Le Nigeria ou le chaos créatif

A propos du Nigeria, qui vote ce samedi, les économistes parlent de « chaos créatif ». A l’image de la « destruction créatrice » de Schumpeter. Une chronique de Jean Marc Daniel

NigeriaLa première créativité nigeriane est statistique. Agacées par l’arrogance de l’Afrique du Sud, patrie prestigieuse de Nelson Mandela et membre du club très select et très médiatique des BRICS, ce rassemblement des pays émergents en pleine montée en puissance, les autorités d’Abuja ont décidé en 2010 que des erreurs dans le calcul du PIB nigerian étaient faites systématiquement et qu’il fallait revoir toutes les données concernant le pays. Elles ont décidé dans la foulée de rajouter 240 Mds $ à leur PIB. Résultat, un bond spectaculaire du PIB en question qui a laissé sur place l’Afrique du Sud. Avec 520 Mds $ de PIB, le Nigeria est donc désormais la première puissance économique d’Afrique, loin devant les 350 Mds $ de l’Afrique du Sud et les 270 de l’Egypte.

Le contre choc pétrolier

La légitimité de cette démarche a reposé sur la période faste traversée par le pays à la fin des années 2000. Le choc pétrolier de 2008 lui a en effet apporté d’immenses ressources. Le pays qui exporte 2 millions de barils par jour a reçu en 2008 100 milliards $ par an à ce titre. Les comptes extérieurs sont alors au beau fixe et la naira, la monnaie nationale, culmine à 4,5 Fr CFA.

Le contre-choc pétrolier est venu ébranler cette phase d’euphorie. Pour y faire face, le gouvernement a dû entamer en tout premier lieu une politique de rationalisation du secteur pétrolier. Le but essentiel a été d’en réduire les pertes liées au vol. Pari réussi. Le FMI estime qu’entre 2003 et 2013, les compagnies pétrolières ont été capables de réduire la part de la quantité de pétrole détournée sous diverses formes de 25% de la production à 5%. Quoi qu’il en soit, entre 2008 et 2013, les revenus pétroliers ont baissé de près de 50% et les recettes que tire l’Etat du pétrole ont baissé de 75%.

La sortie du tout-pétrole

Le Nigeria a réagi d’autant plus vigoureusement que le contre-choc pétrolier est vécu de plus en plus comme durable. Les Etats-Unis qui absorbaient 50% de la production du Nigeria en 2008 n’en absorbent plus que 15%, s’apprêtant à devenir eux-mêmes exportateurs de pétrole. Le Nigeria a réagi en cherchant à réorienter ses débouchés. Il y est jusqu’à présent à peu près parvenu et a pu maintenir son activité pétrolière aux alentours d’une production de 2 millions de barils/jour.

Néanmoins, le pétrole ne peut plus et ne doit plus jouer le rôle majeur qu’il a joué dans les années précédentes. Sur une prévision de croissance de 7% en 2015 (hors toute révision statistique) la croissance du secteur pétrolier sera de 3,5% et celle des autres secteurs de 7,5%.

L’arme de guerre de la dévaluation

La fin du tout-pétrole s’est traduite par une politique de change active axée sur la dévaluation de la naira. Depuis 2008, celle-ci est passée de 4,5 Fr CFA à 3 Fr CFA tandis que le dollar est passé de 117 nairas à 200. Une des conséquences de la dévaluation a été une poussée significative d’inflation.  Celle-ci est montée jusqu’à 12% en 2012 pour se stabiliser aux alentours de 8% Pour contenir l’inflation sans mener une politique monétaire trop restrictive et sans pouvoir utiliser le taux de change, le gouvernement nigerian a dû se résoudre à engager une politique budgétaire d’austérité. Le ratio dépenses publiques/PIB a baissé de deux points entre 2012 et 2015 pour atteindre 24%. Le Nigeria étant un Etat fédéral, la part de l’Etat ne représente qu’un quart des dépenses publiques.

Or, c’est lui qui a supporté l’essentiel de l’effort. Ce qui ne va pas sans poser certains problèmes. En effet, la baisse des dépenses publiques a été accusée d’avoir accentué les tendances à la corruption dans la fonction publique et surtout d’avoir suscité une assez profonde perte de motivation chez les militaires, au moment même où ceux-ci sont appelés à contrer les activités des groupes islamistes.

L’économie locale à la diète

Malgré l’austérité budgétaire, le déficit public s’est installé dans la vie politique (2% du PIB revu), alors que dans la période du boom pétrolier, les finances publiques étaient en excédent (9% en 2005 sur la base du PIB  révisé). L’augmentation jugée indispensable tant par les autorités d’Abuja que par leurs voisins de l’effort militaire ne pourra se faire qu’à deux conditions : la première est la volonté et la capacité de l’Etat central de mieux contrôler les dépenses locales afin d’éviter une trop grande dérive de l’ensemble des dépenses publiques. Le moins que l’on puisse dire est que le résultat n’est pas garanti, car la légitimité des autorités d’Abuja est sérieusement contestée au plan local à la fois sur des bases religieuses et sur la base de particularismes régionaux. La seconde est la capacité de l’économie non-pétrolière à maintenir un fort taux de croissance pour se substituer au pétrole.

Le Nigeria en ce sens n’est pas mal placé car sa population nombreuse constitue un marché potentiel important. « Pays riche dont la population est pauvre », le Nigeria a des réserves de croissance dans l’amélioration des conditions de vie et dans l’augmentation du pouvoir d’achat de sa population. Un des moyens d’assurer son développement est de chercher à mobiliser le plus possible les investissements étrangers pour en faire le fer de lance de la diffusion des hautes technologies maîtrisées par les pays les plus développés.

La bataille de l’attractivité

Pour le Nigeria, l’enjeu de l’attractivité est donc fondamental. La Côte d’Ivoire, économie qui par sa taille peut rivaliser avec le Nigeria mais qui n’a pas de pétrole, connaît des taux de croissance supérieurs à 9%. En revanche, la Guinée équatoriale, dont l’économie est presqu’exclusivement construite autour du pétrole, a du mal à dépasser 1% de croissance. Or la bataille de l’attractivité n’est pas gagnée.

Certes, si le solde net des investissements étrangers au Nigeria exprimé en $ a baissé depuis 2008, il a augmenté de 4,5% en monnaie locale. Mais quand on va sur le site du Quai d’Orsay concernant les conditions de voyage dans les divers pays de la planète, le Nigeria est en rouge, c’est-à-dire qu’il est fortement recommandé de ne pas s’y rendre. La seule zone qui n’est pas rouge mais qui exige une très grande prudence est celle de Lagos, épargnée par le Quai uniquement parce que c’est celle où se développent le plus les affaires.

Il faut bien voir que comme 80% des exportations du Nigeria sont encore du pétrole, le pays construit sa stratégie de change non sur la recherche d’une augmentation de son commerce extérieur qui ne pourra être effective qu’à moyen terme, quand il se sera diversifié, mais sur le renforcement de son attractivité vis-à-vis des investisseurs étrangers. En faisant baisser la naira, notamment vis-à-vis du franc CFA, il cherche à se constituer un avantage compétitif propre à les attirer le plus possible. Son problème est que les investisseurs tiennent également compte dans leurs calculs de rentabilité de la sécurité des investissements et de celle physique des expatriés. Or,  pour l’instant avec le terrorisme, celle-ci n’est guère au rendez-vous…

PAR JEAN-MARC DANIEL