Maikoul Zodi, coordinateur national de Tournons la Page, raconte pour Mondafrique huit ans de musèlement méthodique de la société civile et il s’inquiète de son anéantissement possible à court terme.
Dans un rapport publié tout récemment, la coalition (qui regroupe 17 organisations et des activistes) dresse un inventaire accablant du harcèlement exercé contre les animateurs de la société civile, les opposants, les journalistes et les bloggeurs et détaille les entraves croissantes à la liberté d’association, de réunion, d’expression et d’opinion au Niger. Tournons la Page dénonce « un arsenal juridique de plus en plus répressif remettant en cause les droits fondamentaux, les engagements internationaux du pays et l’indépendance de la justice. »
Mondafrique : quels sont les effets de cette politique dans votre pays ?
M.Z. : Depuis 2014, 53 manifestations ont été interdites, 1091 personnes ont été emprisonnées en détention préventive, jusqu’à dix-neuf mois. Internet a été coupé à trois reprises afin de limiter la médiatisation de la répression. Si rien n’est fait, d’ici peu l’espace civique sera carrément fermé au Niger. Pour le régime, il ne doit pas y avoir d’autre voix en dehors de leur voix. Il faut imposer la pensée unique et toute voix divergente doit être muselée. A leur arrivée, ils ont trouvé un arsenal juridique déjà très corsé et ils ont essayé d’améliorer encore les restrictions à l’endroit des activistes.
Mondafrique : quels sont les sujets qui ont entraîné ces interdictions de manifester et ces interpellations ?
M.Z. : Ca va de la vie chère à la corruption, aux détournements des deniers publics, jusqu’à l’insécurité, la présence de troupes étrangères au Niger. Au sommet de Pau, en janvier 2020, le Président Mahamadou Issoufou a dit sur les médias internationaux qu’il ne tolérerait aucune manifestation sur son territoire dénonçant la présence de troupes françaises au sol et depuis lors, il n’y a eu aucune manifestation. Toutes les manifestations en général sont interdites, systématiquement, même à l’intérieur du pays, bien que ce droit soit garanti par la Constitution et les traités internationaux.
Mondafrique : qui sont les cibles de cette répression ?
M.Z. : Les défenseurs des droits de l’Homme, ceux qui font la promotion de la démocratie, les journalistes et les bloggeurs, les leaders de l’opposition et aussi des leaders religieux et des syndicalistes. Tout ce qu’il y a comme leaders d’opinion et politiques. Dès que quelqu’un essaye de contredire les dirigeants du pays, il est considéré comme un mal pensant et sa place est en prison. On le stigmatise, on l’intimide puis on l’incarcère. La justice est mise à contribution pour punir les mal-pensants. En prison, on continue de nous punir encore, de nous harceler, en restreignant arbitrairement les visites des familles et des avocats.
Mondafrique : à son arrivée aux affaires, il y a un an, le Président Bazoum Mohamed a tendu la main à la société civile. Que vous a-t-il dit ?
M.Z. : Il a réussi à créer un cadre de dialogue avec la société civile et il nous a reçus à trois reprises au Palais présidentiel. Il nous a délivré trois messages. Tout d’abord, il s’est engagé à rouvrir l’espace civique et faire en sorte que personne ne soit plus inquiété en raison de son opinion. Il a demandé notre aide pour combattre la corruption et le détournement des deniers publics. Enfin, il s’est engagé à doter nos forces de défense et de sécurité des moyens conséquents pour accomplir leur mission régalienne.
Mondafrique : avez-vous saisi cette main tendue ?
M.Z. : Oui. Mais rien n’est venu. Au contraire, les choses continuent d’empirer. Un décret de février 2022 va aggraver le contrôle a priori et a posteriori des associations, les soumettant à un régime d’agrément très strict, voire de censure, qui peut conduire à interdire toutes celles dont le régime juge le travail contraire à ses intérêts. La modification de la loi sur la cyber criminalité, qui avait permis d’envoyer plusieurs journalistes en prison, n’est pas satisfaisante. Elle prévoit même des amendes de 2 millions à 10 millions de francs CFA, dans un pays où la majorité des citoyens vivent avec moins d’un dollar par jour ! Un autre projet de loi a été présenté à l’Assemblée, soi disant pour protéger les défenseurs des droits de l’Homme mais en réalité, ce texte contient des articles piège.
Le Président a dit que plus personne parmi nous ne serait inquiété. Et pourtant, deux de nos camarades ont fait l’objet d’arrestations arbitraires et ont été incarcérés puis libérés par la justice, l’un à Niamey et l’autre à Tessaoua. Il a pris l’engagement de nous autoriser à manifester et jusque là, aucune de nos manifestations n’a reçu l’approbation du maire. En ce qui concerne la lutte contre la corruption, aucun membre du parti au pouvoir n’a été inquiété, malgré le récent rapport de la Cour des Comptes qui épinglait plusieurs personnalités du régime. Le Président Bazoum se targue d’avoir fait arrêter un ministre mais ce ministre est issu d’une formation politique alliée, pas du PNDS (Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme, au pouvoir). Aucun militant du PNDS, aucun membre du cercle du PNDS impliqué dans ces affaires-là n’a été inquiété. La justice, c’est une justice sélective.
A l’exception des paroles et des promesses, rien n’a changé. C’est la continuité.
Mondafrique : qu’en est-il des procédures engagées avant l’élection du Président Bazoum, en 2021 ?
M.Z. : Beaucoup de gens sont toujours sous le coup de procédures. Moi-même, mon dossier se trouve à la cour d’appel. Ali Idrissa vient de recevoir une convocation chez le juge. Beaucoup d’entre nous sont en liberté provisoire. Au sein de la société civile, il y a toujours Ali Sambo qui est détenu à la prison de haute sécurité de Koutoukalé. Parmi tous les cas que nous citons dans le rapport, certaines personnes arrêtées en marge de la crise électorale d’avril 2021 sont toujours détenues. Nous ne savons pas combien ils sont exactement mais plusieurs opposants politiques de premier plan figurent parmi eux, dont Hama Amadou[1], le général Moumouni Boureima et le président du parti Lumana pour la région de Tillabéri.
Le journaliste Baba Alpha est toujours interdit de séjour au Niger. Il ne peut toujours pas regagner sa famille qui se trouve à Niamey pour poursuivre sa vie normalement. Il circule comme ça de pays en pays, sans aucun papier, parce que les princes qui nous gouvernent ont décidé qu’il en serait ainsi. C’est d’ailleurs Mohamed Bazoum qui est l’artisan de cette situation, alors qu’il était ministre de l’Intérieur.
Mondafrique : Mohamed Bazoum était-il sincère lorsqu’il a promis la décrispation, selon vous ? Et si oui, que se passe-t-il alors ?
M.Z. : ll est sincère et il n’est pas sincère. Parce qu’il est impuissant et il refuse d’assumer son impuissance. Quand il nous a rencontrés, il nous a dit que c’était très difficile pour lui, que certaines formations politiques étaient plus fortes que lui, que les corrupteurs et les corrompus étaient des gens extrêmement forts. Il est sincère mais il ne peut pas.
Il nous a promis la décrispation mais on l’attend toujours. Il a promis de ressusciter le Conseil national de dialogue politique mais on attend toujours.
Bazoum est pris en otage par l’ancien Président. Bazoum est hanté par l’ancien Président, qui est en train d’exécuter un troisième mandat de façon camouflée.
Le peuple n’a plus besoin de discours. Il a dépassé ce stade. Il a besoin de concret. En particulier dans la lutte contre le terrorisme. Si le Président est de bonne foi, il va devoir essayer d’assainir le milieu, de mettre un terme à la corruption qui règne au ministère de la Défense. De faire en sorte que l’effort de guerre arrive à nos soldats. Le premier problème de la lutte contre le terrorisme, c’est la gouvernance.
[1] En liberté provisoire en France pour des raisons de santé mais sous le coup de lourdes poursuites pénales