Voilà près d’une semaine que Soumeylou Boubèye Maïga (SBM), l’ancien Premier ministre qui aura été au coeur du pouvoir malien depuis trois décennies, croupit en prison, mis en cause dans un dossiers d’achat d’un avion présidentiel et dans des détournements de fournitures militaires. À l’ombre des agissements du parrain corse, Michel Tomi, grand ami de l’ancien président IBK!
Une enquête de David Poteaux
Plusieurs fois ministre ces vingt dernières années et patron des services de renseignements dans les années 1990, Soumeylou Boubèye Maïga (SBM) a été écroué le 26 août, dans le cadre de deux affaires de gros sous qui avaient fait grand bruit en 2014, alors qu’il était le ministre de la Défense du premier gouvernement d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) devenu Président de la République: l’acquisition de l’avion présidentiel et la commande de fournitures militaires. Une autre ministre de l’époque a également été placée sous mandat de dépôt, Bouaré Fily Sissoko, alors à la tête du ministère de l’Economie et des Finances.
Ces deux affaires avaient provoqué l’ire des partenaires du Mali, notamment le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, qui avaient provisoirement gelé leur appui budgétaire. « Le problème principal de ces deux transactions, c’est qu’elles ont eu lieu hors budget », expliquait à l’époque Anton Op de Beke, le représentant du FMI à Bamako. Un autre représentant du Fonds s’interrogeait quant à lui sur « la pertinence » de telles dépenses.
Des audits enterrés
Pour calmer les bailleurs, le régime IBK avait promis de diligenter des enquêtes indépendantes. L’une d’elles avait été menée par le Bureau du vérificateur général (BVG), une institution publique qui n’a aucun pouvoir, si ce n’est celui de mener des investigations. Publié en octobre 2014, le rapport du BVG consacré à l’acquisition de l’aéronef présidentiel et à la « fourniture de matériels d’équipement, de couchage, de campement et d’alimentation, ainsi que de véhicules et de pièces de rechange » – le tout pour un total de près de 88 milliards de francs CFA (soit plus de 130 millions d’euros) – était gratiné. Les enquêteurs avaient relevé un grand nombre d’entorses à la légalité. Il y était question de détournements de fonds, de fraude fiscale ou encore de favoritisme.
Un autre audit, mené celui-ci par la Cour d’appel de Bamako (voir ci dessus), et publié dans l’instant, était arrivé à une conclusion similaire, quoique moins tranchée. Les auteurs du rapport avaient évoqué la violation de certains textes réglementaires.
Mais comme souvent, ces audits ont vite été enterrés. En 2018, l’affaire a été classée par le Parquet. Dans l’avis de « classement sans suite » consulté par Mondafrique, le procureur de la Cour d’appel rejette toutes les accusations. Les infractions au règlement ? « Inopérantes ». Le détournement de fonds publics ? « Sans objet ». Les fraudes fiscales ? « Pas caractérisées ». Le régime de transition dirigé par le colonel putschiste Assimi Goïta a malgré tout décidé de relancer les investigations. L’enjeu est double : donner à la population des gages de bonne gouvernance en réactivant les enquêtes judiciaires liés à la corruption, mais aussi se débarrasser de potentiels adversaires politiques en vue de la prochaine élection présidentielle.
Remugles de la Françafrique
Si le volet « achat de fournitures militaires » sent le souffre et laisse penser à de possibles détournements de fonds, celui concernant l’avion relève d’une tout autre dimension, en raison notamment d’un personnage sulfureux qui se trouve au coeur de cette opération : l’homme d’affaires français Michel Tomi.
Celui qui a fait fortune en Afrique centrale dans les jeux et les paris sportifs et qui tutoyait Charles Pasua, était à l’époque considéré par des sources policières françaises comme « le dernier des parrains » du milieu corse. Ce n’est pas un perdreau de l’année. Il a été condamné dans la débacle du cabinet de Bandol en 1996 à un an de prison, une peine confirmée par la Cour de Cassation. Sa fille Marthe Mondolini fut longtemps la patronne du PMU gabonais.
Au cinéma, Michel Tomi et ses amis corses auraient excellé dans des rôles de mauvais garçons: de lourdes paupières, des lèvres épaisses et des visages figés. Leur impassibilité est traversée parfois par un éclair d’intelligence qu’en cCorse on baptise « la lueur du berger ». Autant dire la capacité de certains d’entre eux à se tirer avec leurs amis des situations les plus périlleuses
Or Michel Tomi est un ami personnel d’IBK depuis plusieurs années. Lorsque celui-ci arrive au pouvoir, Tomi le « cadeaute » régulièrement, ainsi que l’ont démontré des écoutes téléphoniques dévoilées par Mediapart en 2015.
Lorsque IBK cherche un nouvel avion pour effectuer ses déplacements internationaux, quelques semaines seulement après sa prise de pouvoir en septembre 2013, c’est vers Michel Tomi qu’il se tourne. Selon un membre du gouvernement de l’époque, ce serait ce dernier lui-même qui l’aurait convaincu d’acheter un nouvel avion. Il est vrai que la location d’un appareil à chacun des déplacements du président engendrait des coûts importants.
Un pilote dans l’avion: Michel Tomi
Tomi le Corse a un faible pour l’aviation puisque propriétaire d’Afrijet Business Service, une compagnie aérienne basée à Libreville – et tant qu’à faire, autant qu’il s’en occupe lui-même. Celui qui entame les démarches via la société « Sky Colour », basée à Hong Kong, et qui a obtenu de Bamako un mandat de recherche exclusif fin 2013, n’est autre que Marc Gaffajoli, le dirigeant d’Afrijet.
Lequel Gaffajoli mène les opérations du début à la fin. Il recherche des avions en vente, les évalue, négocie leur prix. Dans un document adressé au ministre de la Défense de l’époque, Soumeylou Boubèye Maïga, et consulté par Mondafrique, le patron détaille le résultat de ses démarches. « Afin de mener à bien cette recherche, nous avons procédé par : la mise à disposition de notre réseau de 15 ans dans l’industrie de l’aviation d’affaires et notamment le club “BBJ” (club des propriétaires de BBJ fondé par Boeing), la consultation des brokers d’avions spécialisés sur le type, la consultation des sites internets dédiés. »
Selon Gaffjoli, la recherche n’est pas simple en raison d’un marché « restreint », d’un budget limité (le Mali a fixé la barre à 38 millions de dollars) et des besoins exprimés : un appareil ayant eu au maximum deux opérateurs auparavant, n’ayant jamais été accidenté, ayant un faible nombre d’heures de vol, disposant d’au moins 19 sièges (pour embarquer les ministres), mais aussi d’un « espace privatif de travail et de repos » et d’une cabine fonctionnelle.
Gaffajoli propose une « short list » de trois appareils, qui valent tous autour de 38 millions de dollars. Finalement, il jette son dévolu sur le BBJ 737-700 IGW 1999 appartenant à un privé australien/américain, et possédant 19 sièges. Prix demandé : 38,5 millions de dollars. Prix négocié (toujours pas Gaffajoli) : 36,75 millions de dollars, auxquels s’ajoutent, selon le rapport du BVG, près de 2,8 millions de dollars pour Sky Color : 2,137 millions au titre des frais de recherche, et 655.000 dollars pour tout un tas d’autres opérations – inspection technique, frais d’avocats, frais de déplacements aux Etats-Unis (41.000 euros tout de même), frais d’immatriculation, convoyage jusqu’à Bamako, maintenance, etc.
Pour le Vérificateur général, ce prix est « totalement en défaveur de l’acheteur ». « En outre, peut-on lire dans ce rapport, le Gouvernement s’est engagé dans le même mandat à prendre en charge : les frais d’expertise de l’appareil dès confirmation ; les frais inhérents à l’ouverture des moteurs ; les frais de déplacements du mandaté lors de l’expertise de l’appareil ; les frais d’assurance de l’appareil au sol et en vol ; les frais liés au vol de démonstration. Ainsi, à la conclusion du contrat, tous ces frais ont été supportés par le Gouvernement. Par conséquent, se pose la question de la pertinence et de la nécessité du recrutement de ce conseiller dont l’efficacité n’est nullement ressortie dans le processus. » Selon le BVG, « l’implication d’intermédiaires a grevé les coûts ».
Michel Tomi omniprésent
Interrogé il y a quelques années sur le sujet, SBM avait botté en touche : « Ce dossier a été géré directement par la présidence, je n’ai fait qu’apposer ma signature en tant que ministre de la Défense », avait-il affirmé en off. Questionné une première fois par le BVG, il avait nié toute responsabilité dans cette affaire et avait dirigé les enquêteurs vers le Premier ministre, le ministre en charge du Budget et surtout celui en charge des Investissements, Moustapha Ben Barka, qui « a conduit le processus de négociations avec le groupe d’intermédiaires ». Lors d’une seconde entrevue, il avait assuré que son ministère n’avait servi que « de couverture », et il avait à nouveau pointé du doigt Ben Barka, un « petit » d’IBK, membre de sa famille, qui faisait partie de son premier cercle au palais de Koulouba.
De fait, plusieurs sources affirment que le dossier a été géré entre la présidence et Michel Tomi. Celui-ci a d’ailleurs profité de sa proximité avec IBK pour introduire des investisseurs chinois au Mali, et aussi pour permettre à une société de sécurité privée française, Gallice security (devenue Gallice protection), d’assurer la formation des gardes du corps du président. Dans cette dernière opération, c’est Tomi lui-même qui avait avancé le montant du contrat, avant de se faire rembourser par l’État malien. Ce qui avait intrigué les juges français et valu une mise en examen au patron de Gallice, Frédéric Gallois, finalement blanchi.
Le procès pour corruption qui s’annonce contre l’ancien Premier ministre malien, qui apparait comme le bouc émissaire d’une corruption effectivement générale au sein de la classe politique, devrait d’abord être celui de l’ancien Président malien IBK et de son ami, l’ami Michel Tomi.
Voici un entretien que Mondafrique avait réalisé avec Soumeylou Boubèye Maïga en 2015
Soumeylou Boubèye Maïga : « au Mali, la menace terroriste se déplace vers le sud »