La malédiction qui a frappé cette formation politique s’invite au grand jour lors de la récente élection présidentielle anticipée du 7 septembre 2024. La doctrine du FFS a été bafouée en ayant accepté de participer à cette échéance électorale portant tant décriée par la base ; à cette élection entachée dès le départ par des irrégularités et organisée dans une atmosphère de peur dans laquelle la presse et les libertés publiques sont restreintes, dans laquelle aucun débat contradictoire n’a été organisé. Cette participation semble s’inscrire dans une logique de reniement des valeurs du FFS, avec la volonté d’étouffer la voix des militants. Jusqu’à quel point?
Lyazid BENHAMI
Un des premiers grands partis démocrates algériens est né d’une crise de pouvoir post indépendance algérienne. L’assemblée constituante a été dessaisie brusquement au profit d’une constitution de façade élaborée à la hussarde dans le cinéma Atlas, l’ex Majestic, à Alger en 1963.
La Kabylie, une avant garde
La fermeture du champ politique par le parti unique qu’est devenu le Front de Libération nationale après l’indépendance algérienne engendre la création du Front des Forces Socialistes, le FFS, le 29 septembre 1963 à Tizi Ouzou en Haute Kabylie. Cette formation politique fut initiée par des personnalités de premier plan. Celle-ci sont issues et ont appartenu également au FLN pendant la guerre d’Algérie, dont Hocine Ait-Ahmed Membre fondateur, et Mohand Oulhadj, Abdelhafidh Yaha, Lakhdar Bouregaa, tous trois de l’Armée de Libération Nationale (l’ALN), et bien d’autres. En créant ce parti d’opposition, ces historiques réclamèrent la mise en place d’une assemblée constituante honnête qui permettrait de construire les institutions algériennes, et ainsi ouvrir le champ politique à davantage de pluralisme.
Voici un parti qui dès sa création porta le fer contre le pouvoir en place, le pouvoir central disait-on à l’époque, parce que ce parti était cantonné en majorité en Kabylie.
Après un conflit armé qui fera environ 400 morts particulièrement en Kabylie, opposant les partisans du FFS à ceux du FLN et de l’Etat représentés par Ben Bella et Boumediene, les deux protagonistes finissent par conclure un accord le 16 juin 1965. Stupéfaction, trois jours après, le 19 juin 1965 par un coup d’Etat le colonel Houari Boumediene met un terme au rapprochement politique et entérine définitivement le règne de la Sécurité militaire, et en consacrant la fermeture du champ politique. Ben-Bella rejoint en prison Hocine Ait-Ahmed qu’il avait lui-même condamné à mort. Par la suite Aït-Ahmed s’évada de la prison d’El Harrach, tandis que le premier président de l’Algérie indépendante, Ben Bella, sera gracié à la mort de Boumediene par le président Chadli Bendjedid en 1979.
S’ensuit une traversée du désert pour ce parti d’opposition de la première heure. Elle dure jusqu’en 1989, année de l’ouverture politique engendrée par les émeutes du 05 octobre 1988. Les rares militants du FFS restés unis sont entrés en clandestinité pendant près de vingt-quatre années. Hocine Ait-Ahmed avait rejoint la Suisse, tandis le responsable de la base militante FFS qu’était feu Yaha Abdelhafidh a préféré la France, parce que la représentation des militants était davantage organisée et plus visible à Paris. Ces derniers menèrent le combat pour une Algérie libre, démocratique et indépendante. Pour amener l’immigration à leurs thèses, ils ont dû affronter l’Amicale des Algériens en Europe, relais d’Alger.
En avril 1987, l’avocat Ali Mecili paiera de sa vie sa tentative du rapprochement politique entre le Front des Forces Socialistes (le FFS) avec le Mouvement pour la Démocratie en Algérie (le MDA), parti de Ben Bella fraîchement créé en exil.
Pendant la clandestinité, le FFS avait formé et permit l’émergence de cadres politiques au sein de l’immigration, ainsi que sur le territoire national. Il était considéré comme une véritable école de formation politique qui a tenu toutes ses promesses. Le parti a vécu grâce à ses propres ressources venant de ses militants. Le débat politique était très nourri.
Libre Algérie, le journal du parti, aborda divers thèmes et questionnements concernant les domaines économiques, culturels et sociétaux. Le FFS propose une vision et un ambitieux programme politique basés sur le respect des libertés, notamment à travers sa plateforme de 1979. Malgré divers tendances et courants, il y avait au sein de cette formation une véritable cohésion autour d’un objectif, l’instauration de la démocratie en Algérie.
Honnèteté et transparence
Le prestige qu’avait ce vieux parti tenait à la qualité de ses militants et à leur rigueur dans leur militantisme constant et dans leur combat pacifique pour les libertés démocratiques.
A chaque échéance électorale, la ligne politique et le mot d’ordre tiennent en deux mots, honnêteté et transparence. Longtemps, le FFS fut une boussole et un repère lorsque les démocrates algériens étaient confrontés à un choix ou à une étape politique importante. Ce parti cultiva un grand capital confiance au sein de la société algérienne. Deux générations de militants se sont succédé. Pour la plupart d’entre eux, ces militants ont tout sacrifié, leur vie, celle de leurs familles, pour que leur idéal démocratique et de liberté puisse un jour voir le jour en Algérie.
La doctrine et la position du FFS se sont révélées justes lors de l’élection présidentielle d’avril 1999 à laquelle Hocine Ait-Ahmed s’était présenté avant de se retirer de la course la veille du scrutin, après s’être assuré d’une fraude électorale qui avait débuté bien avant le vote.
L’héritage du FFS.
Aujourd’hui, qu’en est-il de l’héritage de ce parti ? Pendant le Hirak algérien de février 2019, les participations et les apports des partis politiques ont été en deçà de la situation. Les Algériens attendaient qu’ils s’unissent pour proposer une sortie de crise à la hauteur de leurs revendications. Aucune formation n’avait réussi à se projeter autour d’un projet commun ambitieux et innovant, ou présenter une solution de sortie de crise qu’attendait pourtant le peuple algérien. Aucune formation, y compris le FFS, n’a pu répondre aux exigences et aux préoccupations des citoyens algériens. La voix de cette formation, du FFS pourtant progressiste, était inaudible. Est-ce en raison de l’inexpérience de cette nouvelle génération de cadres ou d’une stratégie d’une politique politicienne de circonstance, en choisissant de se murer dans les états-majors pour éviter la confrontation avec la base qui ne demande qu’une clarification des positions historiques du parti ? Pourtant le FFS en avait déjà fait les frais au début des années 1990, mais à l’époque grâce au prestige et la personnalité de Hocine Ait-Ahmed cela avait suffi à dissiper les nuages et à circonscrire cette crise. Actuellement le manque de leadership au sein de cette formation, ajouté au mode de gouvernance remis sans cesse en cause sont les deux facteurs qui assombrissent son avenir.
Le fonctionnement de la vie politique des partis politiques algériens fut longtemps un sujet de controverses, les décisions importantes restent encore le fait du prince, du zaïm j’ose dire. Ce fut le cas et c’est encore le cas dans la plupart des formations politiques en Algérie. Les militants de la base sont en partie et très souvent exclus. Le FFS a payé le prix de cette méthode dès le début des années 1990. Il avait essuyé une crise profonde entre sa base militante- dite historique – et ce qu’est devenu le FFS après « son officialisation ».
Les ambiguités du FFS
Ce qui est reproché par la majorité des militants et des sympathisants lors de la Présidentielle de septembre dernier, c’est qu’après vingt-cinq ans de boycott des élections présidentielles, ce parti dirigé à nouveau depuis 2020 par son Premier secrétaire Youcef Aouchiche se soit lancé dans cette élection ni transparente, ni honnête. Certains observateurs parlent de connivence avec les tenants du pouvoir afin de négocier des sièges ministériels après le scrutin. Pourtant sur le site officiel du FFS, nous pouvons lire ainsi : « Le rendez-vous du 7 septembre donne l’occasion aux Algériennes et Algériens d’exprimer leur rejet du pouvoir en place en donnant leur voix au seul candidat qui s’engage à libérer les détenus d’opinion et instaurer un système de gouvernance garantissant le respect des lois et du droit loin des 3issabat d’hier et d’aujourd’hui. »
Le scrutin enfin terminé, Abdelmadjid Tebboune, vainqueur avec un score pharaonique de plus 94 % que lui-même désapprouve, semble vouloir aller vers un débat national pour atténuer le climat délétère pendant la campagne électorale. Des questions se posent à nous. Allons-nous vers une refondation de la vie politique algérienne et dans ce cas que deviendra le FFS ? Quelles seront ses positions dans le cadre du débat national ? Pourtant la très faible participation des citoyens au scrutin du 7 septembre 2024 sonne comme un désaveux tangible accordé aux partis traditionnels et à leurs stratégies. A la vue du fiasco de l’élection récente quel crédit à donner aux prochaines échéances électorales, et que décidera désormais le FFS à ce propos, participera -t- il ou non ?
Si Le FFS ne renoue pas avec son glorieux passé, en convoquant un congrès extraordinaire pour épuiser tous les sujets de son actualité délicate, il est fort à parier que la suite politique sera difficile, voire fatale. L’adhésion des militants et des citoyens se construit dans la transparence et la confiance.
Par ailleurs, n’est-il pas venu le temps d’octroyer à ces vieux partis usés et en manque de légitimité démocratique une place dans les musées ? Mais il est à noter que contrairement à certains, le FFS a le mérite d’avoir été une force vive pour une société civile en quête de liberté et d’émancipation, et d’avoir proposé une vision ambitieuse pour l’Algérie, celle d’une alternative progressiste et démocratique !