Dans un livre d’entretiens, le journaliste et fin connaisseur de l’Afrique, Seidik Abba, rend hommage au professeur de mathématique nigérien Boubacar Ba. Cet intellectuel d’exception fut le premier africain à avoir intégrer l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’ULM
Rappeler aujourd’hui les figures emblématiques de l’excellence africaine comme Senghor, Ki-Zerbo, Ba, Cheikh AntaDiop, n’est pas une démarche passéiste. Il s’agit surtout d’en faire des exemples qui montrent la voie aux jeunes Africains et confortent en eux le sentiment du « Yes, we can ». Seidik Abba.
« Entretiens avec Boubacar Ba, une nigérien au destin exceptionnel » Ed. L’Harmattan, avril 2015.
Parmi les personnalités aux destins hors du commun, peu choisissent la discrétion comme boussole de vie. C’est le cas du grand mathématicien nigérien Boubakar Ba, premier africain à avoir intégré l’ENS de la rue d’ULM en 1956, plus à l’aise devant ses équations qu’au micro des journalistes. Inconnu du grand public, le talentueux professeur qui a trainé sa bosse du Niger au Sénégal et de la Côte d’Ivoire à Madagascar pour transmettre son savoir fut un témoin exceptionnel de l’histoire de l’Afrique de l’Ouest. Dans un livre d’entretiens, le journaliste et fin connaisseur de l’Afrique Seidik Abba rend un hommage rare et précieux à cet intellectuel africain d’exception décédé à l’âge de 78 ans en avril 2013.
Conscience africaine
A travers de multiples anecdotes, les deux hommes retracent au fil de leur conversation près de cinquante ans d’histoire d’Afrique francophone. Plusieurs moments forts se glissent entre les lignes comme la rencontre dans les années 1950 de Boubacar Ba avec Leopold Sedar Senghor, futur premier président du Sénégal indépendant, alors député de l’AOF à l’Assemblée constituante. L’un des maîtres à penser de Ba, le Sénégalais Abdoulaziz Wane, ancien élève de l’Ecole Centrale et chef de cabinet du Premier ministre Mamadou Dia, l’introduit auprès de Senghor qui se chargera de lui obtenir une place au lycée Hoche à Versailles. Une parfaite démonstration de « la solidarité africaine que l’on retrouve chez les intellectuels de cette époque » note l’auteur. « Pour eux, la nationalité est africaine, et non pas nigérienne, sénégalaise ou tchadienne. » D’ailleurs, le professeur Ba se plaisait lui-même à se définir comme un « aoéfien ». Ce sont ces liens déterminants, qui ont posé les jalons de son parcours d’excellence, des classes préparatoires du lycée Louis-Le-Grand à l’Ecole Normale Supérieure.
Autre anecdote saillante, celle de la rencontre en 1968 avec Thomas Sankara à Antananarivo, la capitale malgache. Un épisode peu connu de la vie de celui qui pendant trois ans, a incarné l’anti-impérialisme panafricain à la tête du Burkina Faso avant d’être renversé par son frère d’arme Blaise Compaoré. Alors que Boubacar Ba oeuvre à Madagascar pour fonder l’Institut de Recherche en Mathématiques (IREM), Sankara, alors jeune officier stagiaire, se forme à l’art de la guerre à l’école militaire d’Antsirabé à l’est du pays. Lors de leur rencontre, M. Ba découvre une jeune homme ardent, doté d’une grande intelligence politique. « J’étais surpris à l’époque déjà par sa culture politique » explique le professeur. Bien plus ajoute l’auteur, « il perçoit chez Sankara une vraie conscience des enjeux africains (…). Il n’est pas vraiment surpris lorsqu’il apprend, plus tard, que Sankara a joué un rôle de premier plan lors du coup d’Etat de 1982 contre le lieutenant-colonel Saye Zerbo. Il n’a finalement pas été surpris non plus de voir le jeune capitaine se hisser à la tête de la Haute Volta de l’époque à la faveur du putsch de 1983 contre le médecin commandant Jean-Baptiste Ouédraogo ».
Un regard sur l’enseignement supérieur
En même temps qu’un témoignage personnel sur les grands enjeux politiques qui ont animé l’Afrique post coloniale, Boubacar Ba apporte une réflexion unique sur le développement du système universitaire sur le continent. Dans les années 1960-1970, plusieurs pays africains se lancent notamment dans une véritable course à l’enseignement supérieur. « Plutôt que la mutualisation des moyens pour créer des universités communes, les Etats africains ont opté pour la création d’universités nationales. (…) Derrière l’argument de souveraineté et de fierté nationales, des universités ont fleuri ici et là sur le continent. Avec partout les mêmes problèmes : sureffectifs, manque d’infrastructures, insuffisance de moyens, déficit d’enseignants chercheurs, inadéquation entre la formation universitaire et les réalités économiques. » D’où l’échec, raconté par Boubacar Ba, de la tentative de bâtir une université commune entre le Niger et la Haute-Volta. Un constat qui, malheureusement, fait écho aux insuffisances actuelles qui minent encore le système éducatif en Afrique de l’ouest. Preuve, par A+B, que la sage pensée de ce grand esprit matheu n’a pas pris une ride.
« Entretiens avec Boubacar Ba, une nigérien au destin exceptionnel », Seidik Abba, Ed. L’Harmattan, 2015. diffusion.harmattan@wanadoo.fr