Le Niger ferme la vanne du pétrole destiné au Bénin

Tracé du pétrole brut nigérien exporté par pipe line jusqu'au port de Sèmè

Le Niger a fermé jeudi la vanne de la station de Koulélé, près de N’Gourti, qui alimente l’oléoduc acheminant son pétrole brut jusqu’à la plateforme béninoise de Sèmè-Kpodji, a appris Mondafrique de source gouvernementale. 

Le ministre du Pétrole, Barké Bako Mahaman Moustapha avait annoncé cette décision lors d’un point de presse le même jour, faisant suite à l’arrestation la veille, sur la plate-forme, d’une délégation nigérienne venue contrôler les opérations de chargement. « Le chef de l’Etat nous a donné des instructions fermes. Si à 17h00 aujourd’hui, nos équipes ne sont pas libres de leurs mouvements (…) nous allons arrêter la station initiale de Koulélé. (…) Nous n’allons plus envoyer notre pétrole dans le pipeline jusqu’à ce que les Béninois décident de respecter leur engagement et jusqu’à ce que le partenaire chinois les amène à respecter leur engagement, parce que, apparemment, c’est la seule partie qu’ils écoutent », avait déclaré le ministre.

Le nouvel imbroglio nigéro-béninois s’est produit lors du chargement du deuxième tanker de brut nigérien, après un premier chargement débloqué in extremis par le Président béninois Patrice Talon après la visite du patron chinois de la holding partenaire des deux pays : la West African Oil Pipeline Company (WAPCO). La WAPCO est une filiale de la China National Petroleum Corporation (CNPC), la société nationale du pétrole de Chine, qui exploite et transporte le brut nigérien, le Méleck, à travers plusieurs filiales locales. 

Incidents à répétition

Les accords signés en 2019 entre le Niger, le Bénin et la Chine prévoient les conditions d’acheminement du pétrole à travers l’oléoduc de 2000 km qui permet d’exporter le brut sur les marchés internationaux. En vertu de ces accords, les autorités nigériennes doivent pouvoir accéder au compteur du terminal de WAPCO Bénin pour contrôler les chargements. Mais la tension persiste entre les deux pays voisins. La frontière reste fermée du côté nigérien, malgré la levée des sanctions internationales qui ont placé, pendant six mois, le Niger sous blocus total à partir du Bénin. Niamey reproche à Cotonou d’accueillir des soldats français dans son septentrion. Et Cotonou exige la réouverture de sa frontière pour pouvoir reprendre ses lucratives opérations commerciales vers le Niger et les Etats du nord du Nigéria. 

Dans un communiqué publié jeudi, le procureur spécial près la cour de répression des infractions économiques et du terrorisme de Cotonou, Elonm Mario Metonou, a confirmé l’arrestation de la délégation de la WAPCO-Niger, l’accusant de s’être introduite frauduleusement sur le site de la station terminale. « Cinq ressortissants nigériens se sont introduits sur le site sans décliner leur identité. Au lieu d’emprunter l’entrée principale et de s’enregistrer à la guérite, ces personnes ont préféré utiliser une entrée dérobée. Dans cette manoeuvre, elles ont bénéficié de la complicité de l’administrateur général de WAPCO-Bénin. » 

Un contexte de méfiance réciproque 

Le procureur spécial a accusé deux des membres de la délégation d’être des « agents nigériens au service du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) » s’étant « fait confectionner pour la circonstance de faux badges d’employés de WAPCO Niger » dans un contexte de menace « contre la sûreté de l’Etat du Bénin. » 

Le ministre nigérien du Pétrole a répondu le même jour dans un point de presse que la WAPCO avait été la courroie de transmission entre le Niger et les autorités béninoises, comme lors de la récente venue à Niamey du ministre béninois de l’Energie, des Mines et de l’Eau. Il a précisé que Cotonou avait tenté de convaincre le Niger de renoncer à son droit de contrôle des chargements et de le déléguer à la Chine, ce que le Niger a refusé, acceptant finalement « que cette opération soit menée par WAPCO Niger et Bénin ». Mais WAPCO Bénin ne disposant pas d’inspecteurs pétroliers, « nous leur avons dit que nous allions temporairement mettre à leur disposition deux inspecteurs de chez nous. » Ils ont été arrêtés alors que les opérations de mesurage et de contrôle des échantillons avaient commencé, a indiqué le ministre.  

 

Aminou Hadiza Ibra, la DGA de WAPCO-Niger arrêtée à Cotonou

Samedi soir, alors que la délégation dirigée par la directrice adjointe de WAPCO Niger, Mme Aminatou Hadiza Ibra, était toujours retenue, le porte-parole des autorités militaires nigériennes a dénoncé « les multiples violations (béninoises) des accords relatifs à l’exploitation du pétrole nigérien. » Il a rappelé que les accords ne prévoyaient « aucune entrave possible », même en cas de guerre entre les deux pays et il a déploré l’attitude du Président béninois Patrice Talon qui « discrédite sa signature ». 

Après une première tentative de blocage au Bénin, a poursuivi le porte-parole, « sur proposition de la partie chinoise, acceptée par les autorités nigériennes, le ministre béninois de l’Energie, de l’Eau et des Mines était à Niamey le 27 mai dernier dans le cadre de la 3e réunion du comité inter-Etats de pilotage du système de transport par pipeline, conformément à l’article 10.4 de l’accord du gouvernement hôte. »

« En marge de cette réunion, le ministre béninois a dit être porteur d’un message du Président Patrice Talon au chef de l’Etat. Sous prétexte que le Président du CNSP, le général Abdourahamane Tiani, n’a pas accordé une audience au dit ministre, ce sont les inspecteurs nigériens basés sur la plateforme de chargement des navires que la police béninoise a chassés de leur poste de supervision et de contrôle. Pire, le mercredi 5 juin, c’est une équipe de WAPCO Niger en mission officielle de supervision et de contrôle des chargements sur demande expresse et insistance de la CNPC qui est kidnappée par les autorités béninoises, au mépris des dispositions de l’article 29.6 de l’accord du gouvernement hôte. »

Les soldats français de la discorde

Le porte-parole du CNPC précise que la délégation nigérienne a emprunté « un vol régulier en accomplissant toutes les formalités aéroportuaires au départ de Niamey comme à l’arrivée à l’aéroport international de Cotonou. » Et d’ironiser sur les accusations béninoises : « Les Nigériens et les Chinois se seraient ainsi associés en terre béninoise pour porter atteinte à la sûreté d l’Etat du Bénin en sabotant leurs propres biens ! » 

La junte campe sur sa position en reprochant à Patrice Talon de refuser « de prendre en compte les impératifs de sécurité nationale du Niger », et de ne « dire mot des bases abritant des forces françaises subversives de déstabilisation installées au Bénin le long de notre frontière commune, bases à partir desquelles les vrais terroristes formés et équipés par des puissances étrangères mènent des raids meurtriers contre nos forces de défense et de sécurité et nos populations civiles. » 

Finalement, pour sortir de l’impasse, le Niger se tourne vers la Chine, « partenaire stratégique dans l’exploitation du pétrole nigérien » qu’il invite à « prendre ses responsabilités en s’engageant clairement dans le respect de toutes les clauses contractuelles. »