L’attentat de la rue Copernic (2), un suspect palestinien et une enquête bâclée

des milliers de personnes défilent, le 03 octobre 2000 à Paris, pour protester contre l'attentat à l'explosiv visant la synagogue de la rue Copernic, dans la nuit du 03 octobre. (Photo by STF / AFP)

Le 3 octobre 1980, un attentat contre la synagogue de la rue Copernic à Paris suscite une émotion considérable. Une bombe de très forte puissance posée sur le trottoir devant l’édifice religieux tue quatre personnes et en blesse quarante. Ce lundi 3 avril, soit 43 ans après les faits le procès se tient devant la Cour d’assises spéciale de Paris, mais en l’absence du principal suspect, Hassan Diab, qui a pu bénéficier en 2018 d’une étrange libération.

Extradé du canada en 2014 et incarcéré en France, Hassan Diab a bénéficié en 2018 d’un surprenant non lieu qui lui a permis de sortir de prison et de quitter la France. Trois ans plus tard, la justice a annulé ce non-lieu et renvoyé le suspect devant une cour d’Assises. Mais depuis le Canada, Hassan Diab a fait savoir qu’il ne viendra pas à son procès.

Dans son livre « Rue Copernic, l’enquête sabotée » (L’Artilleur), le journaliste Clément Weill-Raynal apporte de nombreuses révélations sur l’affaire.

Nous publions un deuxième volet des « bonnes feuilles » de ce travail passionnant sur une enquête bâclée.

Hassan Diab 

Hassan Diab, un universitaire respecté

Lorsqu’en 1999, les magistrats français identifient Hassan Diab et le repèrent au Canada, ce dernier présente de prime abord le profil d’un immigré anonyme ayant quitté le pays du Cèdre pour celui de la feuille d’érable. Il a rompu les ponts avec son Liban natal, miné par quinze ans de guerre civile, pour refaire sa vie au Canada dont il a acquis la nationalité avant de devenir un honorable universitaire au département de sociologie de la fac d’Ottawa. Pourquoi et dans quelles circonstances a-t-il quitté le Liban ? Quand et comment est-il arrivé au Canada, quelles ont été les étapes de son périple ? Tout au long de l’enquête, policiers et magistrats vont reconstituer son itinéraire. Ils vont aussi s’attacher à recueillir des éléments sur sa personnalité et sur sa vie lorsqu’il était étudiant à Beyrouth.

Des demandes vont être adressées aux autorités libanaises et aux services d’immigration de plusieurs pays. Car Hassan Diab ne s’est pas rendu directement au Canada. Ses pérégrinations ont débuté en 1987. Il est tout d’abord parti à Chypre où il s’est marié avec Nawal Copty, une compatriote libanaise d’origine palestinienne dont il aurait fait la connaissance à l’Université américaine de Beyrouth. Selon les informations collectées par la DST française, Nawal Copty était aussi connue au Liban comme une militante politique proche du FPLP. Le mariage a été célébré à Nicosie le 21 août 1987. Trois jours plus tard, le couple est en Grèce, à Athènes, et obtient deux visas pour les Etats-Unis. Hassan Diab et Nawal Copty s’envolent sans tarder vers l’Amérique où ils arrivent le 27 août 1987. En 1988, Hassan Diab, fort de son DEA de sociologie obtenu à Beyrouth, s’inscrit à l’université privée de Syracuse, une ville de l’Etat de New-York, située à une centaine de miles de la frontière canadienne. L’université, principal employeur de l’agglomération, est non-confessionnelle et réputée pour son progressisme. L’ancien étudiant libanais y décroche quelques heures d’enseignement qui l’aident à financer la poursuite de son cursus. Tout en résidant à Syracuse, il obtient également à partir de 1989 un poste d’enseignant à la Bishop University de Lennoxville, au Québec. Selon les renseignements transmis par Interpol, le couple voyage fréquemment entre les USA et le Canada, où habitent les parents de Nawal Copty. Sa première entrée au Canada est enregistrée en juin 1989. Le prof de socio entame dès cette époque les premières démarches pour obtenir la nationalité canadienne qui lui sera accordée en 1995

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Hassan Diab est finalement extradé vers la France où une enquête est ouverte NDLR

Le 12 janvier 2018, les deux juges antiterroristes, Jean-Marc Herbaut et Richard Foltzer ont rendu une ordonnance de non-lieu

Une ordonnance de non lieu

A la surprise générale, Hassan Diab est sorti de prison. Le 12 janvier 2018, les deux juges antiterroristes, Jean-Marc Herbaut et Richard Foltzer ont rendu une ordonnance de non-lieu, estimant que les charges recueillies lors de l’enquête, n’étaient finalement pas « probantes ». Cette décision a suscité l’incompréhension des milieux judiciaires et la colère des vingt-quatre parties civiles. Le parquet a immédiatement fait appel de ce non-lieu. Mais – la procédure pénale est ainsi faite – rien ne pouvait désormais empêcher la libération de Hassan Diab.

Le jour-même, le professeur de sociologie a été libéré de la cellule où il se trouvait à l’isolement depuis plus de trois ans et a quitté la prison de Fleury-Mérogis, en banlieue parisienne, par la grande porte. Il a bénéficié de tous les égards dus à un innocent blanchi après avoir fait l’objet d’une incarcération injuste. Il a immédiatement été pris en charge par un représentant de l’ambassade du Canada en France qui lui a remis un passeport provisoire afin de pouvoir retourner sans encombre dans son pays d’adoption.

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L’étrange revirement judiciaire

Demeure la question centrale : sur quels éléments objectifs le juge Jean-Marc Herbaut, principalement en charge du dossier, et son collègue Richard Foltzer, se sont-ils basés pour prononcer une telle décision en faveur de Hassan Diab ? Quel développement décisif les a poussés à innocenter l’universitaire libano-canadien, réduisant à une peau de chagrin les indices, charges, témoignages et pièces à conviction patiemment accumulés par le juge Marc Trévidic et tous ceux – policier et magistrats – qui l’avaient précédé tout au long de ces trente-huit années d’enquête ? Ce revirement est d’autant plus difficile à comprendre que deux ans auparavant, le juge Foltzer avait lui-même manifesté ses doutes et sa plus grande méfiance face aux dépositions de Hassan Diab et de son épouse Nawal Copty. Lors des interrogatoires, il avait souligné le caractère peu convaincant de leurs explications.

Lorsqu’on examine l’ordonnance de non-lieu, on ne peut être que frappé de la fragilité des arguments qui ont justifié la libération de celui qui faisait – et fait toujours – figure de suspect numéro dans l’attentat de la rue Copernic. Ce qui, pour l’essentiel, a emporté la conviction des deux juges d’instruction, ce sont cinq nouveaux témoins que la défense a annoncé en 2016 avoir retrouvés. Ces cinq ex-étudiants de l’université de Beyrouth affirment que Hassan Diab était bien présent avec eux lors de la session des examens de l’automne 1980, ce qui rendrait impossible sa présence à Paris dans les jours qui ont précédé et suivi l’attentat de la rue Copernic. A ceci près que leurs souvenirs sont forts imprécis, ce qui n’a rien d’étonnant pour un fait mineur qui remonte à trente-six ans, et de surcroît invérifiables.

Des dates d’examen mystérieuses

L’avocat libanais Hussain Ali Saleh a passé sa licence de sociologie en 1982, en même temps que Hassan Diab. Il a lui aussi émigré au Canada dans les années 90 où il a retrouvé son ancien camarade de fac, avant de retourner au Liban. Hussain Ali Saleh a donc accepté de témoigner. Il est interrogé le 18 octobre 2016 dans le bureau de l’avocat général de la cour de cassation de Beyrouth, en vertu d’une commission rogatoire internationale lancée par la justice française. Pour la circonstance, le juge Herbaut a fait le déplacement jusqu’au Liban, accompagné d’un officier de la Direction générale de la sécurité intérieure, le service de renseignement qui a succédé à la DST. L’interrogatoire se déroule en arabe avec l’assistance d’une interprète libanaise. Hussain Ali Saleh dit se souvenir que Hassan Diab était présent à Beyrouth aux épreuves de fin d’année en 1980, 1981 et 1982.

  • Les examens se passaient généralement au mois de juillet, explique-t-il, mais en 1980, je pense qu’ils se sont déroulés en octobre ou bien vers la fin du mois de septembre en raison des combats de la guerre civile. Ils duraient un mois et nous présentions treize matières.
  • Vous souvenez-vous des dates précises auxquelles ces épreuves se sont déroulées ? demande le magistrat libanais.

Hussain Ali Saleh ne s’en souvient pas et concède qu’il n’a pas gardé le moindre document permettant d’établir les dates d’examen. Il assure en revanche fonder sa mémoire sur la concomitance avec un souvenir personnel.

Voici l’essentiel de la déposition du témoin Hussain Ali Saleh consigné sur le procès-verbal d’audition. On le constate, il n’en ressort en définitive que des souvenirs très vagues, qui n’établissent en rien un alibi sérieux en faveur de Hassan Diab.

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Que vaut un tel témoignage ?

Quel crédit accorder à un témoin, même de bonne foi, qui vient déclarer en substance : « Je me souviens, il y a 36 ans, tel étudiant, que je ne connaissais d’ailleurs pas si bien que ça, était avec moi dans l’amphithéâtre ou dans la salle de classe lorsque nous avons passé nos examens dont je ne parviens plus à me rappeler la date exacte ». Or, ce dernier point est fondamental pour étayer ou non l’alibi de Hassan Diab. A en juger par les tampons qui figurent sur son passeport, il est suspecté d’avoir quitté le Liban le 20 septembre et d’y être revenu le 7 octobre 1980. Le lointain souvenir d’épreuves universitaires qui seraient déroulées au cours de ces deux mois, sans qu’on parvienne à en déterminer les dates exactes, ne permet en rien d’établir un alibi en sa faveur.

Les magistrats parisiens se sont bien sûr tournés vers les autorités libanaises et l’administration de l’université de Beyrouth pour tenter de savoir quand se sont tenus les examens de première année de sociologie en 1980 et de seconde année en 1981. Les Libanais ont fait savoir qu’en raison de la disparition des archives de l’université, il leur était impossible de déterminer les jours précis où se sont tenues ces épreuves mais que ces examens se seraient déroulés « au mois d’octobre », sans plus de précision

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Cadavre d’une victime lors de l’attentat antisémite contre une synagogue de la rue Copernic en octobre 1980 à Paris, France. (Photo by Micheline PELLETIER/Gamma-Rapho via Getty Images)

La mémoire qui planche

Les autres témoignages sont à l’avenant. Salwa Saad, l’ex-fiancée de de Hussain Ali Saleh était aussi étudiante en sociologie à l’université de Beyrouth. A la demande de la défense, elle a également consenti à venir témoigner, mais sa mémoire lui fait grandement défaut.

  • Vous souvenez-vous des périodes d’examens en 1980, 1981 et 1982 ? demande le juge libanais.
  • Je ne me souviens plus de rien, dit-elle.

Pour le reste, Salwa Saad ne fournit que des éléments épars.  Elle indique que les périodes d’examens s’étendaient sur deux semaines. « Nous devions attendre plus que deux semaines pour voir les résultats s’afficher », ajoute-t-elle sans plus de précision.

(…)

Meyssoun Haïdar Slimane est le troisième témoin produit par la défense. Elle aussi était étudiante en sociologie et a obtenu sa licence la même année que Hassan Diab.  « Je me souviens bien de sa présence lors des examens de fin d’année en 1980,1981 et 1982. Il venait à mon domicile pour que nous étudions et révisions ensemble avant les examens. Quelque fois, il dormait sur le canapé du salon, les soirs où nous passions toute la nuit à étudier », témoigne-t-elle dans le bureau de l’avocat général. « Quand ont eu lieu les examens de 1980 ? », demande une nouvelle fois le magistrat libanais.

  • Je ne me souviens pas exactement. Je pense que la date de ces examens était au mois de juin ou à la fin du mois de mai, répond-elle.

Le juge lui indique que, selon Hassan Diab, ces examens auraient eu lieu à l’automne, en septembre ou en octobre. Il lui demande si elle a conservé des documents susceptibles d’éclairer les enquêteurs sur ce point. 

  • Je ne me souviens plus s’ils ont eu lieu en septembre ou octobre et je n’ai gardé aucun document qui permette d’établir la date, répond-elle à l’instar des autres témoins. 

Interrogé à son tour sur les dates d’examens, l’ex-étudiant en sociologie Ahmed Abdelhadi Soueidane fait preuve d’une mémoire très lacunaire.

Le juge :

  • Vous souvenez-vous des périodes d’examen de 1980,1981 et 1982 ?

Le témoin :

  • Je ne me souviens plus de rien.
  • Quelle était la durée approximative des examens de première et deuxième année ? Combien de temps deviez-vous attendre avant la proclamation des résultats ?
  • Je ne me souviens plus de rien.
  • Hussain Ali Saleh déclare que vous étiez amis. Vous souvenez-vous de son anniversaire en 1980 et plus particulièrement si cette fête a été célébrée avant ou après les examens de fin d’année ?
  • Je ne me souviens plus de rien.

Réponses laconiques

À douze reprises, lorsqu’on l’interroge sur ses souvenirs de l’université de Beyrouth. Ahmed Abdelhadi Soueidane formule cette réponse laconique. Puis, lorsque le juge l’interroge sur la présence de Hassan Diab aux examens durant les trois années de licence, il répond sans l’ombre d’une hésitation :

  • Effectivement, je pense que Hassan Diab a réussi les trois années à la première session. S’agissant de sa présence, il me semble qu’il se trouvait dans la même salle que la mienne.

L’assurance de ce témoin est d’autant plus notable qu’Ahmed Abdelhadi Souedi reconnaît avoir perdu tout contact avec Hassan Diab depuis la fin de l’université. A trente-six ans de distance, il ne se souvient plus de rien sauf de la présence en salle de classe, lors d’une session d’examen, de ce lointain camarade d’études qu’il n’a pas revu depuis des lustres.

Dix lignes pour justifier l’innocence

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Ce sont donc ces témoignages – à la fois, fragiles, douteux, imprécis, invérifiables et même contradictoires – qui ont emporté la conviction des juges Herbaut et Foltzer. Dans leur ordonnance de non-lieu, les deux magistrats concluent que les explications données par les cinq anciens étudiants beyrouthins sont « globalement concordantes avec celles de Hassan Diab ».

En moins d’une dizaine de lignes, les juges parisiens valident ces témoignages, leur accordent une valeur déterminante considérant qu’ils contrebalancent toutes les autres charges retenues contre Hassan Diab lors de l’enquête.

L’attentat de la rue Copernic (volet 1), la faute à l’extrême droite, forcément

 

 

L’attentat de la rue Copernic (volet 1), la faute à l’extrême droite, forcément