Dans leur rapport d’audit sur les marchés publics du ministère de la Défense, publié le 17 février dernier, les inspecteurs généraux des Armées s’attardent avec précision sur un marché hors norme, relatif à l’acquisition d’un système de protection antimissile sur l’avion présidentiel. Cette affaire illustre en effet toutes les tares de la gestion démontrée au ministère de la Défense du Niger, en termes de désordre et d’improvisation administratives autant que de capacité de prédation sans tabou.
Le bénéficiaire du marché, conclu en 2015, est, comme très souvent, la société BRID A DEFCON, d’Aboubacar Hima, surnommé Petit Boubé, qui a perçu près de 3 milliards de francs CFA (4,5 millions d’euros). « Ce montant a été payé par mandatement en date du 14 décembre 2014, c’est-à-dire avant même l’approbation du marché le 6 août 2015», notent les auteurs. Le délai d’exécution du marché était de six mois. Mais près de cinq ans plus tard, «le système n’a jamais été installé sur le BBJ 737 (l’avion du Président).» « En effet, un faux bon de livraison et un faux procès verbal de réception ont servi à liquider le dossier pour le paiement indu du montant.»
Et cela vaut peut-être mieux, malgré les promesses du fournisseur, épinglé par l’Inspection, de réparer son impair.
Car l’installation de ce système « exposerait l’avion à des risques », changerait « son statut pour passer d’avion civil à avion militaire » et nécessiterait « en outre, au préalable, une autorisation du constructeur américain Boeing », d’après les techniciens de l’Armée de l’Air du Niger, de Russie, d’Ukraine ainsi que l’Autorité nigérienne de l’Aviation civile, cités par les auteurs du rapport. « Elle est contre-productive, inefficace et inopportune. » Il faut donc faire rentrer l’Etat dans ses droits, concluent-ils. C’est-à-dire exiger le remboursement.
Mais ce dossier révèle aussi l’amateurisme et la négligence des trafiquants eux-mêmes et, du coup, la nécessaire complicité de l’administration qui a reçu ces pièces.
BRID A DEFCON est une société enregistrée au Nigeria « qui a fait l’objet de plusieurs procès au Nigeria, n’est plus active » et ne paye l’impôt ni au Nigeria, ni au Niger, précisent les inspecteurs. « Le contrat a fait l’objet d’une fausse mise en concurrence avec les sociétés APC AXIAL et AERODYNE TECHNOLOGIES, qui sont en réalité des sociétés créées en zone franche de l’aéroport international de Sharjah, aux Emirats arabes unis, et qui sont aujourd’hui des sociétés dormantes. »
La fausse mise en concurrence est un classique des marchés publics et le dossier d’audit du ministère de la Défense la retrouve sur de nombreux marchés.
Pire, ces sociétés n’ont pas hésité à produire « de fausses pièces administratives et des documents falsifiés. » C’est ainsi que le registre de commerce fourni par AERODYNE TECHNOLOGIES est établi au nom d’un dénommé Gintaustas Baraukas, « né le 18 mars 1959 à Sharjah, en Ukraine, de nationalité ukrainienne». Or Sharjah est une ville des Emirats arabes unis. Et le gérant officiel de la société n’est pas ukrainien, mais letton « et impliqué dans plusieurs dossiers ayant servi à extorquer d’importantes sommes d’argent à l’Etat du Niger. » Il nourrirait d’ailleurs, tout récemment, le projet d’attaquer le Niger en justice pour réclamer le reliquat d’autres contrats tout aussi fantaisistes.