Danseur émérite et ancien ambassadeur de France à Tunis lors de la chute du président Ben Ali, qu’il a constamment défendu, Pierre Ménat n’a rien compris au printemps tunisien. Dans un livre affligeant, le diplomate se justifie.
L’ancien ambassadeur de France à Tunis, Pierre Ménat, vient de publier aux éditions « l’Harmattan » un livre affligeant au titre lyrique: « Un ambassadeur dans la Révolution tunisienne ». Cette présentation est déja une imposture, puisque Pierre Ménat, connu à Tunis comme un amateur de karaoké et un bon vivant, a été viré par le gouvernement Fillon dix jours après une révolution tunisienne à laquelle il n’a rien compris. A tel point que le vendredi 14 janvier au matin, date du départ de l’ex président Ben Ali, ce diplomate avisé rédigea un « télégramme diplomatique » pour Paris où il affiche une totale sérénité sur la suite des événements. Le président Ben Ali, assure Ménat à ses interloctureurs du Quai d’Orsay et de l’Elysée, controle la situation. Grace au discours d’apaisement prononcé la veille au soir (libération du Net, assurance de ne pas se représenter en 2014), le chef d’Etat tunisien est assuré de rester en place.
Cet ambassadeur qui avait son rond de serviette au Palais de Carthage, siège de la présidence tunisienne, était tellement sûr de son fait, qu’il laisse fuiter le télégramme signé de sa main à la journaliste du « Monde », Isabelle Mandraud, présente sur place. Le vendredi 14 janvier en début d’après midi, le quotidien en publie des extrait. Ainsi le très dévoué ambassadeur, plus chaouch d’ailleurs que vraiment diplomate, espère obtenir les faveurs de la dictature une fois l’orge passé.
A peine deux heures plus tard, ce même vendredi, le président Ben Ali, accompagné de sa famille, prend la fuite vers l’Arabie Saoudite. L’ambassadeur de France a faux sur toute la ligne, mais l’a clamé haut et fort par cette malencontreuse fuite organisée dans la presse. A l’incompétence, le diplomate ajoute la forfanterie. Ce qui ne l’empêhe pas aujourd’hui de publier un livre au titre flamboyant sur ces journées historiques
Rien vu, rien entendu
Le lecteur qui chercherait dans le livre du diplomate des analyses sur la Tunisie du printemps arabe, des portraits des principaux acteurs tunisiens, des explications pertinentes sur la chute de ce régime supposé fort, des épisodes inédits, voire croustillants, resta sur sa fain. Monsieur Ménat, ne sait rien, n’a rien entendu, n’a rienvérifié, même sur les sujets où les événements sont mieux connus désormais, comme le déroulement de la journée historique du 14 janvier, sans doute plus une révolution de palais qu’un soulèvement populaire.
En fait, le seul objet du livre est l’auto-justification d’un fonctionnaire médiocre face à toutes les critiques. On revient donc sur quelques épisodes peu glorieux. Quel affichage quand le livre « la Régente de Carthage », signé en 2008 par l’auteur de ces lignes et Catherine Graciet, est sur le point de sortir et que Ben Ali est furieux? Que faire pour recevoir les journalistes du « Monde », Florence Beaugé et Isabelle Mandraud, sans déplaire à Ben Ali? Comment justifier qu’on organise des soirées Karaoké avec Imed Trabelsi, le neveu de l’épouse de Ben Ali et sans doute le plus malfaisant des proches de l’ex Présidence, qui est aujourd’hui en prison? Comment expliquer qu’on ne savait rien du voyage de Michèle Alliot-Marie en Tunisie durant les vacances de Noël 2010?
Une balle dans le pied
Le pauvre Ménat se tire une balle dans le pied en citant même un de ses collègues diplomates Nicolas Galey, chargé du Maghreb à l’Elysée; qui lui a confié en 2013: « il y a deux ans, tu nous disais qu’il n’y avait pas de prisonniers politiques en Tunisie, maintenant que tu prétends avoir prévu la Révolution. Tu as toujours été dans le déni ». On se demande comment dans un livre d’auto-justification, Ménat a eu l’imprudence de publier cette confirmation de l’intérieur.
Le livre est intéressant seulement parce ce qu’il révèle involontairement. D’abord la médiocrité des motivations et de la carrière des ambassadeurs. Aucune analyse géopolitique, aucune réflexion sur le développement de la Tunisie, aucun débat sur la stratégie d’aide. Le seul objectif de Ménat -et sans doute de beaucoup d’ambassadeurs- est de passer de poste en poste. Dans sa vie de diplomate, Pierre Ménat qui ne recevait naturellement aucun opposant, n’a que quatre ou cinq interlocuteurs: le juriste Ben Dhia, directeur de cabinet de Ben Ali; les collaborateurs du ministre des affaires étrangères français; Lévitte, conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy à l’Elysée; enfin l’ambassadeur Tunisien à Paris.
Quand monsieur l’ambassadeur dine dans sa sompteuse résidence de La Marsa, c’est avec le réalisateur Serge Moati et sa femme ou alors avec le réalisateur Tarak ben Ammar et sa sœur Hélé Béji. Autant de mondanités franco-tunisiennes. Le service de l’Etat, le rayonnement de la France, la situation du lycée français, l’état des relations économiques, les dossiers Orange, Carrefouir… Autant de non sujets dans la sinécure de notre ambassadeur. Les soirées dansantes, en revanche, accaparaient toute son énergie.
Sarkozy, le grand absent
Dans tous les dossiers sensibles sur les droits de l’homme, n’apparaissent pas clairement les liens entre Sarkozy et Ben Ali, si tant est que ces derniers existaienti. Chaque fois qu’il faut protéger Ben Ali, les ordres ne viennent pas de l’Elysée, ni de Kouchner, lequel cherche à défendre les journalistes refoulés, mais de l’appareil du Quai (Lévitte, Galey, Degallaix, Ménat).
L’hotelier Hosni Djemali, le propagandiste de Ben Ali à Paris, expliquait à l’époque que le conseiller diplomatique de l’Elysée Lévitte avait pesé pour la nomination de Ménat. Ne serait ce que pour permettre à Mme Lévitte d’être régulièrement invitée en Tunisie aux frais de l’Agence de communication tunisienne (ATCE). Nicolas Sarkozy ne donne pas l’impression d’être concerné par la situation tunisienne, pas plus qu’il ne l’était vraiment par l’Afrique. Et lorsque, furieux, il congédie Ménat après la Révolution tunisienne, c’est alain Juppé qui le défend, le nomme ambassadeur à La Haye, lui remet la Légion d’Honneur.
Pourquoi les pontes du Quai ne soutiendraient-ils pas ce diplomate zélé qui a appliqué à la lettre la politique pro-Ben Ali du Quai?
Autres temps, autres fidélités
Depuis le début de la Révolution, le Quai d’Orsay de Laurent Fabius a choisi désormais de privilégier les liens avec le mouvement islamiste Ennahdha, au détriment des démocrates et des francophones. Bon élève, l’actuel ambassadeur Gouyette, qui dans une autre vie défendait au cabinet de Chevènement les dictateurs anti islamsites, met autant de zèle à coller au cheikh Ghannouchi, le vrai patron de la Tunisie, que Pierre Manat en mettait à suivre les désirs de Ben Ali à la fin de la dictature. Avec un tel suivisme, la France n’a évidemment pas retrouvé sa crédibilité entamée sous Ben Ali. Les Américains et les Allemands se sont engouffrés dans la brèche.
L’image de la France est pour longtemps brouillée auprès d’un peuple ami.