« Quand j’ai publié mon livre « La vérité sur Tariq Ramadan » en 2007 (1), l’intéressé a fait savoir qu’il ne l’aimait pas du tout. Ce qui était son droit le plus strict. Mais il a prétendu qu’il ne m’avait jamais parlé, ce qui était un mensonge, d’autant plus grossier que je l’avais interviewé à plusieurs reprises dans la presse française et suisse. A la suite de la publication de cet ouvrage, de nombreuses jeunes femmes sont entrées en contact avec moi. Elles tenaient toutes le même discours : Tariq Ramadan n’était qu’un Tartuffe, qui tenait un discours rigoriste et puritain, alors qu’il menait joyeuse vie.
Loin de s’enfermer des heures dans des bibliothèques universitaires, il passait le plus clair de son temps en bonne compagnie. Toutes le décrivaient comme se moquant de l’islam en privé. L’une d’entre elles, Majda, m’avait rencontré à Paris en compagnie de Nicolas Beau, alors rédacteur en chef du site Bakchich aujourd’hui disparu. « Alors qu’il est marié et père de quatre enfants, il m’a demandé de m’épouser en me jurant qu’il était divorcé devant dieu et devant les hommes. Autrement, je ne l’ai jamais vu prier. Manger hallal ? “Hallal ou pas, ce n’est qu’un détail“, répétait-il », nous avait raconté cette jeune femme d’origine marocaine.
Avant de publier mon livre, je connaissais, bien évidemment, la réputation de dragueur de Tariq Ramadan, alors qu’il enseignait dans un collège à Genève les valeurs religieuses les plus réactionnaires. Mais je n’avais pas franchi la ligne jaune de mettre en contradiction sa vie privée avec ses préceptes publics.
Lucia Canovi,une agrégée de lettres qui vit à Alger, prend ce risque en publiant très prochainement un livre sur les incohérences et les duplicités de ce prédicateur doué dont l’écho est réel dans les banlieues françaises.
Ian Hamel
Ian Hamel. Vous annoncez sur votre page Facebook que vous écrivez un livre sur Tariq Ramadan, intitulé « Le double discours. Tariq Ramadan le jour, Tariq Ramadan la nuit », qui doit paraître en 2017. Pourquoi vous intéressez-vous à ce personnage ?
Lucia Canovi. L’une de mes toutes premières impressions de l’Islam est liée à un CD – une biographie du Prophète, que la paix soit sur lui, écrite par Yusuf Islam et lue par la belle voix de Tariq Ramadan. Au départ, je voyais donc l’islamologue suisse comme une figure très positive.
Puis, j’ai lu (ou plutôt, essayé de lire) quelques-uns de ses livres, qui m’ont déçu : style ampoulé, propos abstrait, déconnecté du réel… A cette époque, je n’en croyais pas moins que Tariq Ramadan était un musulman sincère. Quelques années plus tard, l’étape suivante a été franchie lorsqu’une musulmane croisée au Salon du Bourget m’a expliqué que Tariq Ramadan cherche à refondre l’Islam pour le rendre compatible avec les aspirations du Nouvel Ordre Mondial. Naturellement, je ne l’ai pas crue, mais ma curiosité a été piquée.
J’ai donc fait quelques recherches sur Internet, et découvert un petit pamphlet anonyme intitulé « Tariq Ramadan, cheval de Troie de la franc-maçonnerie ». L’auteur y prouve, citations à l’appui, que les idées de Tariq Ramadan sont relativistes et œcuméniques, et donc en total désaccord avec le message de l’Islam.
Je travaillais alors à l’écriture d’un livre, L’Islam au-delà des apparences, et j’en profitai pour ajouter un chapitre où je répondais aux principales idées de Ramadan, sans le désigner précisément. Je pensais alors qu’il fallait attaquer les idées sans nommer les personnes, mais je me suis aperçue par la suite que mes lecteurs ne m’avaient pas comprise, car ils ne faisaient pas du tout le lien avec Tariq Ramadan… Visiblement, je n’avais pas été assez claire.
En 2016, la sortie et le succès de son livre Génie de l’Islam m’ont donné envie de lire et d’étudier plus sérieusement Ramadan, cette fois-ci pour faire un livre entier sur ses hérésies et ses sophismes. Je me suis donc plongée dans ses ouvrages, et c’est là que j’ai commencé à saisir toute la subtilité et la perversité de sa rhétorique. Un certain passage sur le « philosophe-chasseur » pour qui la femme est « une étape dans le dépassement du corps » m’a interpellé.
D’autres passages ambigus renforçant mes soupçons, j’ai fait des recherches sur le Net, et c’est là que j’ai découvert le témoignage de Majda Laroussi, ainsi que ceux d’autres maîtresses de Tariq Ramadan. Un internaute m’a ensuite mis en relation avec une jeune musulmane qui a rassemblé de nombreuses preuves sur les aventures sordides de l’islamologue. C’est ainsi que j’ai eu, sans effort, accès à une véritable mine d’informations.
Ian Hamel. Le titre laisse clairement entendre que vous allez évoquer la vie privée de Tariq Ramadan. Ne craignez-vous pas qu’il vous fasse un procès ?
Lucia Canovi. Je le souhaite au contraire. Un procès sera l’occasion de faire enfin sortir au grand jour les témoignages et les informations choquantes qui ont été maintenus dans l’ombre jusqu’à aujourd’hui.
Ian Hamel. Plusieurs jeunes femmes ont déjà mis en cause la vie privée de Ramadan. Êtes-vous entrée en contact avec elles ?
Lucia Canovi. Oui. Parfois ce sont elles qui sont entrées en contact avec moi.
Ian Hamel. Vous devez aussi savoir que les personnes qui osent le critiquer, et plus particulièrement les musulmans, font l’objet de graves menaces. Mondafrique a déjà abordé ce sujet. N’avez-vous pas peur ?
Lucia Canovi. Suite aux vidéos que j’ai postées sur YouTube, vidéos centrées sur ses idées, j’ai d’abord reçu un long mail de Tariq Ramadan lui-même. Oui, me disait-il en substance, il n’est pas parfait, il fait des erreurs comme tout le monde, mais il faut les lui signaler en privé, pas en public, car dévoiler les défauts d’un frère n’est pas conforme aux enseignements de l’Islam… Ce mail plein d’onction et de douceur m’inquiéta un peu ; je craignais qu’il soit le prélude à des messages nettement moins amènes. Quelques semaines plus tard, conformément à mes craintes, je découvris dans ma boîte mail ce message anonyme :
« Madame Lucia Canovi,
Vous préparez un livre choc sur Tariq Ramadan. Vous dites aux éditeurs que vous allez mettre dévoilé ces perversités. Vous vous dites comme musulmane. Nous sommes en Algérie et en France. Continuez à faire votre travail qui consiste à critiquer, salir et remuer de la boue, et vous en subirez les conséquences avec votre familles et vos enfants. On laissera pas faire et on est près à tout. Occupez vous de vos affaires, s’est ce que dit l’islam. »
L’auteur de ce mail est très bien informé, puisque, effectivement, j’ai contacté de grands éditeurs parisiens en évoquant les perversités (c’est le mot que j’ai employé) de Tariq Ramadan. Autre point significatif : l’adresse mail du menaçant inconnu correspond au nom et au prénom d’une des jeunes femmes qui ont dénoncé Tariq Ramadan, le but étant, je suppose, de jeter la zizanie entre elle et moi en me donnant à penser contre toute vraisemblance que le message provient d’elle. Ce qui révèle là encore que l’auteur du mail est bien informé : il connaît le nom et le prénom de cette jeune femme et il sait (ou il se doute) que je suis en contact avec elle. J’ai par la suite reçu d’autres mails de menace en provenance de la même adresse mail.
Pour répondre plus précisément à votre question, oui j’ai eu peur au début, mais ça m’a passé. D’après une parole prophétique, « si tout le monde s’associait pour te faire du bien, ils ne pourront te faire que le bien que Dieu a déjà écrit pour toi, et sache que si tout le monde se coalisait pour te faire du mal, ils ne pourraient te faire que le mal que Dieu a déjà écrit pour toi ».
Ian Hamel. Qui est réellement Ramadan ? Un salafiste ou un businessman qui a fait de l’islam son fonds de commerce ? Ou peut-être les deux à la fois?
Lucia Canovi. Tariq Ramadan est le contraire d’un salafiste. Les salafistes sont des musulmans à la fois sincères et égarés qui s’imaginent que pour se rapprocher de Dieu il faut renoncer à réfléchir. De toute évidence, Tariq Ramadan n’a pas renoncé à se servir de ses facultés intellectuelles, et de toute évidence aussi (du moins quand on a lu attentivement ses livres et que l’on connaît un peu sa vie privée), sa foi n’a pas plus d’épaisseur qu’une très fine couche de vernis. N’ayant pas les capacités physiques pour devenir une star du foot, il ne lui restait plus que l’Islam et son grand-père martyr (2), pour atteindre la gloire.
C’est faute de mieux qu’il est devenu un « grand intellectuel musulman ». Cependant à mes yeux, Tariq Ramadan n’est pas exactement un businessman, car il n’est pas productif, il ne crée rien, à part des sophismes qui égarent. À la lumière des témoignages sur sa vie privée et de ses propres propos, je le vois comme un homme obsédé par le sexe et le pouvoir, mais aussi comme un homme tourmenté. Ses choix de vie ne l’ont pas rendu heureux, ce qui ressort de ses livres.
Sa duplicité s’est retournée contre lui ; il souffre de se sentir divisé et rêve de se réconcilier avec lui-même. Mais c’est impossible, car pour cela il faudrait qu’il renonce à ses faux-semblants. Je lui souhaite de se repentir et de se purifier, mais je ne crois pas deux secondes qu’il le fera. Il est allé beaucoup trop loin dans le mauvais sens pour faire marche arrière. Il a fait trop de mal à trop de gens.
Ian Hamel. Êtes-vous entrée en contact avec lui ?
Lucia Canovi. Non, c’est lui qui est entré en contact avec moi pour me dissuader de continuer mon travail sur lui, en douceur dans un premier temps, puis dans un second temps en me lançant sur un ton de mépris de très vagues menaces. Je ne lui ai jamais répondu.
Ian Hamel. Qui êtes-vous et quel est votre parcours ? On sait grâce à votre page Facebook que vous avez été enseignante à Toulouse de lettres modernes et que vous habitez aujourd’hui à Constantine, en Algérie.
Lucia Canovi. Je suis née à Toulouse dans une famille d’universitaires. J’ai suivi des études de lettres modernes où mon goût m’a porté vers deux domaines étroitement liés : l’étude des idées et celle des procédés stylistiques et rhétoriques qui permettent de les exprimer d’une manière persuasive. Mon mémoire de Maîtrise eut pour sujet l’ironie chez Montaigne, penseur indépendant et non-conformiste, et mon mémoire de DEA porta sur le style et les idées de Marie de Gournay, fille d’alliance de Montaigne et philosophe rigoureuse pour son propre compte.
Pendant ma jeunesse, j’ai aussi été lauréate de six prix littéraires. Étant passionnée par mes études et libre de m’y consacrer entièrement, j’ai obtenu la mention très bien à mon mémoire de Maîtrise et la mention très bien assortie des félicitations du jury à mon mémoire DEA ; j’ai remporté aussi dès la première tentative le concours de l’agrégation de lettres modernes. Sur ma lancée, j’ai commencé ensuite une thèse qu’une douloureuse crise existentielle et sentimentale interrompit ; je ne l’ai jamais achevée.
À la suite de cette crise, en 2005, pour la première fois de ma vie, je me tourne vers Dieu pour implorer son aide. Presque immédiatement, Il me guide vers mon mari et l’Islam, le premier me présentant le second.
Suite à mon mariage et à ma conversion, ma vie change du tout au tout. J’abandonne l’enseignement qui ne m’a jamais convenu et me consacre à la recherche dans toutes sortes de domaines – dont le développement personnel, la psychologie, l’histoire, le féminisme, les sciences, la philosophie – ainsi qu’à l’écriture, ma vocation première. J’écris un premier livre ; puis, une trentaine d’autres, que je publie sur Internet. Mon mari (qui est algérien) me soutient dans tous mes projets, qui sont aussi les siens.
En 2013, je le convainc qu’il est temps de quitter la France pour l’Algérie. Il aurait préféré attendre encore un peu pour des raisons financières, mais je sens que nous n’avons pas d’avenir en France, où l’islamophobie est de plus en plus présente.
En Algérie, je prends petit à petit conscience que les musulmans de France sont prisonniers d’un carcan idéologique qui les oriente soit vers le salafisme, autrement dit l’islam pour les nuls, soit vers le modernisme, autrement dit l’islam ramadanisé.
Ian Hamel. Pouvez-vous nous parler de votre foi ?
Lucia Canovi. Quand j’ai découvert l’islam, j’étais plongée et même noyée dans l’idéologie du Nouvel-âge. Je croyais à la réincarnation, j’admirais Eckhart Tolle, je m’imaginais qu’il fallait lutter contre son ego pour atteindre l’illumination… Toutes ces idées (et les mauvais choix que j’avais faits sous leur influence) avaient complètement saboté mon intelligence et détruit ma logique. J’étais littéralement abrutie. J’avais aussi perdu toute dignité. Grâce à l’islam, j’ai petit à petit récupéré toutes mes facultés intellectuelles initiales, puis d’autres que je n’avais jamais eues. J’ai pu me reconstruire à neuf et retrouver ma fierté. L’Islam m’a donné une colonne vertébrale. Il m’a aussi donné un but noble, ambitieux et difficile qui me tire en avant : celui d’aider, guider, réconforter, encourager, éclairer et libérer un maximum de lecteurs.
D’après moi l’islam est un phare, un puissant projecteur qu’on peut braquer sur n’importe quel coin sombre pour découvrir ce qui s’y cache ; c’est aussi un tamis infaillible qui permet de faire le tri entre le bien et le mal, le vrai et le faux. Je regrette que beaucoup de musulmans se replient sur leur foi comme si elle était un médicament à usage exclusivement privé et intime, et se fient au discours officiel (celui que véhiculent l’école et les médias dominants) pour savoir quoi penser de tout le reste : forme et évolution de l’univers, origine de l’Homme, histoire de l’Humanité, nature des problèmes psychologiques, origine des conflits géopolitiques, solutions possibles, etc. Ils ne se rendent pas compte que l’Islam est une lumière pour comprendre le monde en même temps qu’une force pour le changer… Mais c’est un vaste sujet.
Merci de m’avoir donné l’opportunité de présenter un peu mon livre, que je compte terminer et publier le plus vite possible.
(1) Ian Hamel, « La vérité sur Tariq Ramadan. Sa famille, ses réseaux, sa stratégie », Editions Favre, 2007.
(2) Tariq Ramadan est le petit fils de l’égyptien Hassan el Bana, fondateur des Frères Musulmans