Fortes incompréhensions entre les Séoudiens et Joe Biden

Le prince Turki al-Faisal, l’ancien chef de la Direction générale du renseignement de l’Arabie saoudite, s’en est pris à la politique de Joe Biden lors de l’émission Frankly Speaking sur Arab NewsFrankly. Un signe de plus d’une certaine  volonté d’autonomie des monarchies du Golfe face aux Etats-Unis notamment sur le dossier de la sécurité du Moyen Orient 

Les Saoudiens se sentent un peu abandonnés par la puissance tutélaire américaine à un moment où ils pensent que les États-Unis et l’Arabie saoudite doivent faire face ensemble aux menaces qui pèsent sur la stabilité de la région du Golfe, déclare à Arab News le prince Turki al-Faisal, ancien chef de la Direction générale du renseignement saoudien et ancien ambassadeur du Royaume à Londres et à Washington.

Malgré les rencontres qui ont lieu au plus haut sommet entre l’Iran et l’Arabie Séoudite qui donnent l’impression d’un tournant majeur, les dirigeants iraniens sont encore diabolisés à Ryad. Le prince Turki dont l’influence reste réelle au sein du sérail à Yuad dénonce l’influence iranienne au Yémen et leur utilisation des Houthis comme outil « non seulement pour déstabiliser l’Arabie saoudite mais aussi pour compromettre la sécurité et la stabilité des voies maritimes internationales » le long de la mer Rouge, du Golfe et de la mer d’Arabie.

« Le fait que le président Biden ait retiré les Houthis de la liste des terroristes a enhardi les Houthis et les a rendus encore plus agressifs dans leurs attaques contre l’Arabie saoudite et contre les Émirats arabes unis (EAU) », explique le prince Turki. Soit une allusion à la révocation, le 12 février 2021, de la désignation des Houthis, soutenus par l’Iran, comme terroristes.

Une relation stratégique fragile

« Nous avons toujours considéré notre relation avec les États-Unis comme étant stratégique, a tenu à affirmer l’ancien patron du renseignement séoudien. Nous avons eu des hauts et des bas au fil des ans et peut-être qu’en ce moment, c’est plutôt un bas, en particulier depuis que le président des États-Unis a déclaré, lors de sa campagne électorale, qu’il ferait de l’Arabie saoudite un paria ». Le président américain n’a-t-il pas refusé de rencontrer le prince héritier saoudien? Et n’a-t-il pas déclaré déclarant publiquement qu’il ne le rencontrerait pas? 

Soulignant que l’Arabie saoudite « appelle, depuis le début du conflit au Yémen, à une solution pacifique », le prince Turki indique : « Malheureusement, les Houthis n’ont jamais répondu à cet appel, l’ont simplement ignoré ou s’y sont opposés. Comme nous pouvons le voir maintenant, un soi-disant cessez-le-feu a été instauré par l’ONU, mais les Houthis continuent à enfreindre ce cessez-le-feu et à en profiter pour repositionner leurs forces et les renforcer. » Et de conclure: « J’espère que nous nous remettrons de cette crise passagère  comme nous nous sommes remis de tant d’autres obstacles dans nos relations avec les Américians .»

À première vue, Washington semble tout à fait désireux de maintenir ouverts ses canaux de communication avec Riyad, avec des appels téléphoniques et des visites de responsables, mais, selon le prince Turki, « Deule l’atmosphère générale  compte. Les responsables américains ont affirmé qu’ils soutenaient l’Arabie saoudite et qu’ils l’aideront à se défendre contre les agressions extérieures. » Pour autant, Joe Biden a tort de croire que l’Arabie saoudite n’a pas réagi aux problèmes pétroliers auxquels Washington est confronté. Ce sont les États-Unis eux-mêmes qui « sont responsables de l’état dans lequel ils se trouvent en raison de leur politique énergétique. »

« Le président Biden a fait en sorte que le gouvernement américain ait pour politique de couper tous les liens avec ce qu’on appelle l’industrie pétrolière et gazière. Il a réduit la production de pétrole et de gaz aux États-Unis et, comme nous le savons, les États-Unis ont été ces dernières années le plus grand producteur de ces deux sources d’énergie », ajoute le prince Turki.

Pas de variable d’ajustement séoudienne

Le prince Turki insiste sur le fait que l’Arabie saoudite ne veut pas être « un instrument ou une raison de l’instabilité des prix du pétrole».« C’est pourquoi le Royaume, les autres membres de l’Opep et les membres de l’Opep+ s’en tiennent aux quotas de production qu’ils se sont fixés. J’ai lu que la récente décision de l’Opep+ d’augmenter progressivement la production de pétrole tant que l’accord est en vigueur est une réponse aux difficultés actuelles rencontrées dans le secteur de l’énergie. Un autre facteur qui s’ajoute à tout cela est bien sûr la question de la sécurité, les taux d’assurance élevés qui résultent de la guerre en Ukraine, ainsi que les restrictions et les sanctions européennes et américaines imposées à l’industrie pétrolière russe. Tous ces éléments ont contribué à la hausse des prix du pétrole. »

À cet égard, le prince Turki exprime par ailleurs son vif mécontentement à l’égard des commentaires formulés par Hillary Clinton, l’ancienne secrétaire d’État américaine, dans l’émission « Meet the Press » de la chaîne NBC, en faveur d’une approche «de la carotte et du bâton » visant à forcer l’Arabie saoudite à accroître sa production de pétrole afin de réduire les prix durant cette période qu’elle a qualifiée de « crise existentielle ».

Réitérant qu’il ne pouvait pas parler au nom de tous les Saoudiens, le prince Turki lance : « Nous ne sommes pas des écoliers que l’on traite avec une carotte et un bâton. Nous sommes un pays souverain »

De même, le prince Turki rejette l’accusation selon laquelle Riyad a choisi de se ranger du côté de Moscou dans le conflit ukrainien, notant que « Le Royaume a publiquement déclaré et voté à l’Assemblée générale de l’ONU en faveur de la condamnation de l’agression contre l’Ukraine. Cette résolution a été adoptée par l’Assemblée générale. »

Un rapprochement avec Israel

Sur la question de savoir si Israël doit être traité sur un pied d’égalité avec la Russie en matière de sanctions, le prince Turki ne mâche pas ses mots. « Absolument. Je ne vois pas quelle est la différence entre les deux », répond-il. « Une agression est une agression, qu’elle soit commise par la Russie ou par Israël. »

En outre, le prince Turki remet en question la théorie selon laquelle la normalisation des relations avec Israël — la voie empruntée par un plusieurs pays arabes, dont l’Égypte, la Jordanie, les EAU et Bahreïn — pourrait être une politique plus productive. « Je n’en ai pas vu la preuve », dit-il.

 

 

*Source : Arabnews en français (avec extraits de l’interview sous-titrés en français)