Iran: l’agrégation des révoltes

Les manifestations qui ont éclaté en Iran le 17 septembre, au lendemain de la mort de Mahsa Amini, une jeune femme de 22 ans, séquestrée dans les locaux de la police des mœurs, ont aujourd’hui une ampleur jamais vue.

Un article d’Yves Mamou

Ces manifestations n’ont pas cessé, mais elles se sont amplifiées.  Tous les outils utilisés par le régime pour casser le mouvement ont été sans résultat. Ni la violence physique – selon le Wall Street Journal, une centaine de personnes auraient perdu la vie -, ni la suppression d’Internet pour empêcher les manifestants de communiquer entre eux, ni les contre- manifestations de femmes voilées et de fidèles du régime, ne se sont révélés d’une quelconque efficacité.

Le mouvement s’est maintenu. Mieux, il s’est étendu. Ses caractéristiques sont aujourd’hui les suivantes :

  • Il s’agit d’un mouvement ou les femmes sont en pointe. Toutes les vidéos qui parviennent en Europe et aux Etats Unis montrent que des milliers de femmes peuplent les manifestations et surtout qu’elles ont pris la tête des manifestations. Ces femmes ont brûlé leur foulard, coupé leurs cheveux, crié leur détestation du régime. Les Iraniennes des villes ne supportent plus les contraintes de la morale religieuse qui les oblige à sortir voilées, à ne pas utiliser un vélo et qui bannit leur présence dans les enceintes sportives. Bref, ce qui était l’épicentre idéologique du régime est aujourd’hui au cœur de la contestation.
  • Il s’agit d’un mouvement qui coagule les mécontentements. Les manifestations contre le régime se sont d’abord étendues au-delà de Téhéran en direction du Kurdistan d’où Mahsa Amini était originaire, puis elles ont touché des provinces frontalières, où de nombreuses minorités (Arabes, Baloutches…) sont mécontentes des politiques répressives du gouvernement. Des manifestations ont ainsi eu lieu dans la province du Sistan-Balouchistan, une des 31 provinces d’Iran et sans doute l’une des plus pauvres. Mais les émeutes ont également touché Ahvaz, la riche capitale du Khouzistan pétrolier. Il est possible de dire aujourd’hui que pas une province n’est épargnée dans la mesure ou d’importantes minorités ethniques non Perses vivent sur le territoire iranien. Ces soulèvements à la périphérie sont aussi facilités par le fait que la concentration de la répression sur Téhéran et les très grandes villes mobilise les forces de répéression.
  • Il s’agit d’un mouvement très violement réprimé. Amnesty International a recueilli des éléments de preuve attestant de l’utilisation illégale par les forces de sécurité de grenailles et autres plombs métalliques, sans parler de gaz lacrymogènes, de canons à eau et de coups de matraque pour disperser les manifestants. Les manifestations au Kurdistan ont été très violement réprimées. La fureur du régime a été jusqu’à bombarder des villes kurdes situées en territoire irakien. « L’Iran doit cesser son bombardement aveugle des villes kurdes (en Irak), qui a fait des morts innocentes et endommagé des infrastructures civiles a déclaré le gouvernement britannique.
  • Il s’agit d’un mouvement qui fait preuve d’ingéniosité pour communiquer. Au début, le mouvement s’est fortement appuyé sur les médias sociaux pour organiser les manifestations contre le régime théocratique. Mais l’interruption volontaire d’Internet a empêché le regroupement par Facebook, Whatsapp et Instagram interposés. Les manifestants ont alors recouru à des techniques pré-numériques. A Téhéran et Ahvaz, dans le sud-ouest de l’Iran, les manifestants distribuent des tracts papier qui contiennent des détails sur les manifestations prévues et les déclarations antigouvernementales. D’autres multiplient les graffitis sur les murs, avec des slogans comme « Femme, vie, liberté », qui est l’une des marques des manifestants. Les plus dégourdis sur le plan technique, contournent les interruptions d’Internet en ayant recours à des connexions sécurisées, des réseaux privés virtuels, ou bien captent des émissions par satellite en farsi comme Iran International, basée à Londres, qui publie des images des manifestations et fournit des mises à jour sur les manifestations prévues.
  • Il s’agit d’un mouvement qui ne recule pas devant la violence armée. A Zahedan (Khouzistan), un supermarché supposé appartenir au Corps des gardiens de la révolution islamique d’Iran, a été incendié, selon des vidéos mises en ligne sur le média social Storyful. A Téhéran, le siège du journal Kayhan a été attaqué au cocktail molotov. Au Sistan-Baloutchistan, dix-neuf personnes, dont deux colonels des Gardiens de la révolution, l’armée idéologique iranienne, ont été tuées, vendredi 30 septembre.
  • Il s’agit d’un mouvement qui n’est pas franchement aidé par l’Occident. Comparée à la mobilisation militaire, idéologique et médiatique anti-russe de l’Europe et des Etats Unis depuis l’invasion de l’Ukraine, le soutien apporté aux manifestants iraniens est poli, respectueux mais faible. Les Européens et les Etats Unis tablent manifestement sur la perpétuation du régime et ne font pas de la lutte contre cet Etat terroriste un impératif catégorique. Craignent-ils de froisser leurs opinions publiques musulmanes ? Ou s’agit-il de conserver en place un régime que – curieusement – les Occidentaux et surtout les Etats Unis considèrent comme utile ? Il est difficile de trancher. Alors que la Russie de Vladimir Poutine souffre aujourd’hui d’un embargo total sur ses productions et services, l’Iran lui, s’apprête à toucher une partie de ses avoirs gelés dans les banques étrangères. Ainsi, 7 milliards de dollars vont prochainement lui être transférés en « remerciement » pour la libération d’un otage américano-iranien retenu abusivement en prison en Iran.

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