Reçu à déjeuner à Paris par Emmanuel Macron le mercredi 21 février, Georges Weah est non seulement une star du foot, mais aussi un descendant d’esclave qui a redonné le pouvoir, par son élection à la tète du Liberia, aux « natives ». Un article signé Jocksy Ondo Louemba
Célébrée par la communauté internationale, l’élection de George Weah, ancienne gloire internationale de football, marque le retour au pouvoir des autochtones libériens. Le Liberia est né en effet d’un projet colonial américain mis en œuvre par l’American Colonization Society qui avait pour objectif d’organiser le retour en Afrique de descendants d’esclaves noirs, souvent christianisés, qui avaient été déportés aux Etats Unis. Par un détour tragique dont l’histoire a le secret, ces anciens esclaves revenus sur leur terre natale vont, à leur tour, soumettre et exploiter les populations locales, dites « natives ».
Créée en 1821 sur l’embouchure du fleuve saint Paul, la colonie du Liberia devient indépendante en 1847 avec pour capitale Monrovia en hommage au président américain James Monroe et comme drapeau celui des Etats Unis, mais avec une seule étoile. Seul souci, le Liberia est peuplé par des autochtones. Et les nouveaux arrivants à leur tour vont esclavagiser au début du XXème siècle ces « natives ».
Les 13.000 anciens esclaves d’Amérique mettent en place un Etat sur le modèle de la mère patrie, mais aussi un système rigide et cruel de domination des autochtones (ou « natives ») bien avant l’indigénat colonial et l’apartheid sud-africain. Si les natives firent tolérés au Liberia, c’est seulement parce que l’élite américano-libérienne en a besoin pour des menus travaux et des taches subalternes.
Esclavages et travaux forcés
Les natives libériens, en principes citoyens du premier pays indépendant d’Afrique, étaient vendus comme esclaves en Sierra Leone, sur l’ile de Fernando Po actuelle Bioko en Guinée équatoriale et à Sao Tomé. Sur le plan local, ils étaient soumis au travail forcé dans les plantations de café, de cacao, de coton et dans les nombreuses mines (notamment de fer) du pays. Firestone obtint dans les années 20 de nombreuses concessions où furent développées des plantations de caoutchouc pour répondre au boom de l’industrie automobile américaine. Les conditions de « travail » sont si inhumaines qu’elles finissent par choquer la Société des Nations (S.D.N.) qui condamne en 1930 dans le rapport Christy le travail forcé au Liberia particulièrement dans les concessions de Firestone.
En 1946, le travail forcé est officiellement aboli et le droit de vote est accordé aux natives mais les freemen, les américano-libériens contrôlent toujours le pays et leur parti politique True Whig règne en maitre.
Règne des freemen
De 1847 à 1980 les américano-libériens, les freemen, furent les seuls à pouvoir prétendre et à diriger le Liberia. Depuis l’indépendance du pays un parti unique domine tout. Ce fut initialement le par le biais du Parti Républicain qui a fini rapidement par être remplacé par le parti True Whig en 1869. Ce qui fait du Libéria le premier pays du monde à se doter d’un système politique à parti unique et ayant connu ce régime le plus longtemps! Les contestations sont sévèrement réprimées et l’opposition traquée. Le syndicalisme existe même si le président du Libéria est également le président du syndicat des travailleurs du pays.
Les différents présidents n’arrivent pas à développer le Liberia à la hauteur de ses nombreuses richesses. La corruption y est systématique et systémique et même pendant « l’ère de prospérité » du président Tubman (1944-1971). La grogne des natives, l’immense majorité de la population, écartée depuis plus d’un siècle de la gestion et des richesses de leur pays, ne fait que monter.
Le massacre d’avril 1979
En 1979, alors que le Liberia s’apprête à recevoir le sommet de l’OUA. Le gouvernement décide d’augmenter le prix du riz pourtant aliment de base de l’écrasante majorité des natives. Le sac de riz de 50 kilos passe de 22 à 30 dollars. Le 14 Avril 1979, les natives protestent en descendant dans la rue. Résultat: une centaine de morts et plusieurs centaines de blessés.Tolbert fait traquer les organisateurs de la marche et n’hésite pas à mettre leur tête à prix.
Le 12 Avril 1980 à une heure du matin, un groupe de soldats dirigés par le Master Sergeant Samuel Kanyon Doe, formé par les bérets verts américains se dirige vers le palais présidentiel, l’executive mansion, pour réclamer le paiement de leur solde. Les soldats trouvent le palais sans surveillance, l’investissent et tuent le président Tolbert dans son lit . Samuel Doe, le chef du groupe devient de facto président du Liberia, le premier « native » à accéder à la plus haute fonction du pays. Les natives exultent, ils tiennent enfin leur vengeance, elle sera sans pitié. Samuel Doe fait arrêter la majorité des membres du gouvernement et fusiller treise d’entre eux sur la plage de south beach à Monrovia devant une foule en transe.
Autoritaire et brutal, malgré le soutien réel de la population Samuel Doe échoue à faire reculer la corruption et à améliorer les conditions de vie des libériens. Pire il mène une politique tribale en favorisant sa communauté, les krahn, au détriment des autres natives.
Une course d’obstacles
Ironie de l’histoire, en Septembre 1990, Samuel Doe est capturé, torturé et massacré par un native seigneur de guerre, ancien aide de camp de Thomas Quiwonkpa, Prince Yornie Johnson.
Après deux guerres civiles qui ont duré une dizaine d’années et fait plus de 250.000 morts, la démocratie est revenue péniblement au Liberia après la chute de Charles Taylor en 2003.
En 2005, George Opong Weah, une native issu du peuple krahn, star mondiale de football, ancien ballon d’or mondial, qui avait même pendant ses années d’activité sportives toujours été à la disposition de ses concitoyens et n’hésitait pas en prendre entièrement en charge l’équipe nationale de football du Libéria, se déclare candidat à la présidence.
George Weah affronte au second tour Ellen Johnson Sirleaf, américano-libérienne, ancienne collectrice de fonds de Charles Taylor. Arrivé en tête au premier tour avec 23,8% des voix (contre 19,8% pour Shirleaf), George Weah est déclaré battu au second tour en dépit de nombreuses fraudes incontestables, il décide de ne pas contester dans la rue l’élection de Shirleaf. Une décision qui calme la situation qui était sur le point de dégénérer.
Retour triomphal des natives
En 2017, George Weah est à nouveau candidat à l’élection présidentielle. Au premier tour, Weah obtient 38,4% des voix. C’est sans surprise qu’il est élu président le 26 Décembre. Cette élection marque non seulement une alternance pacifique dans un pays encore marqué par les stigmates de l’affreuse guerre civile, mais aussi le retour triomphal des natives à la tête du Liberia trente sept ans après le coup d’état de Samuel Doe. Les deux hommes appartiennent au peuple Krahn, mais c’est là leur seule communauté.
Nul doute que son magistère sera aux antipodes de son sinistre prédécesseur. Nul doute non plus que George Weah œuvrera pour la consolidation de la réconciliation entre Freemen et natives mais surtout entre natives eux-mêmes, pour le grand bien du Liberia qui en a infiniment besoin.
Sur la même thématique, l’interview de George Weah :