Le chef de l’Etat français , Emmanuel Macron, qui cherche à précipiter la formation d’un gouvernement au Liban pourrait recevoir à l’Elysée, outre Saad Hariri, le Premier ministre désigné, le très contesté Gebrane Bassil, le chef de la formation fondée par le président libanais Aoun, à la fois accusé de corruption et allié fidèle du Hezbollah (mouvement chiite pro iranien).
Une chronique de Michel Touma
Le président Emmanuel Macron réussira-t-il le coup de force de débloquer la formation d’un nouveau gouvernement libanais en réunissant à l’Elysée le Premier ministre désigné Saad Hariri et le député et ancien ministre Gebrane Bassil, chef du Courant patriotique libre (CPL, formation chrétienne fondée par le président de la République libanaise, Michel Aoun) ? Des informations puisées de diverses sources à Beyrouth se font l’écho de ce projet de rencontre qui, s’il se confirme et se concrétise, pourrait mettre un terme à une impasse politique de huit mois due aux obstacles qui ont entravé la mise sur pied d’une équipe ministérielle censée appliquer une série de réformes structurelles visant à paver la voie à une aide économique internationale au Liban.
Une réunion entre MM. Hariri et Bassil (adversaires de longue date) sous l’égide du président Macron consacrerait officiellement une inflexion qui pointait à l’horizon depuis quelque temps au niveau de la position française concernant la crise libanaise. Au lendemain de la double explosion du 4 août dernier qui avait détruit le port de Beyrouth et ravagé plusieurs anciens quartiers touristiques et résidentiels de la capitale libanaise, faisant plus de 200 tués et 6500 blessés, le président Macron s’était montré particulièrement critique à l’égard de la classe politique libanaise – accusée de corruption et de manque de responsabilité. Il avait prôné dans ce cadre la formation d’un « gouvernement de mission » regroupant des ministres totalement indépendants des formations politiques du pays.
Gebrane Bassil, un allié du Hezbollah
Si la réunion avec M. Bassil à l’Elysée se confirme, cela marquerait un assouplissement notable dans la position du chef de l’Etat français dans la mesure où le leader du CPL, qui est le gendre du président libanais, est considéré par l’opposition comme l’une des personnalités les plus corrompues du pays. Les opposants au pouvoir en place lui attribuent par ailleurs la responsabilité de plusieurs situations de blocage politique, dont notamment sur le plan de la formation du nouveau gouvernement qui se fait attendre depuis près de huit mois. Mais plus grave encore, M. Bassil – considéré comme le mentor de l’ambassadeur du Liban en France, Rami Adwan – est l’un des principaux alliés du Hezbollah libanais pro-iranien et, cerise sur le gâteau, il fait l’objet de sanctions américaines.
La rumeur publique à Beyrouth faisait état pourtant de possibles sanctions françaises et européennes contre de hauts responsables libanais.. Le chef du Quai d’Orsay Jean-Yves Le Drian évoquait il y a à peine quelques jours la possibilité de pressions européennes contre les dirigeants libanais.M. Bassil était notamment pointé du doigt
Emmanuel Macron rattrapé par la classe politique libanaise
Rien d’étonnant à ce que le projet de réunion du président Macron avec M. Bassil ait été vivement critiqué sur les réseaux sociaux par les milieux de l’opposition. Une telle entrevue constituerait une réhabilitation inespérée pour M. Bassil et aurait pour effet de le renforcer politiquement de manière sensible alors que le mouvement de contestation populaire né le 17 octobre 2019, sous le poids de la crise socio-économique, réclame avec insistance sa mise à l’écart.
Mais les milieux de l’opposition soulignent en effet qu’une rencontre sous l’égide du chef de l’Etat français entre MM. Hariri et Bassil pourrait très probablement déboucher sur la formation d’un gouvernement qui serait l’antithèse de la formule suggérée par le président Macron lui-même (au lendemain de l’explosion du 4 août). En ce sens qu’il serait composé de ministres désignés directement par les formations politiques et non pas indépendants de celles-ci, comme le prévoyait la proposition de « gouvernement de mission ».
Dans le but sans doute d’atténuer l’impact négatif d’une réunion à l’Elysée qui serait limitée à M. Hariri et Bassil, il serait question de noyer le poisson dans l’eau en élargissant la rencontre à des représentants d’autres formations politiques locales, dont notamment celle du président chiite de la Chambre, Nabih Berry.
Il reste qu’au stade actuel, rien ne semblait encore totalement acquis en cette fin de journée (mardi 6 avril) et des informations contradictoires circulaient à Beyrouth concernant le projet de réunion à l’Elysée. Sans doute les décideurs attendaient-ils le bilan d’une réunion bien plus importante : celle de Vienne, mardi, portant sur la relance du dialogue entre les Etats-Unis et l’Iran concernant les dossiers délicats du nucléaire et des conditions de la levée des sanctions américaines contre Téhéran.
L’incroyable obstination de Macron à formater le futur gouvernement libanais