitants – d’abord pour qu’ils « avouent » leur faute, ensuite en guise de châtiment. En outre, ils imposent aux populations sédentaires des recrutements forcés. « Quand ils viennent dans un village, ils exigent que chaque famille fournisse un membre pour venir se battre. Si la famille refuse, elle doit payer une amende de plusieurs dizaines de milliers de francs CFA », explique un habitant de Dogofry.
Comme dans la région de Mopti, les civils sont ainsi pris entre deux feux. D’un côté les djihadistes qui veulent leur imposer leur loi. De l’autre les dozos qui, au nom de la « sécurisation » de la zone, ont eux aussi mis en place une domination par la violence.
De véritables batailles rangées
Depuis un an, on se trouve ainsi dans une situation de guerre totale entre dozos et djihadistes, qui se traduit, parfois, par de véritables batailles rangées, mais aussi par des blocus. C’est ce qui est arrivé notamment aux habitants de Farabougou : depuis plus d’un an, ils sont interdits de sortir de leur village et d’aller cultiver leurs champs situés à quelques kilomètres.
Ce blocus a été abondamment relaté dans la presse. À l’origin, la présence dans ce village de dozos qui auraient participé à une expédition punitive contre un Peul. Les djihadistes ont alors exigé que les « coupables » se rendent, ou que le village les dénonce. Les villageois ont refusé. Les djihadistes ont alors entouré le village et ont empêché quiconque d’en sortir. Le blocus, qui a débuté en octobre 2020, a duré plusieurs mois, jusqu’en mars 2021, lorsqu’un accord a été signé entre les dozos et les djihadistes – mais celui-ci n’a pas tenu longtemps, et le village est à nouveau soumis à un blocus aujourd’hui. « C’est un enfer. On ne peut pas cultiver nos champs, on n’a plus rien à manger, et ceux qui doivent subir des soins de santé sont bloqués », se désole un habitant de Farabougou qui a réussi à sortir du village pendant la trêve du mois de mai.
D’autres villages ont été encerclés et leurs habitants interdits de sortir. Plusieurs accords ont été signés, mais la plupart n’ont pas tenu longtemps. Par ailleurs, comme le fait remarquer l’élu du cercle de Niono déjà cité, « il ne s’agit pas vraiment d’accords, il s’agit plutôt de soumissions aux règles des djihadistes ». En échange de la liberté de se déplacer et de cultiver, ces derniers imposent en effet une série de règles strictes.
Dans ce contexte très tendu, l’État semble impuissant. Les fonctionnaires sont fui la zone. Seuls les services de santé continuent à fonctionner – avec l’autorisation des djihadistes. Les autorités publiques ne prennent même pas en charge les nombreux déplacés internes qui ont fuit les violences et se sont réfugiés à Niono, à Ségou ou à Bamako. « Quand on est arrivé ici, on n’a rien eu, déplore un déplacé rencontré à Ségou. On nous a conduit dans une école, un mécène nous a livré quelques tonnes de riz, et depuis, plus rien. Personne de l’État n’est venu nous voir. Nous sommes entassés dans des classes sans rien. Certains d’entre nous sont vieux, d’autres sont souffrants. On a tout perdu : notre maison, notre bétail. Et personne ne nous vient en aide ».
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