Beaucoup d’encre a coulé sur l’affaire de l’éviction du patron de la police algérienne Farid Zinneddine Bencheikh. Le limogeage du patron de la DGSN entre dans cette interminable guerre souterraine des services de sécurité depuis le limogeage en 2015 de l’ex patron du système sécuritaire et pivot du pouvoir pendant vingt cinq ans, le général Mohames Lamine Mediène, dit Toufik.
Coopté le 15 mars 2021 à la tête de la DGSN par le clan présidentiel imposé par le conseiller juridique du président Tebboune, Boualem Boualem, devenu le directeur de cabinet du président Tebboune. Le conseiller économique présidentie, Abdelaziz Khellaf, connu pour ses liens avec les français, avait été également à la manoeuvre. En effet, Farid Bencheikh avait effectué ses études en France et avait travaillé au sein des établissements pénitenciers de Poissy et Melun en tant que conseiller dans les prisons françaises.
Depuis la date de sa nomination, Farid Zinneddine Bencheikh fait objet d’attention de la part des autres services ayant repris les manettes sécuritaires du pays sous le contrôle de la DGDSE (services extérieurs), la DGSI (contre espionnage), et la DCSA (renseignement militaire). Ce retour marqué des éléments de l’ancien État profond se voit menacer par le manquant du chaînon du contrôle de la Police nationale et son service des renseignements généraux.
L’obsession de l’état-major de l’armée, qui voit d’un mauvais oeil les liens privilégiés de la Présidence algérienne avec Emmanuel Macron, estde couper tout lien sécuritaire avec les services français, qui échappe à leur contrôle. C’est dans cette logique que le directeur de la DGSN devient une cible prioritaire dans la guerre de lutte de pouvoir. Le timing avec la relance de la visite de Tebounne à Paris par le ministre des affaires étrangères, Ahmed Attaf lors d’une interview accordée à la chaîne Qatari Al Jazeera le 28 décembre 2023, sous certaines conditions.
La DGSN, un caillou dans les bottes des militaires
Depuis l’indépendance, la Police algérienne a toujours tenté de marquer son indépendance de la mainmise de l’armée. Déjà lors du coup d’Etat du 19 juin 1965, le patron de la police de l’époque, le colonel Ahmed Draia, avait ordonné à la police de s’auto neutraliser au coup de force de l’armée. Il en est de même pour Lakhdiri nommé par Chadli pour faire contrepoids à la restructuration des services en 1987. Bouteflika a nommé un de ses proches, le général Hamel, après l’assassinat du colonel Ali Tounsi directeur de la DGSN de l’époque, opérant ainsi un rééquilibre à la domination du DRS du général Toufik.
Le président Tebboune réitère la démarche de son prédécesseur dans le rééquilibrage des rapports des forces au sein des services. Les accointances le l’ex directeur de la Police, Farid Bencheikh, avec les milieux français ne sont plus à démontrer. C’était à la fois son point fort au service du clan présidentiel mais aussi sa faiblesse. C’est sur ce talon d’Achille que ses détracteurs vont se focaliser en le dénonçant en tant qu’agent au service de l’étranger.
Les attaques frontales contre lui datent de plus d’un an déjà. Des youtubeurs installés à l’étranger mènent la campagne de dénigrement contre lui dont certains faits sont avérés sans aucun doute. Corruption, clientélisme, népotisme, enrichissement personnel, sont l’apanage de la majorité du personnel gravitant au sommet des appareils de l’Etat. Farid Bencheikh n’échappe pas à cette pratique devenue sport national des responsables algériens. Ainsi, la reprise en main de la DGSN devient un enjeu capital dans la maîtrise totale des appareils sécuritaires du pays par les anciens membres de l’État profond. La présidence ne disposerait, désormais, plus de main dans les affaires susceptibles d’être exploitées à des fins politiques ni de relais à l’étranger.
Les enquêtes qui gênent
En février 2023, les services de la DGSN s’allient aux services des douanes pour enquêter sur les quantités de cocaïne saisies aux larges des côtes algériennes. Oran, capitale de l’ouest algérien, est devenue un Hub de transit de la cocaïne vers l’Europe. Ainsi, s’enchaîne une série de saisie de quantité de cocaïne suscitant l’inquiétude des services européens de police et de douane, surtout français et espagnols.
Le 26 juin 2021, saisi de 490 kg de poudre blanche au large des côtes oranaises. Le 29 mais 2023, saisie par les autorités espagnoles de 322 kg de cocaïne au port d’Algésiras dans un bateau en provenance du brésil à destination d’Oran.
Quelques mois après son arrivée à la DGSN, des affaires naguère passées inaperçues sont étalées dans les médias. Cette situation a poussé les autorités européennes, françaises et espagnoles, d’ouvrir un volet exceptionnel de coopération, dans le cadre d’Europol et d’interpol, avec la police algérienne. Il est vrai que les services européens préfèrent avoir comme interlocuteur la police que l’armée. Cette dernière n’a pas donné suite dans l’affaire des 700,1 kg de cocaïne saisis au port d’Oran préférant juger des lampistes comme Kamel Chikhi alias El Bouchi et autres cadres de la société « dounia meat ». Pire, au passage elle a réglé ses comptes avec le patron de la DGSN de l’époque le général Hamel réputé proche du clan présidentiel dirigé par Said Bouteflika. Les conclusions de l’enquête ont mis fin à l’implication du fils du président Tebounne, Khaled, dans le recyclage d’Al Bouchi dans des projets immobiliers.
La coopération sécuritaire entre la DGSN et certaines institutions internationales pose un problème crucial aux autres services de sécurité dépendant de l’état-major. L’absence du directeur de la DGSN de certaines réunions du haut conseil de sécurité (HCS) fut remarquée. Le torchon commençait à brûler dès le début du mois de février passé, lorsque la DGSN a demandé à 6 directeurs de banques de lui communiquer les activités bancaires d’un nombre important d’hommes d’affaires, mais aussi d’anciens officiers retraités tous proches des services de sécurité de l’armée.
Enquêter sur des hauts officiers est une ligne rouge, car seule la gendarmerie nationale dispose des prérogatives d’investigations sur des militaires. Cette initiative fut perçue par le haut commandement comme un défi du clan présidentiel dont l’ombre du conseiller juridique du président Tebboune n’est pas loin. La participation du directeur de la DGSN à la 91ème assemblée générale d’Interpol à Vienne revêt une nouvelle politique de collaboration sur les menaces sécuritaires sur plan international. Des nouveaux mécanismes de coopération policière, opérationnel et technique sont proposés à la police algérienne, sur les questions migratoires, le crime organisé, et surtout le trafic de drogue sur le flanc sud de la Méditerranée.
Le prétexte d’un limogeage
L’ensemble des médias algériens se sont accordés sur la raison de l’éviction du directeur de la DGSN Farid Bencheikh en donnant à l’incident survenu le 28 décembre à l’aéroport d’Orly comme cause principale. Un jeune algérien, Mehdi Rahmani, à réussi à s’introduire dans la zone de sûreté à accès réglementée de l’aéroport d’Oran jusqu’au tarmac. Il a été retrouvé en hypothermie, et sauvé in extrémis, caché à l’intérieur du train d’atterrissage de l’aéronef à l’aéroport d’Orly. La gendarmerie du transport aérien français a ouvert une enquête.
Il ne s’agit pas du premier incident et sans doute pas le dernier. Déjà, des incidents similaires n’ont pas provoqué une levée de bouclier sur les responsables de la police des frontières. Le 10 mars 2022, un jeune algérien a été sauvé dans un piteux état à son arrivée à l’aéroport de Roissy Charles De Gaulle du vol Constantine-Paris. En juin 2022, deux jeunes algériens sont retrouvés morts à l’aéroport d’Alger d’un vol qui a fait la rotation d’Alger-Dubai-Alger. Les deux jeunes pensaient embarquer pour le vol Alger Barcelone dans la soute. Les corps des deux jeunes, meurent d’hypothermie. Ils ont été découverts à Alger au retour du vol Air Algérie de Dubaï.
Les vraies raisons du limogeage du directeur de la DGSN se trouvent ailleurs que dans les déboires des jeunes embarqués clandestinement sur des vols de l’aviation civile. Les élections présidentielles du mois de décembre 2024 prochain devient un enjeu au sein des sérails du pouvoir effectif à Alger. Le haut commandement et ses services de sécurité veulent tenir les puissances étrangères, principalement la France, en dehors de de la course.
Bien qu’une forte collaboration militaire avec la France se soit établie au Sahel, le second mandat de Tebboune ne devrait être accordé qu’avec l’aval de l’armée et selon ses propres conditions. Tenir la France à l’écart est une constante des partisans de l’Etat profond qui se rappellent bien le rôle de Bernard Bajolet, patron de la DGSE (services extérieurs) dans le démantèlement des structures de l’ex DRS (services secrets) dans les années 2013-2015