Le Niger aura connu cinq coups d’Etat militaires depuis son accession à l’indépendance le 3 août 1960 : 15 avril 1974 ; 27 janvier 1996 ; 09 avril 1999 ; 10 février 2010 et 26 juillet 2023. Le coup d’Etat de 1974 n’est pas seulement le premier de cette série. Il est unique par la durée de sa maturation, mais surtout par son caractère inclusif, associant presque toutes les unités des FAN, celles de Niamey autant que celles déployées à l’intérieur du territoire national.
Comme lors du putsch du 26 juillet 2023 qui a renversé le président Mohamed Bazoum, la France n’a rien su et n’a rien vu venir lors du coup du 15 avril 1974 contre Hamani Diori, premier président du Niger. C’est la conclusion à laquelle arrive le journaliste et écrivain nigérien Seidik Abba dans son nouvel ouvrage « Crise interne au Conseil militaire suprême du Niger. Histoire sécrète de la rupture Seyni Kountché-Boulama Manga » qui va paraître le 20 février 2024 aux Editions l’Harmattan.
Dans le chapitre 2 de cet ouvrage, que Mondafrique donne en bonnes feuilles, Seidik Abba détaille comment les quelque 270 soldats français du 4 ème Régiment inter-armes d’Outre-Mer (RIAM) basés à Niamey ont été pris par surprise par le coup d’Etat du lieutenant-colonel Seyni Kountché et ses compagnons du CMS. Le livre précise également que les militaires nigériens ont choisi la date du 15 avril 1974 pour leur action en tenant compte du flottement du pouvoir à Paris, après le décès du président Georges Pompidou le 02 avril 1974.
Pour Léopold Kaziendé, ministre de la Défense de Hamani Diori de 1972 jusqu’au coup d’Etat, l’agenda de renversement de leur régime s’est mis en place dès 1972 lorsqu’un jour Seyni Kountché, qui était encore chef d’état-major adjoint, était venu lui faire la demande suivante : « Je souhaiterais que vous acceptiez que votre beau parent (Bonkano) soit engagé comme garde-cercle, ainsi la vie lui sera plus facile ».
A la demande de son ancien élève de l’école primaire de Filingué, Kaziendé avait donné une suite favorable : « Une semaine après, écrit-il dans Souvenirs d’un enfant de la colonisation, Tome 6, le Commandant de la Garde Républicaine, Monsieur Abdou Diori, présenta à ma signature, un projet de décision engageant M. Bonkano dans le corps des gardes-cercles, avec poste budgétaire. Le nouveau garde fut affecté comme planton au ministère de l’Intérieur ». Après avoir franchi le pas de son intégration dans la Garde républicaine, Bonkano va ensuite dérouler tranquillement l’agenda du putsch du 15 avril 1974 : il obtient d’être muté de l’Intérieur à la Défense, sous prétexte qu’il n’est pas à son aise au ministère de l’Intérieur où officie Boubacar Moussa, demi-frère du président Diori et ancien patron de la sûreté d’Etat. « Ainsi, Bonkano devint à partir de 1973, planton de mon bureau, ajoute Kaziendé. J’étais si satisfait de cette affectation que sur sa demande, j’obtins du Commandant Sani, qu’il fût porteur d’un P.A[1] comme les policiers ».
Flottement de pouvoir à Paris
De son poste de planton auprès du ministre de la Defense, Bonkano va ainsi devenir l’œil et l’oreille du projet de coup d’Etat qui n’était alors encore connu que de lui, Seyni Koutché et Idrissa Arouna. A la vérité, le projet de renversement du régime du PPN-RDA ne prend véritablement forme que lorsqu’en juillet 1973 le colonel Balla Arabé[2] est évincé de son poste de chef d’état-major des FAN puis remplacé par son adjoint le Chef de bataillon Seyni Kountché. Il aura pourtant fallu vaincre de très nombreuses réticences à commencer par celles du président Diori pour que Seyni Kountché devienne le patron de l’armée nigérienne. Sur ce point, Moumouni Adamou Djermakoye et Léopold Kaziendé sont d’accords. Le premier affirme dans son ouvrage déjà cité que toute l’élite politique du PPN-RDA était contre la désignation de Seyni Kountché comme chef d’état-major, à l’exception de Kaziendé. « Pour la désignation du Chef de bataillon Seyni Kountché aux fonctions de chef d’état-major, écrit Moumouni Adamou Djermakoye, tous les dignitaires du régime étaient contre, excepté un : Kaziendé » !
L’ancien instituteur n’a, en réalité, ni dit oui ni dit non à Diori qui souhaitait connaître son avis avant de prendre le décret consacrant Kountché comme patron de l’armée. La suite est racontée par Kaziendé lui-même dans son ouvrage cité plus haut : « Le lendemain était mon jour d’audience à la présidence. Je profitai de l’occasion pour parler de la rencontre avec le commandant Sani. Diori me dit : Il m’a tenu le même discours plusieurs fois. Je reste circonspect en l’occurrence car j’ai d’autres sources de renseignements. Avez-vous confiance en votre fils[3] ? ».
En homme averti, le ministre de la défense botte en touche : « Je connais, dit-il parlant de Kountché, l’enfant taciturne, solitaire, assez bon élève. Mais, je ne connais pas l’homme. Nous sommes à une époque où il est difficile de jurer sur la fidélité d’un chef militaire. Le Nigeria, le Dahomey, le Togo, le Ghana, le Mali, l’Algérie sont sous des régimes d’exception, des régimes militaires. La contagion, il convient d’y penser et prendre des précautions conséquentes ».
Sani Souna Siddo, ajoute Kaziendé, trouvera finalement m’argument-massue pour vaincre les dernières réticences de Hamani Diori et son ministre de la Défense. « Je viens vous dire, poursuit Kaziendé citant Sani Souna Siddo, que l’officier qui commande effectivement l’armée est le lieutenant-colonel Seyni Kountché. C’est le chef au sens complet du mot. Il est respecté de tous les officiers ; les hommes de troupe l’admirent et vantent sa correction en toute circonstance. Son autorité sur l’ensemble de l’armée est incontestable et incontestée. C’est lui le vrai chef d’état-major. Le colonel Bala n’est pas celui qu’il faut maintenir à la tête de la troupe. Il est à remplacer par Seyni Kountché. Le plus tôt serait le mieux, car il y a des grognards, des mécontents prêts à tout, même au coup d’Etat, si la situation actuelle perdure ».
La dernière carte abattue par Sani Souna Siddo fait bouger d’un iota le président Diori : « Soumettez-moi, dit-il à Kaziendé, un décret dans le sens souhaité. Je me donnerai le temps de réflexion. D’autres sons de cloche me parviennent… ».
Aussitôt dit, aussitôt fait, le ministère de la Défense prépare le décret de nomination de Seyni Kountché comme chef d’état major des FAN. Alors que le commandant Souna Siddo s’impatientait pour mettre en place cette pièce maitresse de la conspiration, le décret préparé par Kaziendé pour la nomination de son ancien élève restera sous le boisseau pendant des jours, des semaines et des mois. C’est finalement en juillet 1973, alors que le président Diori se trouvait en vacances à Contrexeville[4], que Sani Souna Siddo apporte dans sa chambre d’hôtel le décret de désignation de Kountché comme patron de l’armée nigérienne. Il ne reste alors plus qu’à dérouler le reste de l’agenda secret du renversement du régime du PPN-RDA. D’autant plus facilement que le contexte de famine, de sécheresse, de népotisme et de corruption s’y prêtait très largement. Initialement, le CMS envisageait le passage à l’acte au moment du congrès ordinaire du PPN-RDA à Niamey. « Le jour J fut fixé. Ce sera lors du Congrès du PPN-RDA prévu dans les tout prochains jours. Le plan était simple. Puisque tous les dignitaires du pouvoir devaient être présents, il suffisait d’encercler le bâtiment où se dérouleraient les travaux et de procéder à leur arrestation, autant que possible en douceur. Le reste suivrait sans anicroche : un pronunciamiento. Nous étions confiants et gonflés à bloc pour ce projet patriotique », se souvient Moumouni Adamou Djermakoye.
Finalement, « l’action » est reportée sine dine en raison de son impréparation. En mars 1974, soit un mois avant le coup d’Etat, Seyni Kountché entame une tournée en profondeur des casernes, se rendant à Agadez, Dirkou, N’Guigmi et Zinder. Sous couvert d’un périple d’évaluation des conditions de vie et de travail de la troupe, il fit la promotion et la sensibilisation des hommes sur l’urgence de « balayer » le pouvoir en place au Niger depuis le 3 août 1960. A cette époque, le projet était solidement arrivé à sa maturation. Il ne restait plus que la date exacte. Dans l’attente du choix de la nouvelle échéance, un événement extérieur imprévu se produit le 02 avril 1974 : à Paris le président français Georges Pompidou décède. Les militaires nigériens y voient une fenêtre d’opportunité pour agir. La nouvelle date retenue, le 15 avril, correspondait au long week-end des Pâques et au flottement du pouvoir à Paris. Ce qui rend difficile toute intervention des forces françaises pour sauver le régime de Hamani Diori.
L’agenda du coup d’Etat
Le 10 avril Seyni Kountché informe, par message radio codé, toutes les unités concernées que le Jour J serait le 15 avril 1974 à 02h du matin, selon l’ordre de bataille arrêté depuis longtemps et détaillé par Moumouni Adamou Djermakoye :
1. le capitaine Ali Saibou part d’Agadez avec quelques éléments de la 2 ème CSM et progresse vers Niamey, en évitant les agglomérations. Il devrait avoir rallié la capitale le 14 avril à 00h, prêt à attaquer. Sa mission ; prendre le commandement du Camp des recrues de Tondibia qu’il connait bien pour avoir dirigé cette unité pendant longtemps.
2. Sous les ordres du capitaine Momouni Adamou Djermakoye et du lieutenant Tandja Mamadou des des hommes de la 3 ème CPC, partis de Zinder, devraient être en embuscade dans les environs de Niamey, le 14 avril à minuit. Objectif : s’emparer de l’aéroport et en garder le contrôle.
3. Le lieutenant Cyrille Gabriel, commandant de la Compagnie Para, avec un commando d’une vingtaine d’hommes bien entraînés, doit prendre le contrôle du palais présidentiel et procéder à l’arrestation du président Diori, avec pour consigne de ne tirer aucun coup de feu. Sauf s’il affronte une résistance notable.
4. Le commandant Sani Souna Siddo, un habitué du palais présidentiel qu’il connait aussi bien que les dix doigts de sa main doit s’assurer que dans la nuit du 14 au 15 avril les grilles resteront exceptionnellement ouvertes. Il avait également pour mission d’obtenir les clés des magasins d’armes du palais et de tranquilliser la famille présidentielle[5].
5. Le lieutenant Amadou Seyni doit s’emparer de la radio nationale et en garder le contrôle.
6. Le lieutenant Bagnou Beidou, 1 er officier nigérien de la cavalerie, est, quant à lui, chargé de contenir la riposte éventuelle de la garde présidentielle avec quelques blindés et des canons.
7. Le lieutenant Dandi Abarchi devait, de son côté, procéder à l’arrestation de tous les dignitaires du régime. Ce qu’il réussira sans résistance, à l’exception de Abdou Gaoh, président de la jeunesse PPN-RDA chez qui les miliciens du parti au pouvoir ont opposé une résistance qu’il a fallu affronter.
8. Le caporal Amadou Bonkano devait « désinformer » le président Diori en lui faisant croire que l’horizon de son pouvoir est dégagé. Il aurait même assuré au président qu’il « mourra au pouvoir »
9. Seyni Kountché et Boulama, avec le lieutenant François Wright comme officier de liaison, devrait coordonner toute l’opération à partir de l’état-major des FAN à Niamey.
10. Le commandant Idrissa Arouna, commandant de la zone militaire N°3 de Zinder devait rester sur son lieu de commandement pour venir en renfort, si jamais cela était nécessaire.
11. Le Commandant Sory Mamadou Diallo, commandant la zone de défense militaire N°2 d’Agadez devait, lui aussi, rester sur son lieu de commandement et assurer les arrières de ses camarades.
12. Le Lieutenant Ibrahim Bare Mainassara devait attendre le commandant Sani Souna Siddo au quartier Poudrière et l’aider à mettre la main sur les munitions nécessaires pour le succès du coup d’Etat.
Avant même d’être mis à exécution, ce plan d’attaque s’est retrouvé dans les mains de Léopold Kaziendé qui l’a soigneusement rangé dans son bureau. Pour une raison à ce jour inconnue, le ministre de la Défense n’avait alors ni informé le président Diori ni agi en conséquence pour déjouer le coup d’Etat du 15 avril. Mais, ce n’est pas le seul événement qui a failli faire avorter le projet de renversement du régime du PPN-RDA. Selon le récit de Boulama Manga, à trois reprises Kaziendé a fait mine de savoir ce qui se tramait. « En tant que ministre de la Défense, Kaziendé avait pris l’habitude de réunir chaque samedi dans son jardin le haut commandement militaire pour un tour d’horizon de la situation nationale et des conditions de la profession militaire. A au moins trois reprises, il a affirmé qu’il comptait quitter ses fonctions ministérielles à l’horizon 1975-1976, après le Congrès du PPN-RDA. A chacune de ces trois fois, il avait ajouté : faut-il encore que le congrès puisse se tenir. Nous en étions totalement intrigués parce que notre projet initial était justement de profiter du congrès pour renverser le régime. Nous nous étions dit que cet homme-là a dû apprendre quelque chose », a confié à l’auteur de ce livre Boulama Manga qui prenait part à ces rencontres avec le haut Commandement militaire en tant que commandant de la gendarmerie nationale.
Couacs sérieux
Deux autre événements ont failli faire capoter l’action du CMS. Alors qu’ils faisaient route vers Niamey pour le coup d’Etat, en prenant par des sentiers, le commandant Sory Mamadou Diallo et le capitaine Ali Saibou sont tombés, non loin de Tahoua, sur Mouddour Zakara[6], ministre influent du régime du PPN-RDA[7]. « Que faites-vous ici loin de votre base avec autant d’hommes lourdement armés ? », s’était inquiété M. Zakara.
« Nous sommes sur les traces des voleurs lourdement armés partis de la région d’Agadez », se sont justifiés Ali Saïbou et Sory Mamadou Diallo. Le ministre prendra finalement pour argent comptant la version des deux officiers mêlés à la conspiration contre le régime de Diori. Mais comme si cela ne suffisait pas, un second couac plus sérieux que le premier s’est produit sur le chemin de la colonne partie d’Agadez pour le coup d’Etat du 15 avril. Plutôt que de se diriger directement vers Niamey, le capitaine Ali Saïbou choisit de faire un détour chez lui à Ouallam. Sa présence à la tête d’une troupe aussi importante et sérieusement équipée intrigue d’emblée le sous-préfet Képine Toyé qui tente d’alerter aussitôt la présidence de la république par message radio. « Le sous-préfet tente d’entrer en contact par message radio pour informer la présidence de ce que Ali Saïbou était présent à Ouallam à la tête d’un nombre important de soldats lourdement armés. Ce jour-là, toutes les tentatives d’utiliser la radio ont été vaines et Képine Toyé a été obligé de jeter l’éponge », se rappelait avec jubilation, en 2016, encore le colonel Boulama Manga.
Dans la nuit du 14 au 15 varil, Ali Saïbou déboule à Tondibia, près de Niamey, sa cible désignée. En moins de 24 heures, il met fin avec les autres unités engagées dans l’opération à 14 années du régime PPN-RDA. Le président Diori Hamani est finalement, transféré le 22 avril 1974, à Zinder, dans le camp militaire. D’autres dignitaires du régime sont, quant à eux, envoyés à la caserne militaire d’Agadez. En raison de son âge et de sa notoriété, Bouba Hama, qui a été ramené d’Agadez, au camp Bagagi-Hia à Niamey est finalement libéré dès juillet 1976.
« Un soir, je crois que c’était le 17 juillet si ma mémoire est restée fidèle, se souvient Kaziendé, alors que nous dînions tranquillement, le lieutenant Torda, commandant l’escadron blindé se présenta, nous salua. Cette arrivée nous parut insolite, aussi avions-nous instinctivement cessé de manger et étions tout yeux et tout oreilles. J’ai reçu l’ordre de conduire M. Boubou à son domicile tout de suite. Dans une demi-heure, je reviendrai, il faut que dans moins d’une heure vous soyez à votre domicile ».
Pour le plus grand bonheur des auteurs du coup d’Etat du 15 avril, la France, qui disposait à Niamey du 4 ème Régiment inter-armes d’Outre-mer (RIAOM) fort de deux cent soixante-dix hommes, n’a rien vu venir. Le long week-end pascal du coup d’Etat, le commandant du corps expéditionnaire français le Chef de bataillon Langlois d’Estainot, décrit comme un militaire expérimenté, se trouvait à la chasse loin de Niamey. Selon l’anecdote racontée par Moumouni Adamou Djermakoye, le commandant d’Estainot avait dû rejoindre à la nage le 16 avril 1974 la rive gauche du fleuve Niger et regagner son unité. Le seul pont reliant les deux rives de la capitale nigérienne, le Pont Kennedy, était encore tenu par les militaires putschistes.
« Dès le début des opérations, nous avons envoyé, de l’état-major où je me trouvais avec Kountché, un élément pour évaluer la situation devant le Camp Leclerc qui abritait les soldats français. Si le régiment français avait pris des dispositions inhabituelles au niveau de ses sentinelles, cela aurait signifié qu’il a eu vent de quelque chose. Comme nous n’avions constaté qu’il n’a pris aucune mesure inhabituelle, nous avons conclu que la France n’a rien su », a affirmé Boulama Manga, confirmant la thèse déjà soutenue par Moumouni Adamou Djermakoye. Celle d’un coup d’Etat militaire opéré dans le dos de la France.