Des foules en liesse, des audiences record et des millions en dons. En Afrique, depuis quelques années, les prophètes pentecôtistes charismatiques se multiplient et gagnent en pouvoir et influence, se projetant bien au-delà du religieux.
Mateo Gomez
REJOIGNEZ LA CHAINE WHATTSAPP DE MONDAFRIQUE
https://whatsapp.com/channel/0029VaGzyWS1noyxUdC89Z1c
Le pentecôtisme connaît une montée météorique en Afrique chrétienne, avec des milliers de nouveaux membres chaque année. Au Zimbabwe, par exemple, le Ministère Prophétique de Guérison et de Délivrance affirme que le nombre de ses membres est passé de 45 000 à plus d’un million en seulement cinq ans. Il s’agit d’un chiffre gigantesque dans un pays de 16 millions d’habitants.
Ces figures charismatiques dirigent des méga-églises où ils accueillent notamment des jeunes marginalisés, promettant et professant la guérison par la foi, la santé et la richesse. Et souvent, cet engouement des masses pour ces nouveaux leaders spirituels se traduit par quelque chose approchant un culte de personnalité.
Une étude menée en 2022 dans 34 pays africains par Afrobarometer confirme cette tendance : 69 % des personnes interrogées faisaient confiance aux chefs religieux ; 51% faisaient confiance à leur président. De nombreux adeptes pensent même que ce serait un déclassement pour un prophète de se présenter à la Présidence de la République.
Abus sexuels, emprise, corruption
Les prophètes ne se privent pas de cet amour des masses pour abuser de leur statut: structures ecclésiastiques autoritaires, abus sexuels, corruption, intimidation… Ils font même jouer la peur de représailles spirituelles: si on ne se soumet pas aux nouveaux élus de Dieu, la damnation, la faim ou la maladie frapperont. Après tout, martèlent-ils, leur parole est définitive, et la remettre en question serait un acte du diable, qui tente désespérément de nuire aux intermédiaires entre le Seigneur et l’humanité.
Mais leur succès n’est pas uniquement dû au facteur religieux. Une partie du succès s’explique aussi par toute l’œuvre sociale et caritative que ces méga-églises mènent, tels des repas gratuits ou des soins, offrant une alternative alléchante aux services étatiques des fois trop chers ou alors défaillants dans ces domaines. Toute l’opération est financée par les dons (non taxés) des adeptes dont la gestion est complètement opaque et privée. Ces prophètes se permettent par la suite des modes de vie fastueux qu’ils justifient comme la preuve ultime de leur évangile: ils ont la foi, donc ils attirent la prospérité et les bonnes grâces de Dieu.
Une économie parallèle
Et au delà du social, ces pères spirituels, qui se nomment eux-mêmes “papa” et appellent leurs adeptes leurs “enfants”, usent de leur richesse pour se faciliter la vie sur le plan juridique, en se payant les meilleurs avocats, et en échangeant de l’argent contre le silence lorsqu’une accusation d’abus fait surface. Et sur le plan politique, les élus (séculaires) font de leur mieux pour forger des liens forts et médiatisés avec ces prophètes. Qui sait, peut-être que cette masse de croyants pourra un jour se transformer en masse de votants. Les pentecôtistes charismatiques se positionnent donc comme conseillers voire guides spirituels des politiques, et en échange ceux-ci les protègent de la justice. C’est gagnant-gagnant.
Sous l’emprise de cette influence de plus en plus séculaire des prophètes, une économie parallèle se développe dans les rues, où les dons caritatifs des croyants permettent le financement de nombreux services et projets que ces mêmes croyants usent quotidiennement: nourriture, vêtements, argent et emplois au sein de l’Église – souvent sous la forme de dons de l’Église aux membres considérés comme pauvres.
Une machine bien huilée, que personne ne semble avoir intérêt à entraver.