Un prètre italien, Pier Luigi Maccalli, enlevé au Niger le 17 septembre, était basé au Burkina voisin, maillon faible de la guerre anti jihadiste
Au printemps 2017, la force française Barkhane mena les opérations Bayard et Dague au Mali, près de la frontière avec le Burkina Faso. L’objectif était alors de détruire des camps tenus par le groupe jihadiste burkinabè « Ansarul Islam », alors responsable de plusieurs attaques dans la région du Soum. Plusieurs dizaines de combattants furent tués ou capturés et le fondateur de cette organisation, Malam Dicko, y laissa probablement la vie [il aurait été depuis remplacé par Jafar Dicko, ndlr].
Pour autant, le succès de ces opérations ne mit pas un terme aux activités jihadistes dans le nord et l’est du Burkina Faso. Et, au delà des attentats de Ouagadougou (2 mars), le nombre d’attaque semble s’être amplifié au cours de ces dernières semaines. Ainsi, fin juillet, cinq militaires burkinabè furent tués par l’explosion d’un engin explosif improvisé, de même que, quelques jours plus tard, cinq gendarmes.
Des attaques innombrables
Plus récemment, les villages de Diabiga et de Kompienbiga, dans l’est, ont été attaqués au cours de la nuit du 14 au 15 septembre. Bilan : 8 civils tués. Deux jours après, un missionnaire italien, Pier Luigi Maccolli, a été enlevé à Bamangoa, au Niger, par des hommes armés venus du Burkina Faso voisin. Ce rapt a été suivi, le 23 septembre, par celui de trois employés (dont un Indien et un Sud-Africain) de la mine d’or d’Inata. Dans la foulée, 3 des 10 gendarmes partis à leur recherche ont perdu la vie dans une embuscade qui leur avait été tendue dans les environs de Tangomayel.
Puis, le 26 septembre, 8 soldats burkinabés ont été tués après que leur véhicule, en tête de convoi, a sauté sur une mine artisanale après avoir franchi un pont dans les environs de Baraboulé, lors d’un déplacement vers Djibo, le chef-lieu de la province du Soum.
« [Ces] attaques lâches et horribles n’entameront jamais notre commune détermination à défendre l’intégrité du territoire national, à rétablir la paix et la sécurité pour le bonheur et la prospérité du peuple burkinabè », a commenté Roch Marc Christian Kaboré, le président du Burkina Faso.
Une semaine plus tôt, son Premier ministre, Paul Kaba Thiéba, avait évoqué une situation sécuritaire « considérablement dégradée depuis le début de cette année 2018. » Et d’ajouter, lors d’une intervention au Parlement : « Il s’agit sans doute d’une guerre. Une guerre injuste et imposée à notre peuple. Nous allons la mener pour défendre chaque pouce de notre territoire. Nous allons la mener pour assurer la sécurité des Burkinabè et de leurs biens. »
Alors que la Force conjointe du G5 Sahel se met en place avec le soutien de Barkhane, la situation, le Burkina Faso suscite beaucoup d’inquiétudes. Au moins deux raisons peuvent expliquer la dégradation sécuritaire constatée. La première est que la population du Soum, relativement délaissée par Ouagadougou, a été « travaillée » par Malam Dicko, ce dernier lui ayant tenu un discours « social » en prônant l’égalité entre les classes sociales et la remise en cause des chefferies coutumières.
« Cette rhétorique lui vaut un écho considérable, surtout parmi les jeunes et les cadets sociaux. Même s’il perd une grande partie de ses adeptes lorsqu’il bascule dans la lutte armée, il parvient à en conserver suffisamment pour mener une guerre de basse intensité contre les autorités locales et nationales », notait, en 2017, un rapport de l’International Crisis Group.
La seconde raison est que les forces de sécurité ont été considérablement affaiblies de le départ du président Blaise Compaoré, en octobre 2014. Les armées ont été désorganisées et les unités classiques et/ou dites « d’élite », comme le 25e régiment de parachutistes commandos, n’ont nullement bénéficié de la dissolution, en 2015, du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), lequel « vampirisait » en quelque sorte leurs moyens. En outre, les capacités en matière de renseignement sont bien trop faibles pour avoir une quelconque efficacité.
Un point qu’a soulevé l’opposition burkinabè. « L’insécurité prend des proportions inquiétantes dans notre pays. Dans la région de l’Est en plus des attaques par mines piégées contre les forces de défense et de sécurité, les assaillants s’en prennent à des édifices publics et assassinent froidement des civils […] Les attaques auraient pu être circonscrites voire stoppées si nos autorités avaient équipé de manière adéquate nos forces de défense et de sécurité. Si elles avaient suffisamment réorganisé et outillé les services de renseignements tout en veillant à ce que le moral de nos valeureux soldats demeure haut. Mais tel n’est pas le cas », a ainsi déploré Jean Nacoulma de l’Union pour le progrès et le changement [UPC].
Cela étant, si le groupe Ansarul Islam a beaucoup fait parler de lui entre 2016 (année de sa création) et 2017, il n’est pas certain qu’il soit derrière les dernières attaques commises au Burkina Faso, faute de revendication [seules les attaques de Ouagadoudougou, en mars, ainsi que le rapt d’un enseignant et le meutre d’un élu, en avril, ont respectivement été revendiqués par le Groupe de soutien à l’islam et au musulmans et l’État islamique au Grand Sahara, ndlr].
« La situation dans le Nord et l’Est du Burkina-Faso reste fragile. Il n’est pour le moment pas possible de caractériser qualitativement la dizaine d’attentats à l’engin explosif improvisé qui ont eu lieu dans cette zone depuis presque un an. Ces attaques n’ont pas été revendiquées », a ainsi expliqué l’État-major des armées, à Paris, dans son compte-rendu de l’opération Barkhane, la semaine passée.
Pour le chercheur Mahamoudou Savadogo, les auteurs de ces attaques pourraient être des membres de l’État islamique au Grand Sahara [EIGS], une organisation durement frappée par Barkhane ces derniers temps. Ils « repliés dans l’est du Burkina, le maillon faible de la sous-région », a-t-il dit, dans les colonnes du quotidien Le Monde.
« On voit que la cellule utilise la même stratégie que les jihadistes des pays voisins : elle s’est formée en s’appuyant sur des chefs influents des communautés locales. Ses leaders seraient des fils de dignitaires de la région, radicalisés après un séjour au Mali pour étudier le Coran. Le mode opératoire prouve qu’il s’agit d’individus maîtrisant parfaitement le terrain et la forêt, donc natifs de la région et expérimentés dans l’art de la guerre », a expliqué M. Savadogo.
En outre, s’installer dans les régions de l’est du Burkina Faso présenterait plusieurs avantages pour ces jihadistes. Cela « permet de mettre la main sur les couloirs des trafics : braconnage, armes, ivoire et drogue » et « en ouvrant un nouveau front dans l’Est, ces éléments viseraient à mettre en difficulté la stratégie de la force conjointe du G5 Sahel », estime le chercheur burkinabè.
Pour Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute, alors il y aura un risque de contagion à des pays jusque-là relativement épargnés par le phénomène jihadistes. « Si l’Est est pris, il y a le risque de débordement vers des pays qui étaient très éloignés de l’épicentre du jihadisme, comme le Ghana ou la Côte d’Ivoire », estime-t-il.