L’attentat de la rue Copernic (volet 1), la faute à l’extrême droite, forcément

Le 3 octobre 1980, un attentat contre la synagogue de la rue Copernic à Paris suscite une émotion considérable. Une bombe de très forte puissance posée sur le trottoir devant l’édifice religieux tue quatre personnes et en blesse quarante. Ce lundi 3 avril, soit 43 ans après les faits le procès se tient devant la Cour d’assises spéciale de Paris, mais en l’absence du principal suspect qui a pu bénéficier en 2018 d’une étrange libération et quitter la France. 

Dans son livre « Rue Copernic, l’enquête sabotée » (L’Artilleur), le journaliste Clément Weill-Raynal apporte de nombreuses révélations sur l’affaire.

Nous en publions les « bonnes feuilles ».

L’auteur de ce livre, le journaliste Clément Weill-Raynal

La manipulation de l’opinion pour accréditer la thèse d’un attentat nazi est venu de tous les horizons politiques

Par quel étrange mécanisme intellectuel la thèse d’un crime perpétré par un groupe nazi clandestin s’est-elle imposée dans les esprits dès le soir de l’attentat ? Emotion collective mal contrôlée, récupération politique, opération concertée de désinformation ? Il faut relire la presse de ce mois d’octobre 1980 pour prendre la mesure du vent de folie qui a agité l’ensemble de la société française.

Hommes politiques, syndicalistes, responsables associatifs, journalistes, intellectuels, autorités morales… tous ont accouru pour sonner le tocsin, dénoncer la menace nazie planant sur le pays. Tous – à travers des tribunes, des déclarations, des banderoles, des cortèges, des manifestations, des imprécations – ont clamé que cette fois le fascisme ne passerait pas, qu’il faudrait compter avec eux, qu’ils étaient prêts pour le combat. Tous ont tendu leur poitrine avec une bravoure d’autant moins risquée que les bruits de bottes SS sur le pavé parisien n’avaient résonné que dans leur imagination.

Cadavre d’une victime lors de l’attentat antisémite contre une synagogue de la rue Copernic en octobre 1980 à Paris, France. (Photo by Micheline PELLETIER/Gamma-Rapho via Getty Images)

Qui, le premier, a lancé le mot d’ordre ? Au sommet de l’Etat, on est resté prudent. Le vendredi soir, un communiqué de l’Elysée qualifie l’attentat « d’odieux » et assure que la police va rechercher les coupables. Le Premier ministre Raymond Barre va dans le même sens et le ministre de l’Intérieur Christian Bonnet promet que les pouvoirs publics mettront tout en œuvre pour retrouver les assassins. 

Ces déclarations convenues sont vite estompées par la clameur publique. Dès les premières heures, la gauche, dans toutes ses composantes, mène le bal. Le Parti Socialiste exige la démission du ministre de l’Intérieur et s’émeut de « l’impunité » dont serait assuré « le terrorisme d’inspiration néo-nazie et raciste ». Le premier secrétaire du PS François Mitterrand, futur candidat à la présidence, enfonce le clou et dénonce la présence « d’activistes d’extrême-droite » jusque dans l’entourage du président de la République Valery Giscard d’Estaing.

« Le ver est dans le fruit », avertit François Mitterrand. Son jeune lieutenant, Jean-Pierre Chevènement qui incarne l’aile gauche du PS en rajoute : « La vérité est qu’une véritable osmose s’est créée entre une partie du personnel dirigeant giscardien et l’extrême-droite française, de Vichy en passant par l’OAS », déclare celui deviendra ministre de la Défense puis ministre de l’Intérieur sous plusieurs gouvernements socialistes. Le Parti Communiste appelle tous les « travailleurs » à « exprimer leur indignation devant ce crime, à s’opposer à toutes les activités et agressions de caractère raciste et fasciste ». Les communistes exigent du gouvernement « qu’il se décide enfin à prendre les mesures efficaces qui s’imposent pour mettre un terme à ces activités et, en premier lieu, à celles des groupes néo-nazis ».

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Manifestation après l’attentat de la rue Copernic à Paris, France. (Photo by Patrick SICCOLI/Gamma-Rapho via Getty Images)

Une marée humaine

Le PCF fait aussi appel à toutes ses organisations satellites pour battre la campagne. Le MRAP, le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples, va connaître son heure de gloire en prenant la tête de la croisade. Une grande manifestation « unitaire » est organisée pour la semaine suivante, le mardi 7 octobre. Ce sera une marée humaine. Plus de 200.000 personnes à Paris se joignent au cortège en tête duquel le MRAP a déployé une banderole « Halte au racisme, halte au fascisme ».

Tous les partis de gauche sont là, les communistes, les socialistes, les centristes des radicaux de gauche, les durs de la Ligue Communiste Révolutionnaire et du Parti Communiste Marxiste-Léniniste, les intellos du Parti Socialiste Unifié. Même les partis de la droite gouvernementale ont accepté de participer au grand rendez-vous républicain qui, dans ces heures graves, est censé transcender tous les clivages. L’UDF du président Valery Giscard d’Estaing est là. Les gaullistes du RPR aussi. Les principaux syndicats, la CGT, la CFDT ont appelé leurs adhérents à descendre dans la rue. La Fédération Nationale de l’Enseignement est présente ainsi que les cadres de la CGC. Les antiracistes de la LICRA défilent derrière leur propre banderole mais ont intégré le cortège, tout comme le CRIF, le Conseil représentatif des organisations juives de France, qui a appelé l’ensemble de ses organisations à se rassembler sous le mot d’ordre suivant : « La communauté juive unie contre le fascisme et le terrorisme». Le MRAP a réussi à entrainer toute la France – ou presque – dans son sillage.

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A Paris comme en province, le démarrage des cortèges a été fixé à 17 heures. Pour permettre à chaque Français de s’y associer, les entreprises, les usines, les bureaux, les lycées ont unanimement décidé de libérer les salariés et les élèves deux heures plus tôt. L’annonce en a été faite sur les radios et à la télévision. A quelques heures de la manif, le journal de la mi-journée d’Antenne 2 (qui ne s’appelle pas encore France 2) a longuement donné la parole à Albert Lévy, le secrétaire général du MRAP, qui a une nouvelle fois appelé tous les Français à venir protester « contre le néo-nazisme ». Des manifestations ont lieu à Lyon, Bordeaux, Lille, Marseille, Avignon, Aix-en-Provence, Grenoble, Montpellier, Orléans… A Reims, le cortège s’est d’abord rassemblé devant l’ancien siège de la Gestapo avant de gagner le monument de la Résistance et celui aux morts des deux guerres mondiales. A Rennes, le trajet de la manifestation a été organisé du monument de la déportation à l’hôtel de ville.

Pierre Mauroy, Michel Rocard et François Mitterrand dans la manifestation du 7 octobre 1980, à la suite de l’attentat de la rue Copernic, à Paris, France. (Photo by Michel BARET/Gamma-Rapho via Getty Images)

« Ceux qui ont vécu le nazisme…’

Depuis quatre jours, tout le monde y va de son communiqué. Chaque organisation rivalise dans l’emphase et la surenchère. La France est appelée à se dresser « contre le fascisme », « contre le nazisme », « contre les fascistes », « les néo-nazis », « les groupuscules nazis », « l’hydre nazie », « la bête immonde », « les émules d’Hitler », « les nostalgiques du Troisième Reich »… Difficile de s’opposer à une telle déferlante.

Même à droite, les têtes les plus froides cèdent à la pression ambiante et sacrifient à cet exorcisme. Le président de l’Assemblée Nationale et ex-Premier ministre, Jacques Chaban-Delmas, qui est ancien résistant, déclare à la tribune de l’hémicycle : « ceux qui ont vécu le nazisme sont déterminés à en combattre les résurgences ! ». Raymond Barre, s’exprime à son tour face aux députés. Il veut faire oublier sa petite phrase maladroite de la semaine passée opposant « les fidèles Juifs » aux « Français innocents ».

Le Premier ministre dispose déjà des premiers éléments de l’enquête, qui orientent les investigations vers une piste moyen-orientale, mais ne communique aucune information à ce sujet. Avec des trémolos dans la voix, il évoque le nazisme : « Le terrorisme est un crime sans visage qui, par sa nature même, ne frappe que des innocents. L’horreur qui s’y attache est encore aggravée par le fait que l’attentat visait ceux d’entre nous qui, il y a quarante ans à peine, ont connu des épreuves indicibles. Qui depuis vendredi dernier n’a cessé d’évoquer le long cortège de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants qui, par millions, ont disparu dans la nuit et le brouillard ».

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La presse va jouer sa partition et accélérer la cadence. Chacun y va de son explication. Tous accusent. Le Nouvel Observateur accuse la police française d’avoir trop longtemps fermé les yeux sur les activités de l’extrême-droite. L’éditorialiste de L’Express accuse les intellectuels de « la Nouvelle Droite », d’avoir rénové les arguments idéologiques qui faisaient défaut aux nationalistes. Le Point accuse « la mode rétro » d’avoir conditionné les esprits. Jacques Fauvet, le directeur du Monde, rédige au lendemain de l’attentat un article solennel publié à la une. Il considère que le gouvernement n’a pas vu venir « L’horreur prévisible », c’est le titre de son éditorial. « Les mouvements antiracistes, les syndicats de police, les néo-nazis eux-mêmes avaient prévu cette escalade », écrit Fauvet qui reproche à la hiérarchie policière un aveuglement idéologique : « La police est en retard d’un extrémisme. Depuis des mois, depuis des années, elle a pour mission essentielle de combattre l’extrême-gauche, sans trop se soucier de l’extrême-droite (…). Toute à ses combats d’arrière-garde contre les mille et une variante du marxisme, dont elle ne cesse pourtant de célébrer la mort, toute une classe intellectuelle, dominante dans les cénacles et les grands médias, en a oublié de riposter et même de prêter attention aux articles et aux œuvres qui véhiculent une doctrine fondamentalement  autoritaire, élitiste et raciste »,  dénonce le directeur du Monde.

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Les services de renseignement au Parfum

Toutes ces analyses, ces appels héroïques et ces indignations qui ne reposaient sur aucun élément tangible et sérieux, ont été démentis par les faits. Mais dans ce climat d’aveuglement collectif, qui était prêt à reconsidérer son opinion ? On le sait aujourd’hui, dès les premiers jours de l’enquête, la police et les services de renseignements français avaient privilégié la piste moyen-orientale. Dans un ouvrage récent, Sept pas vers l’enfer – Séparatisme islamiste : les désarrois d’un officier de renseignement (2022 – Flammarion), Alain Chouet qui occupa durant trente années des postes de responsabilité au sein de la DGSE, les services secrets français, livre ce souvenir :  « Dès le mois de novembre 1980, les services de renseignement français en coopération avec leurs homologues allemands, ont relevé des éléments significatifs et concordants impliquant dans l’attaque cinq militants palestiniens venus de Beyrouth avant d’y retourner aussitôt. Ces éléments furent considérés comme irrecevables par les élites parisiennes, pour qui un attentat antisémite en France ne pouvait avoir été commis que par des militants d’extrême droite ou néonazis et en aucun cas par d’aimables résistants palestiniens pour lesquels la gauche caviar avait alors les yeux de Chimêne ».

Dans le deuxième volet de cette série, de Mondafrique sur le livre de  Clément Weill-Raynal, nous verrons comment, après vingt ans d’enquête, un suspect est identifié. Hassan Diab, un citoyen libanais émigré au Canada où il est devenu professeur d’université