Les Maliens étaient appelés à élire leurs députés dimanche 19 avril. Sur fond de désaffection des citoyens qui se sont peu déplacés pour voter
Une chronique de Marc André Boisvert, chercheur indépendant
Avec 171 cas confirmés et 13 morts à la date du 17 avril, le Mali n’est pas devenu un foyer majeur de la pandémie, même si le gouvernement a imposé un couvre-feu et déclaré l’urgence sanitaire. Le report du scrutin était demandé par beaucoup en raison de la crise sanitaire. Mais le Président Ibrahim Boubacar Keita, surnommé IBK, avait fait valoir, de son côté, qu’il fallait maintenir les élections législatives plusieurs fois reportées depuis octobre 2018. Le Dialogue National Inclusif, qui a rassemblé plusieurs strates de la société malienne (société civile, chefs religieux, chefs traditionnels, politiques etc.) en avait décidé ainsi.
Le Covid-19 et l’insécurité peuvent partiellement expliquer la faible participation. Au premier tour, le 29 mars, un taux de participation de 35,58% a été enregistré. L’Assemblée nationale malienne semble, au cours des années, à ne pas avoir réussi à s’imposer auprès des électeurs.
Les clés pour comprendre le 1er tour
Le Covid-19 ne doit pas masquer les autres causes de la perte de légitimité de ces élections, largement apparues dès le premier tour.
Tout d’abord, l’enlèvement du chef de l’opposition SoumailaCissé et de sa délégation a créé une grande émotion, devenant le symbole de l’insécurité chronique qui règne désormais au Mali, surtout dans le Centre. Au-delà des inquiétudes pour sa personne, les électeurs ont dû affronter les menaces des terroristes et des groupes armées. Il est évident que certains électeurs sont restés chez eux à cause des menaces d’attaques, de représailles et d’engins explosifs improvisés sur les routes des bureaux de vote.
Malgré tout, les résultats du premier tour du 29 mars ne sont pas si mauvais sur le papier, avec l’un des taux de participation les plus élevés de l’histoire du Mali à des élections législatives : à 38%. En 2007, les dernières élections législatives avant la crise de 2012, le taux de participation avait culminé à 33,39%. Ce n’était pas le plus mauvais depuis l’avènement de la démocratie en 1991 car le taux de participation aux élections de 1997 n’avait pas dépassé 21,47%, les leaders de l’opposition ayant appelé au boycott des deuxièmes élections législatives nationales. Il est difficile de savoir aujourd’hui s’il faut analyser la faiblesse relative du taux de participation à la lumière de l’insécurité ou de la pandémie.
Malgré plusieurs accusations de fraude, les taux de participation les plus élevés ont été enregistrés dans les trois régions du Nord où le conflit est apparu : Kidal, Tombouctou et Gao. Dans ces régions, certains parlementaires ont recueilli plus de 90% des voix. Les taux les plus bas continuent d’être relevés à Bamako, qui a toujours moins voté que le reste du pays, avec une moyenne de 12,5%. L’insécurité n’y est pourtant pas un enjeu.
Ces chiffres ne sont pas une surprise. Ils confirment le désintérêt des électeurs maliens pour leur assemblée législative. Sur ce plan, le Mali est l’exemple type d’un Etat cultivant une apparence démocratique à travers un rendez-vous électoral mais se refusant à regarder les questions de légitimité et de représentativité de l’institution.
L’héritage de la politique du consensus
La crise de 2012, qui a coûté des centaines de vies, a brisé le mythe d’un Mali exemplaire dans sa transition démocratique : la fragilité du pays est devenue flagrante. Elle a aussi révélé les faiblesses institutionnelles du processus législatif.
Quand le Président Amadou Toumani Touré a été élu en 2002 sans être le candidat officiel d’un parti, il était en capacité de sortir la politique malienne de l’impasse, à un moment où le pays était en train de créer des partis représentatifs de divers intérêts. Mais il laissa en héritage une politique de l’extrême consensus, où les partis n’avaient plus besoin de développer des plateformes différentes puisque les principales figures politiques venaient toutes de la constellation ADEMA-PASJ, le mouvement au centre de la démocratisation de 1991. Aussi bien le leader de l’opposition, Soumaila Cissé, que le Président Ibrahim Boubacar Keita ont commencé leur carrière dans ce mouvement. Progressivement, les partis se sont vidés de leur contenu et les programmes sont devenus difficiles à distinguer au-delà des personnalités des leaders.
L’élection de 2013 fut le début d’une nouvelle dynamique, l’ADEMA-PASJ étant relégué à la 3e place de l’Assemblée nationale, le pire score de son histoire. Cela aurait pu susciter des changements dans les partis politiques. Mais il n’en fut rien.
J’assistai à la séance d’investiture de l’Assemblée issue des élections législative de 2013. J’ai été surpris de constater que les députés ne se déplaçaient pas en formation groupée, y compris les nouvelles recrues. J’ai été le témoin d’une camaraderie jamais vue auparavant. Je n’ai pas pu distinguer, au seul spectacle des mouvements des personnes, une dynamique d’affiliation à des partis. A ce moment-là, j’ai imaginé que le parlement pourrait être un espace où les lignes politiques n’empêcheraient pas les débats.
Pour la première fois dans l’histoire parlementaire du Mali, l’Assemblée Nationale avait un leader officiel de l’opposition,Soumaila Cissé ; cela pouvait préfigurer un progrès majeur en direction d’une expression plus organisée des voix de l’opposition dans le débat législatif. Mais il n’en fut rien.
Malgré son nom, le Rassemblement pour le Mali au pouvoir a globalement ignoré le débat et l’Assemblée nationale s’est contentée d’être la chambre d’enregistrement des décisions prises par le Président.
Cela ne devrait pas changer avec la nouvelle élection. Au Nord, la plupart des députés élus dès le premier tour appartiennent au parti du Président IBK. Parmi eux, Mohamed Ould Mataly, qui fait l’objet de sanctions des Nations unies depuis 2019, vient d’être réélu pour une deuxième mandature sous l’étiquette du RPM.
Au Centre et au Sud, on observe une tendance différente. Lors des précédentes élections législatives, le RPM fut élu à travers une large coalition avec l’URD ou l’historique ADEMA-PASJ, parfois même les deux. La tendance semble pouvoir s’appliquer aux premiers résultats de l’élection de cette année.
Dans ces régions, les partis politiques ont peu de sens et l’héritage du consensus extrême bâti pendant l’ère d’Amadou Toumani Touré est encore très fort.
Une Assemblée nationale en quête d’identité
La crise de légitimité ne vient pas seulement des partis politiques mais aussi de l’incapacité à renforcer le processus démocratique démontrée par l’Assemblée nationale. Une commission parlementaire sur la défense pourrait, par exemple, contribuer au renforcement des relations civilo-militaires. En temps de conflit, elle pourrait permettre au pouvoir législatif de superviser un processus compliqué, tout en vérifiant que la part toujours croissante du budget national consacré à la sécurité est bien employée.
Jusqu’ici, la commission défense de l’Assemblée n’a rien fait de tout cela. Son président, Karim Keita, fils du Président de la République, s’est surtout fait remarquer pour ses apparitions en tant qu’invité dans des événements militaires ou par les publications, sur les réseaux sociaux, de photographies prisesavec des soldats. Ce n’est pas forcément négatif en soi : soutenir le moral des troupes et construire des relations plus fortes avec les forces armées est un progrès significatif par rapport aux régimes précédents qui avaient tendance à tourner le dos aux forces de sécurité depuis la démocratisation. Avant 2013, la commission défense était invisible.
Mais cette commission dynamisée a été une opportunité manquée de démocratiser la politique de défense, dans la mesure où son rôle a surtout consisté à estampiller les décisions du Président plutôt qu’à élargir le débat.
Il en est allé de même pour les commissions moins visibles, qui supervisent d’importantes réformes : la commission des finances, la commission de l’administration territoriale et de la décentralisation, etc.
Parallèlement, l’Assemblée nationale est restée en dehors du processus de paix, votant, surtout, favorablement, sur tout ce qui venait du gouvernement. Elle a échoué à devenir unrouage significatif de la résolution de la crise et à appuyer un débat national. Certains parlementaires ont pu porter la voix de leurs administrés, surtout dans le Centre, alors que les communautés se tournaient l’une vers l’autre. Mais il aurait fallu que leur contribution dépasse les murs de l’institution pour être significative.
Le dialogue national inclusif de 2019 est devenu un autre exemple de l’incapacité de l’Assemblée nationale à jouer un rôle. Ce n’était pas la première fois de l’histoire du Mali qu’un tel rassemblement était organisé pour susciter un progrès consensuel et politique, et mettre fin à une crise. Mais la reproduction constante de ce modèle montre l’échec de l’institution législative. Chaque fois qu’il y a une opportunité de construire une Assemblée nationale plus robuste et plus forte, les hommes politiques maliens choisissent de ne pas la saisir.
Le vrai débat ne devrait pas porter sur le taux de participation aux élections mais plutôt sur les moyens de permettre au Mali de trouver enfin une utilité à son Assemblée nationale.
Je m’inquiète de ce que le maintien des élections coûte des vies, autant à cause du Covid-19 que de la violence. Mais je m’inquiète aussi de ce que les députés échouent à représenter les administrés. Les Maliens ont déjà la conviction que le processus est entaché par la fraude et l’achat de conscience et bien petite est leur confiance en leurs représentants.
Depuis 2013, les Maliens sont sortis dans la rue à plusieurs reprises pour exprimer leur mécontentement contre le gouvernement et la présence des forces étrangères. Mais ces préoccupations sont ignorées par les membres de l’Assemblée nationale. Là encore, l’élection législative en cours n’y changera rien.
Quand les résultats finaux seront publiés, la question ne sera pas de savoir combien de Maliens ont voté, mais plutôt quel est le sens de ce vote.
Marc-André Boisvert est chercheur indépendant et consultant sur les questions de sécurité et de gouvernance au Sahel. Après plus d’une décennie dans la région en tant que journaliste, il est désormais chercheur affilié à l’Université d’East Anglia, en Grande-Bretagne.