- Mondafrique https://mondafrique.com/decryptage/ Mondafrique, site indépendant d'informations pays du Maghreb et Afrique francophone Wed, 19 Nov 2025 03:28:34 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.8.3 https://mondafrique.com/wp-content/uploads/2017/11/logo_mondafrique-150x36.jpg - Mondafrique https://mondafrique.com/decryptage/ 32 32 Mali, Iyad Ag Ghali serait bien le commanditaire de l’assassinat des journalistes de RFI https://mondafrique.com/decryptage/mali-iyad-ag-ghali-serait-bien-le-commanditaire-de-lassassinat-des-journalistes-de-rfi/ https://mondafrique.com/decryptage/mali-iyad-ag-ghali-serait-bien-le-commanditaire-de-lassassinat-des-journalistes-de-rfi/#respond Mon, 17 Nov 2025 08:28:41 +0000 https://mondafrique.com/?p=142098 Malgré douze années écoulées depuis l’enlèvement et l’assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, le 2 novembre 2013 à Kidal, dans le nord du Mali, l’enquête continue de progresser, à petits pas. Une certitude, le commando qui commet le crime contre les deux journalistes est aux ordre de Seidane Ag Hita, l’actuel bras droit d’Iyad […]

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Malgré douze années écoulées depuis l’enlèvement et l’assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, le 2 novembre 2013 à Kidal, dans le nord du Mali, l’enquête continue de progresser, à petits pas. Une certitude, le commando qui commet le crime contre les deux journalistes est aux ordre de Seidane Ag Hita, l’actuel bras droit d’Iyad Ag Ghali, le chef du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Gsim) et l’homme fort du djihadisme malien qui tient tète aujourd’hui à la junte militaire au pouvoir à Bamako.

Nathalie Prevost

au centre Iyad Ag Ghali, chef militaire et spirituel des plus de 200 prisonniers djihadistes libérés en échange des 4 otages de la photo précédente (Sophie, deux Italiens et l'opposant malien Soumaïla Cissé).
Lors de la libération de Sophie Pétronin en octobre 2020, Seidane Ag Hita est le premier des ravisseurs en partant de la gauche, avec lunettes noires, chèche ocre et chemise blanche. 

Les quatre membres du commando qui a enlevé les deux membres de l’équipe de RFI à la sortie d’une interview, à 13h05 locales, puis les a assassinés à une dizaine de kilomètres à l’est de la bourgade sont bien identifiés: leurs chefs, tous des collaborateurs de premier plan d’Iyad Ag Ghali, ainsi que certains complices de l’enlèvement et, sans doute, de la fuite des exécutants du crime dans le désert.

Si une grande partie des protagonistes (trois des quatre membres du commando, à commencer par son chef et chauffeur Baye Ag Bakabo, le chef de katiba Abdelkrim Taleb, qui a revendiqué l’enlèvement, et d’autres acteurs secondaires) sont morts après 2013, tués par l’armée française, dans des combats entre factions touareg ou dans des accidents de voiture, il reste toutefois plusieurs auteurs en vie plus actifs que jamais dans la région : le dernier membre du commando, Hamadi Ag Mohamed, Iyad Ag Ghali, le commanditaire présumé de l’opération, et son désormais numéro deux  Seidane Ag Hita, ainsi que des complices venus tirer d’affaire le  commando en panne de véhicule avant l’arrivée sur place – une grosse heure plus tard – du détachement français de liaison d’appui.

Des témoignages recueillis à distance ainsi que les résultats très tardifs (2021) mais fructueux de l’enquête sur la téléphonie offrent de nouvelles perspectives sur les vivants et les morts, qui éclairent les liens étroits entre les protagonistes de l’opération, qui dépendent tous, directement ou non, d’Iyad Ag Ghali, maître espion, chef de guerre et grand maître du business des otages à la tête de la galaxie Al Qaida au Sahel.

Des auteurs et complices issus de Kidal

Une réunion des chefs coutumiers du nord Mali à l’invitation de Mahamat Saleh Annadif, le patron de la MINUSMA. Cheikh Ag Haoussa (6e à partir de la gauche) est à la droite d’Annadif (7e) et Bilal Ag Acherif (8e) à sa gauche

On sait presque tout, désormais, sur l’enlèvement lui-même. Les recoupements téléphoniques prouvent que l’équipe de RFI a été suivie et espionnée dès son arrivée à Kidal, le 29 octobre. L’enlèvement était donc bien programmé avant l’arrivée sur place du tandem, déjà venu en juillet précédent pour couvrir l’élection présidentielle. Cette fois, Ghislaine Dupont et Claude Verlon étaient là pour documenter la réconciliation dans la région, dans le sillage de l’intervention Serval qui avait, en janvier 2013, dispersé et défait les groupes djihadistes et placé Kidal sous l’autorité conjuguée de l’armée française et de ses alliés locaux du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA).

Le lendemain de son arrivée, Ghislaine avait interviewé un personnage sombre, désormais disparu (tué le 8 octobre 2016 dans un attentat à la voiture piégée en sortant du camp de la MINUSMA), dont l’ombre écrase le dossier : Cheikh ag Haoussa, un vétéran des rébellions touareg et homme fort de la région, ancien collaborateur militaire et grand ami d’Iyad Ag Ghali depuis la rébellion des années 1990. Elle avait, comme un pressentiment, confié à sa rédaction le lendemain, l’avoir trouvé «glaçant.» 

Le 2 novembre, le duo interviewe à son domicile un notable touareg de Kidal, Ambery Ag Ghissa, cadre du MNLA, tout à fait étranger au crime. Celui qui donne le «top», sur place, aux ravisseurs s’appelle Hamadi Ag Ma. C’est un ancien garde du corps de Bilal Ag Acherif, le leader indépendantiste du nord, chef du MNLA, dont les hommes quadrillent le bastion rebelle depuis la défaite militaire des djihadistes en janvier. Hamadi Ag Ma a combattu en 2012 aux côtés de ses frères d’armes, à Gao, contre les djihadistes du MUJAO, et il mourra en 2017 dans des combats contre le groupe loyaliste touareg du GATIA.

Mais en ce 2 novembre 2013, il sert un autre patron : Seidane Ag Hita, l’actuel bras droit d’Iyad Ag Ghali, son cousin. «Leurs deux grands-pères étaient frères», a indiqué une source kidaloise dont le témoignage a été rapporté au juge. Les deux hommes ont grandi dans la même maison, celle de Seidane Ag Hita. En 2013, dans la vie courante, Hamadi Ag Ma est inséparable du petit frère de Seidane, Cheikh Ag Hita, et d’un autre cousin commun, Madou Ag Baye, actuel garde du corps de Seidane. Ensemble, ils trafiquent de la drogue.

Le double jeu du Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad

Baye Ag Bakabo, le chef du commando, est aussi proche, mais depuis beaucoup moins longtemps, de Seidane Ag Hita. A l’orée des années 2000, alors en prison pour une affaire de drogue après une courte carrière de chauffeur d’un commandant rebelle, Bakabo a rencontré l’un des neveux d’Ag Hita, Agmad Ghali Ag Ouadossan, poursuivi dans le cadre de l’enlèvement d’otages occidentaux près de Gao. Baye sympathise avec son camarade d’infortune et il est libéré grâce à l’intervention de Seidane Ag Hita et Abdelkrim Taleb, celui qui revendiquera plus tard l’enlèvement des deux journalistes. A sa sortie de prison, désormais rallié aux idées djihadistes, il intègre la katiba du Touareg.

Lorsqu’il revient à Kidal, après l’intervention de l’armée française en janvier 2013, comme beaucoup d’autres combattants djihadistes affiliés à Iyad Ag Ghali (soit sous l’étiquette d’Ansar Dine, le groupe créé en 2012 par Iyad Ag Ghali pour faire pièce au MNLA rebelle, soit sous celle d’Al Qaida, au sein de la katiba de son cousin Abdelkrim Taleb/le Touareg), Bakabo se revendique du Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad (HCUA), le tout jeune mouvement créé début mai pour «blanchir» les djihadistes touareg. «Quand ils sont revenus en ville, ils ont officiellement déposé les armes et des gens du MNLA se sont portés garants pour eux», a raconté un ancien combattant local du MNLA à Mondafrique. Bakabo ne fait pas exception : il s’enregistre en tant que HCUA avec son pick-up, qui appartient, en réalité, à Al Qaida, et qui sera utilisé pour l’enlèvement.

Cheikh Ag Haoussa
Cheikh Ag Haoussa

Les jours précédant le rapt, Bakabo est vu en compagnie de Cheikh Ag Haoussa – lui-même officiellement chef d’état-major du HCUA (après avoir été l’un des commandants d’Ansar Dine quelques mois plus tôt) – dans le véhicule du second. Ils passent un moment tous les deux devant le camp de la MINUSMA, le matin de l’enlèvement. Cheikh Ag Haoussa entre dans le camp, où il figure parmi les interlocuteurs privilégiés de la force de maintien de la paix, pendant que le chef du groupe qui s’apprête à enlever l’équipe de RFI reste dans la voiture.

Cheikh Ag Haussa fait mine de collaborer avec le MNLA mais il le combat souterrainement de toutes ses forces. C’est aussi dans l’ADN d’Iyad Ag Ghali qui voit, depuis toujours, dans l’organisation créée par ses jeunes frères kidalois une menace pour sa propre autorité dans la région. Bien qu’affaibli par l’entrée en guerre de la France, Iyad Ag Ghali et ses nombreux camarades et soldats sur place sapent méthodiquement leurs rivaux indépendantistes dont ils jalousent l’influence locale en tant qu’alliés de l’armée française et de la MINUSMA. L’enlèvement de Ghislaine Dupont et Claude Verlon, à cet égard, est non seulement une promesse de belle rançon mais aussi un coup porté à la réputation du MNLA, supposé «tenir» Kidal pour le compte de la France. Le dossier d’instruction révélera que Cheikh Ag Haoussa, au comble de la duplicité, a été mis à contribution par l’armée française pour identifier le véhicule des ravisseurs (dont le numéro de châssis figure, par ailleurs, dans les registres du MNLA depuis son entrée en ville.)

Scénario mortel

Des combattants recrutés par Iyad Ag Ghali

A 13h05, dès l’enlèvement des deux journalistes, l’alerte est lancée. Mais à 12 km de Kidal en direction de l’est, le pick-up subit une panne moteur irréparable. Le temps presse pour les quatre ravisseurs, qui savent pertinemment que l’armée française est déjà alertée et sans doute à leurs trousses. Craignant l’arrivée imminente d’hélicoptères français et dans l’incapacité d’emmener leurs otages dans leur fuite, Bakabo et ses hommes les tuent à bout portant (comme avant eux, dans des circonstances voisines, Antoine de Léocour, le 8 janvier 2011 et Philippe Verdon, dont la mort a été annoncée en mars 2013).

D’après le même témoignage cité plus haut et versé au dossier, les ravisseurs font appel, par talkie-walkie, à des complices d’un campement voisin pour venir les chercher.  L’avocate de la partie civile, Marie Dosé, a déclaré, lors d’une conférence de presse le 29 octobre, qu’elle avait officiellement demandé au juge d’enquêter sur Mohamed Ag Hellah,  dont le campement se trouvait à 12 km du lieu de l’assassinat. Ag Hellah, lui aussi cadre d’Ansar Dine, aurait envoyé deux motos aux ravisseurs partis à pied dans le désert. Cet homme évoluait dans l’entourage proche d’un autre djihadiste très connu au début des années 2010, Nabil, un ancien officier de la sécurité militaire algérienne qui avait joint son destin à celui d’Iyad Ag Ghali et qui dirigeait Al Qaida à Aguelhoc jusqu’à sa mort en 2012.

Le dernier membre vivant du commando, Hamada Ag Mohamed (ou Hamadine Mohamedine dans les milieux djihadistes) est devenu chef de section de la katiba Ansar Dine, sous le commandement de Seidan Ag Hita, dans la région d’Abeibera et Boghassa, le fief d’Iyad Ag Ghali. Ce fils d’éleveur a grandi auprès de la tribu du chef d’état-major du HCUA, une tribu imghad de l’Adrar. Il a participé encore tout récemment, le 14 juillet dernier, à une embuscade contre les forces armées maliennes à 40 km de Kidal.

Tous les fils remontent à Iyad Ag Ghali

Les trois commandants opérationnels et politiques de l’enlèvement, de son vieux complice de rébellion cheikh Ag Haoussa à son jeune lieutenant Seidane Ag Hita, en passant par son cousin chef de katiba Abdelkrim Taleb, sont tous des très proches du Vieux, le surnom d’Iyad Ag Ghali dans ces milieux. Ils sont tous, évidemment, Touareg et natifs du nord.

Sur le pare-soleil du pick-up en panne conduit par Baye Ag Bakabo figuraient les coordonnées GPS d’un lieu à la frontière entre l’Algérie et le Mali, écrites à la main. Sans doute là où les deux otages de RFI auraient dû, selon le plan initial, être livrés au commanditaire du rapt. Le téléphone d’Ag Bakabo a gardé la trace, entre le 29 et le 31 octobre 2013, de deux échanges assez longs avec un numéro algérien. Abdelkrim Taleb ? Seidane Ag Hita? Un autre proche d’Iyad Ag Ghali basé en Algérie, comme la famille du chef touareg ? Le juge d’instruction Jean-Marc Herbaut a sollicité les autorités algériennes pour tenter d’approfondir ces pistes. Il n’a jamais reçu la moindre réponse. 

 

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Sahel, l’exode tous azimuts https://mondafrique.com/decryptage/sahel-lexode-tous-azimuts/ https://mondafrique.com/decryptage/sahel-lexode-tous-azimuts/#respond Sat, 15 Nov 2025 22:57:55 +0000 https://mondafrique.com/?p=142734 L’insécurité chronique au Mali poursuit son essor, avec l’apparition simultanée de deux foyers de déplacement massifs de populations, hors du territoire, respectivement vers la Côte d’Ivoire et la Mauritanie, deux espaces bientôt submergés, qui hébergent, déjà des dizaines de milliers d’infortunés, au risque d’y compromettre une part de leur stabilité. D’ailleurs, paradoxe tragique, le Mali […]

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L’insécurité chronique au Mali poursuit son essor, avec l’apparition simultanée de deux foyers de déplacement massifs de populations, hors du territoire, respectivement vers la Côte d’Ivoire et la Mauritanie, deux espaces bientôt submergés, qui hébergent, déjà des dizaines de milliers d’infortunés, au risque d’y compromettre une part de leur stabilité. D’ailleurs, paradoxe tragique, le Mali continue d’abrite les vagues de rescapés des affrontements au Burkina Faso.

https://t.me/veillesah/576

Au sud du Mali, de nombreux résidents des villages autour de Loulouni cherchent, en catastrophe, un havre de répit d’abord dans la ville de Sikasso, avant d’envisager l’exil. Ils tentent d’échapper à la virulence et à l’imprévisibilité de la belligérance sans arbitrage entre les milices de chasseurs Donzos acquises à Bamako et les combattants du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Gsim-Alqaïda). Les deux disposent désormais d’équipements létaux en abondance d’où le choc tempétueux de leur dissentiment. Hier munis de pétoires et d’amulettes magiques, les partisans du pouvoir central, dotés par lui, ont pu obtenir les outils de l’autodéfense, longtemps réclamés, sans succès. Néanmoins, le rapport des forces ne tourne à leur avantage. Souvent seuls à essayer de contenir l’insurrection islamiste, les Donzos, protègent une identité, une culture et un mode de vie, afin de conjurer la menace, non exagérée, de l’extermination. Ils se battent contre d’autres autochtones plus résolus à la victoire, sous la bannière de Dieu et mieux aguerris à l’exercice de l’asymétrie. Ceux-là manient le talkie-walkie, l’internet satellitaire, le drone kamikaze, l’engin explosif improvisé (iee) et le lance-roquette. Que nul ne s’y trompe, à présent, il s’agit d’un conflit civil, à l’abri du droit. Se déroule, dans la savane, une lutte à mort dont la polémologie résume les excès et le degré de mobilisation par l’expression « guerre totale ».  Ici, loin du scrupule et de la retenue que suscite le regard extérieur, les bavures sont la règle, les représailles un moteur d’agressivité et la paix un non-sens.

 

Au sommet de l’hospitalière terre de Côte d’Ivoire, le Conseil national de sécurité (Cns) commence à comprendre la portée de l’afflux en cours. Le pays devient la destination du salut. Au terme de sa réunion du 13 novembre, en présence du Président Alassane Ouattara, l’instance décide de « prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de l’enregistrement de ces demandeurs d’asile ». Depuis deux ans, la Côte, convient-il de le souligner, accorde secours et dignité, sur fonds propres, à environ 100 000 personnes ayant déserté le périmètre des affrontements. A Niornigué, bourgade naguère d’à peine quelques habitants, sise à la périphérie du poste-frontière de Ouangolodougou, un centre d’accueil, construit en dur, sert de point de chute à des centaines de familles burkinabè et leur nombre ne cesse de croître. Le chiffre global devrait connaître des pics de hausse soudaine durant les semaines à venir.

Léré, fuir la barbarie

De l’ensemble des points de passage en provenance du Mali, afflue une procession ininterrompue de femmes, d’enfants et surtout de vieux, pas toujours natifs de Léré. Ils échouent, là, à partir du grand Ouest, comme repus de fatigue et à bout de volonté. Ils arrivent à Gorgui Zemal, Fassala Néré, Bassiknou, Adel Bagrou et Bousteila, surchargé de ballots informes où l’on devine, couvertures, vivres et quantité d’ustensiles de cuisine. Or, le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (Hcr), en état d’asphyxie au camp de Mberra, n’a plus les moyens de sa vocation. Il s’appuie sur le Croissant rouge mauritanien (Crm), lequel ne dissimule la modicité de ses ressources. Quant à l’effectif des arrivants, les informations disponibles tiennent encore de l’approximation. Certes, les services en charge ne manquent d’expérience après le précédent de 2012 mais la mesure comptable butte sur le déficit de personnel motivé et de matériel informatique en capacité d’adaptation aux aléas du désert. Les besoins immédiats demeurent l’approvisionnement en eau, les compléments alimentaires et les soins d’urgence. Quant à l’assistance psychologique, le sujet fait sourire les correspondants de Veille sahélienne tant il paraît luxe de l’hémisphère nord. Pourtant, parmi les nouveaux venus, une majorité relate le traumatisme de la terreur. Presqu’en chœur, certains disent craindre, davantage, les exactions des Forces armées maliennes (Fama) et de leurs supplétifs russes, que la justice expéditive des jihadistes. La comparaison, embarrassante, témoigne de la difficulté à rendre compte d’une explication sans observateurs ni caméras où le soldat, le milicien, le militant armé, l’assaillant et la victime, racontent, chacun, une bribe de vérité.

« Le Mali, un pays frère »

Pressé par ses compatriotes qui se plaignent de tracasseries au Mali, le Président Mauritanien, lors d’une visite de proximité dans les régions proches de la frontière Est tint, le 10 novembre, à rappeler le principe du voisinage : « Le Mali restera un pays frère, on doit les aider autant que faire se peut, nous devons supporter au maximum leurs agissements qui sont souvent tributaires de cette situation. Nous devons rester compréhensifs à leur égard. Le voisinage est une réalité géographique qu’on ne peut pas changer, les crises passent et disparaissent. On ne peut en aucun cas oublier ce que nous accordaient nos frères maliens en temps de paix, ils nous ont toujours traités avec beaucoup d’amitié et de générosité. Aucun citoyen mauritanien n’a été inquiété ni maltraité avant cette crise que nous espérons passagère ». Et d’ajouter, en guise d’avertissement : « Nous devons rester compréhensifs. Les pays voisins ne peuvent pas déménager. Les crises apparaissent et disparaissent. Mais les pays restent »

Références

Carte Afrique de l’Ouest : https://t.me/veillesah/579

1 Communiqué du Cns Côte d’Ivoire : https://t.me/veillesah/580

1 Vidéo oraison du Président mauritanien, doublée en Bambara et sous-titrage Français : https://t.me/veillesah/581

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Procès Bongo (jour 3), la « Young Team » d’Ali Bongo en cause https://mondafrique.com/decryptage/proces-bongo-jour-3-la-young-team-dali-bongo-en-cause/ https://mondafrique.com/decryptage/proces-bongo-jour-3-la-young-team-dali-bongo-en-cause/#respond Fri, 14 Nov 2025 18:05:56 +0000 https://mondafrique.com/?p=142684 Ces proches formaient la fameuse « Young Team », ce réseau informel de jeunes conseillers, souvent surnommés « les collégiens du Bord de mer », accusé d’avoir orchestré la captation des richesses du pays

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Le procès des anciens collaborateurs de Sylvia et Noureddin Bongo se poursuit cette semaine à Libreville. Dix prévenus, issus du premier cercle du pouvoir déchu, comparaissent devant la Cour criminelle spéciale pour détournement de fonds publics: corruption, association de malfaiteurs et blanchiment aggravé. Ces proches formaient la fameuse « Young Team », ce réseau informel de jeunes conseillers, souvent surnommés « les collégiens du Bord de mer », accusé d’avoir orchestré la captation des richesses du pays sous le règne finissant d’Ali Bongo Ondimba.

Cette deuxième phase du procès s’ouvre dans un climat encore marqué par la condamnation du « duo » Sylvia et Noureddin Bongo à vingt ans de prison par contumace. Le tribunal a ordonné la confiscation de l’ensemble de leurs biens et la restitution à l’État de plus de 2 000 milliards de francs CFA au titre des préjudices moral et financier. Dans le même temps, la Cour criminelle spéciale a délivré deux mandats d’arrêt internationaux à leur encontre.

Depuis Londres, mère et fils dénoncent « un verdict politique », annonçant leur intention de saisir la Cour africaine des droits de l’Homme. Leur avocat, Me François Zimeray, a pour sa part pointé sur RFI « un réquisitoire fondé sur des chiffres imaginaires », une stratégie que le juriste gabonais Dr Emmanuel Thierry Koumba, cité par Gabon Review, assimile à une tentative de « déplacer le débat du terrain judiciaire vers la scène internationale, à mobiliser l’opinion publique française et à engager une ’’procédure de dénonciation’’ plutôt qu’une défense sur le fond ».

Dix visages du pouvoir déchu

Les dix prévenus, pour la plupart arrêtés lors du coup d’État d’août 2023, sont : Ian Ghislain Ngoulou, ancien directeur de cabinet de Noureddin Bongo Valentin ; Mohamed Ali Saliou, ex-directeur adjoint de cabinet, et son demi-frère Abdoul Oceni Ossa ; Jessye Ella Ekogha, ancien porte-parole de la présidence ; Kim Oun, ancien chargé du protocole de la Première dame ; Steeve Nzegho Dieko, ex-secrétaire général du Parti démocratique gabonais (PDG) ; Cyriaque Mvourandjiami, directeur du cabinet politique de l’ancien chef de l’État ; Jordan Camuset, considéré comme « l’homme à tout faire » de Noureddin Bongo Valentin ; Gabin Otha Ndoumba, ex-directeur général des Impôts ; et Gisèle Yolande Mombo, ancienne directrice générale des finances de la mairie de Libreville.
Tous sont jugés pour avoir participé, selon le parquet, à « l’édification d’un système organisé de détournement au profit du clan présidentiel ».

Mercredi, les débats se sont ouverts sur la lecture de la lettre de renvoi. Les juges ont évoqué des transferts de plusieurs milliards de francs CFA, des bonus pétroliers occultes et des comptes privés alimentés directement par le Trésor public. La découverte de 7 milliards de francs CFA en liquide au domicile de Ian Ghislain Ngoulou a saisi le public venu nombreux.

Après une longue série d’examens de moralité, qui ont occupé la fin du mercredi et la matinée du jeudi, l’audience s’est ensuite intéressée au fond du dossier, avec la comparution de Gisèle Yolande Mombo, puis surtout celle de Ian Ghislain Ngoulou, présenté comme l’architecte du système. Face au président, au rapporteur général et aux avocats de la partie civile, l’ancien directeur de cabinet s’est enlisé dans ses contradictions. Selon l’accusation, il aurait supervisé un vaste réseau de blanchiment à travers des sociétés écrans et des comptes ouverts au nom de proches, y compris d’enfants mineurs.

Devant la Cour, Ian Ghislain Ngoulou est également revenu sur les circonstances d’un épisode présumé de corruption électorale, survenu à la veille de la proclamation des résultats de la présidentielle du 30 août 2023. Selon son récit, Noureddin Bongo Valentin lui aurait ordonné de remettre 500 millions de francs CFA (environ 760 000 euros) au Centre gabonais des élections (CGE). Il affirme avoir exécuté la consigne, accompagné de Cyriaque Mvourandjiami, avant d’être interpellé par les militaires à la Cité de la Démocratie. Le parquet cherche désormais à établir la chaîne de responsabilité dans ce qui pourrait constituer un cas de corruption électorale.

Une clôture le 15 novembre

Au fil des heures, les témoignages ont dessiné à nouveau les contours d’un mode de gouvernance où fonds publics et comptes privés ne faisaient qu’un. Le procureur général Eddy Minang a dénoncé un « pouvoir parallèle » animé par « la cupidité et l’assurance de l’impunité ».

Devant un auditoire tantôt silencieux, tantôt réactif aux échanges, les confrontations se poursuivent à cette heure entre les avocats de la défense et ceux de la partie civile. Le procès pourrait se clôturer samedi.

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Procès Bongo (jour 2), les millions et les ombres https://mondafrique.com/limage-du-jour/proces-bongo-jour-2-les-millions-et-les-ombres/ https://mondafrique.com/limage-du-jour/proces-bongo-jour-2-les-millions-et-les-ombres/#respond Wed, 12 Nov 2025 14:33:54 +0000 https://mondafrique.com/?p=142529 Une journée marquée par les témoignages de deux des plus proches collaborateurs de Sylvia et Noureddin Bongo, ainsi que par les réquisitions du ministère public.

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Deuxième jour d’audience, ce mardi 11 novembre, au tribunal de Libreville. Une journée marquée par les témoignages de deux des plus proches collaborateurs de Sylvia et Noureddin Bongo, ainsi que par les réquisitions du ministère public.

Ali Bongo Ondimba et Sylvia Bongo Ondimba le jour du couronnement du roi Charles III. Londres, le 6 mai 2023

Après l’ouverture de lundi, la Cour criminelle spéciale s’est penchée sur les mécanismes financiers et politiques qui auraient permis à la famille présidentielle d’accaparer à la fois les richesses et le pouvoir de l’État, dans le vide laissé par l’AVC d’Ali Bongo en 2018. Cette journée de procès s’est achevée tard dans la nuit par la condamnation, par contumace, du fils du président déchu, Noureddin Bongo, et de son épouse Sylvia à vingt ans de prison pour détournement de fonds publics.

Le quotidien des Bongo

Premier à la barre, Kim Oun, ancien chargé du protocole de la Première dame, décrit un rôle tant logistique que financier : voyages, résidences à Londres, Paris ou Marrakech, transactions dans les îles Vierges britanniques, achats de bijoux et de vêtements de luxe. Il reconnaît avoir dirigé deux sociétés écrans et perçu des primes mensuelles d’environ 10 millions de francs CFA (15 000 euros). L’audience retient aussi sa déclaration selon laquelle la campagne présidentielle de 2023, entachée de fraude, aurait coûté 80 milliards de francs CFA (près de 122 millions d’euros).

Il confirme enfin avoir géré les fonds « personnels » de Sylvia Bongo : un train de vie estimé à 3 millions d’euros par mois, comprenant vêtements, oeuvres d’art et dépenses domestiques. Un potager à 500 millions de francs CFA (762 000 euros) aurait même été entretenu dans l’une de ses propriétés de Libreville.

Des  circuits opaques

Le système, selon les parties civiles, passait par un circuit opaque : le Trésorier payeur général remettait d’importantes liquidités à Kim Oun, qui les transmettait à des réseaux informels de change opérant depuis Libreville. Ces fonds étaient ensuite acheminés vers Dubaï, où l’avocat et financier Alain Malek les déposait sur des comptes ouverts auprès de deux sociétés, Royal Capital et Noor Capital, avant de régler les factures de Sylvia Bongo sur instructions directes.

Vient ensuite Jordan Camuset, ami d’enfance de Noureddin Bongo Valentin, qui se décrit comme « un homme à tout faire ». Il dit avoir récupéré chaque mois, pour le compte de son ami, entre 30 000 et 100 000 euros en espèces, directement auprès du Trésor public, bordereaux de décaissement à l’appui. Il évoque aussi un basculement progressif du pouvoir depuis Londres : « Papa a dit », aurait quotidiennement justifié Noureddin pour ordonner et convoquer des membres du gouvernement ou d’autres représentants de l’État, même après la fin officielle de ses fonctions de coordinateur des Affaires présidentielles, en septembre 2021.

« Le blanchiment à son stade ultime »

L’audience s’est plongée dans un second temps dans une énumération vertigineuse : selon les parties civiles, près de 20 milliards de francs CFA (30,5 millions d’euros) auraient été prélevés sur les comptes publics pour entretenir les résidences du couple présidentiel. Les enquêteurs évoquent également la possession d’environ 45 entreprises, plus de 10 milliards de francs CFA (15,2 millions d’euros) répartis dans différents comptes à la BGFIBank, sans compter la possession de deux avions, un Boeing 737 et un Boeing 757.

« C’est le blanchiment à son stade ultime, un maillage où les fonds publics devenaient pour eux de l’eau bénite ». Le procureur général

Les avocats de l’État ont confié leur épuisement face au volume des flux : « Nous avons compté, compté, compté… tellement compté que nous sommes fatigués », a lancé l’un d’eux, évoquant la multiplication des banques, des domiciliations, des biens mobiliers et immobiliers.

Vingt ans de prison par contumace

Au nom du ministère public, le procureur Eddy Minang a tenu à préciser : « Ce n’est pas le procès d’Omar Bongo, mais celui de ses héritiers. » Il a appelé à « reconstruire » plutôt qu’à « humilier », soulignant : « Ce n’est pas un procès-spectacle, mais celui de la politique-spectacle. »

Dans une ambiance plus calme qu’à l’ouverture, ponctuée de coupures d’électricité, la journée s’est achevée tard dans la soirée, devant les caméras de télévision et un public encore nombreux.

Le président de la Cour criminelle spécialisée, Jean Mexant Essa Assoumou, a suivi les réquisitions du ministère public et déclaré coupables l’ex-Première dame pour « recel et détournement de fonds publics, blanchiment de capitaux, usurpation de fonds et instigation au faux », et Noureddin Bongo pour « détournement de deniers publics, concussion, usurpation de titres et de fonctions, blanchiment aggravé de capitaux et association de malfaiteurs ».

Le « duo » est condamné à une peine de vingt ans de prison assortie d’une amende de 100 millions de francs CFA (152 000 euros), ainsi qu’à la confiscation de leurs avoirs – comptes, hôtels particuliers, actifs pétroliers et miniers, participations dans plus de cinquante sociétés. Au titre du préjudice moral, Sylvia et Noureddin Bongo sont également condamnés à verser 1 000 milliards de francs CFA à l’État gabonais.

Au-delà des montants, c’est la mise à nu d’un règne où les frontières entre fortune privée et État auraient disparu. « Les cupides, rien ne les arrête ; le paradis des riches se nourrit de l’enfer des pauvres », pouvait-on entendre dans la plaidoirie d’un avocat de la partie civile.

Le procès se poursuit ce mercredi 12 novembre et jusqu’à vendredi, avec l’audience des dix anciens proches collaborateurs des Bongo.

Le procès historique du clan Bongo débute à Libreville (1)

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Procès Bongo (jour 1), main basse sur le Gabon (1) https://mondafrique.com/decryptage/le-proces-historique-du-clan-bongo-debute-a-libreville-1/ https://mondafrique.com/decryptage/le-proces-historique-du-clan-bongo-debute-a-libreville-1/#respond Tue, 11 Nov 2025 09:57:44 +0000 https://mondafrique.com/?p=142517 Pendant une semaine, la justice gabonaise prévoit d’examiner les rouages et le basculement présumé d’un système de fraude

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À Libreville, le procès de l’ancienne Première dame, Sylvia Bongo Ondimba, et de son fils, Noureddin Bongo Valentin, s’est ouvert le lundi 10 novembre. Pendant une semaine, la justice gabonaise prévoit d’examiner les rouages et le basculement présumé d’un système de fraude et d’accaparement du pouvoir qui aurait été à l’œuvre depuis l’AVC d’Ali Bongo, survenu en 2018. Un procès pour solder un règne

Réfugié à Londres, Ali Bongo qui était totalement diminué à la fin de son rëgne, avait laissé l’essentiel du pouvoir à sa femme et à son fils

Douze personnes doivent comparaître devant la cour criminelle spéciale : l’ex-Première dame, son fils et neuf anciens cadres de la présidence, la « Young Team ». Tous sont accusés d’avoir détourné des centaines de milliards de francs CFA à travers un maillage de sociétés écrans, de comptes offshore et de placements occultes.

Sylvia, la Régente de Libreville

Noureddin Bongo Valentin répond de « détournements de fonds publics », « corruption active », « concussion », « faux et usage de faux », « contrefaçon des sceaux de la République » et « blanchiment ». Sa mère, Sylvia Bongo Ondimba, est poursuivie pour « faux » et « blanchiment de capitaux ».

Tous deux, installés à Londres depuis mai, sont jugés par contumace et nient les faits, dénonçant un « procès-spectacle ». Mais à Libreville, le procureur Eddy Minang assure : « La justice va dorénavant s’exprimer avec rigueur, sans préjugés et sans qu’il n’y ait de passe-droits », déclare-t-il, cité par RFI.

La partie émergée de l’iceberg

Ce lundi 10 novembre, l’audience s’ouvre par l’appel des prévenus. Parmi les présents : Ian Ghislain Ngoulou, ex-directeur de cabinet de Noureddin Bongo Valentin ; Jessye Ella Ekogha, ancien porte-parole de la présidence ; Cyriaque Mvourandjiami, Steeve Nzegho Dieko, Gisèle Yolande Mombo, Abdoul Oceni Ossa, Jordan Camuset, Kim Oun et Otha Ndooumba. Un seul absent : Mohamed Ali Saliou, ex-directeur adjoint du cabinet présidentiel, également jugé par contumace.

Le procès se déroule en deux temps : les deux premiers jours sont consacrés aux absents – Sylvia et Noureddin – avant le réquisitoire attendu mardi 11 novembre, puis l’examen des autres dossiers à partir de mercredi.

Lundi, la lecture du renvoi d’appel, la décision qui convoque les prévenus devant les juges, a révélé l’ampleur des détournements en cause. Pendant plus d’une heure, la Cour a égrené les accusations : Noureddin Bongo Valentin, Mohamed Ali Saliou et Ian Ngoulou auraient perçu des bonus pétroliers versés par des sociétés installées au Gabon, ainsi que d’importantes sommes d’argent en espèces provenant du Trésor public – des millions, parfois des milliards de francs CFA.

Ils sont également poursuivis pour blanchiment de capitaux : ces montants auraient alimenté de nombreux comptes bancaires au Gabon et à l’étranger. Un système financier complexe permettant l’enrichissement personnel d’une partie de la famille Bongo. Sylvia Bongo est accusée de s’être constituée frauduleusement un patrimoine immobilier et devra répondre des chefs de « faux et usage de faux ».

Une défense hyperactive médiatiquement

Depuis Londres, dans les jours précédant ce procès historique, la famille Bongo s’est employée à nier toute responsabilité. Noureddin Bongo Valentin a cherché à prendre l’opinion française et anglophone à témoin, en délivrant sa version des faits à travers plusieurs interviews accordées au magazine Le Point, à Brut Afrique et au London Standard. Il a également diffusé des vidéos tournées en caméra cachée, censées illustrer l’absence d’indépendance de la justice gabonaise.

En réaction, le pouvoir dénonce une « campagne d’influence » visant à perturber la transition engagée depuis le 30 août 2023 et le bon déroulement du procès. « On est dans une tentative de déstabilisation qui ne prospérera pas », a affirmé Théophane Nzame Nze Biyoghe, porte-parole de la présidence.

   Noureddin Bongo Valentin

Joanna Boussamba, soutien du nouveau chef de l’État, l’ancien patron de la garde présidentielle, accuse sur TV5MONDE : « Quelle indécence de croire que les Gabonais vont avaler cette pilule-là ! Tout le monde sait que le nom de la famille Bongo signifie dictature. »

Dans ses déclarations, Noureddin Bongo Valentin se présente comme un « bouc émissaire », un simple « assistant » auprès d’un père affaibli, répétant avoir « vécu la plus grande partie de [sa] vie en Europe ». Mais les critiques adressées à la justice gabonaise résonnent avec une forme d’ironie : elles visent une institution et des magistrats que le régime d’Ali Bongo a lui-même nommés, habitués pendant quatorze ans à confondre pouvoir et droit.

Un procès, symbole d’une transition achevée ?

Au-delà des personnes, ce procès vient sanctionner le basculement survenu en 2018 et ouvre une page inédite de l’histoire récente du Gabon. Jamais le pays, indépendant depuis 1960 et peuplé de moins de trois millions d’habitants, n’a traduit devant ses tribunaux les protagonistes accusés d’avoir confisqué le pouvoir et les richesses publiques entre 2018 et 2023. Sous le regard d’une opinion publique en quête de vérité.

Ce procès ne juge pas seulement une famille : il interroge le rapport d’un pays à lui-même et met à l’épreuve la promesse d’un État de droit renaissant. Alors que la transition politique s’achève – après le dialogue national, la nouvelle Constitution et l’installation de la Cinquième République –, le Gabon avance avec prudence, mais aussi avec une certaine forme d’orgueil, sur la voie de sa propre justice.

« Premières dames africaines » (volet 3), Sylvia Bongo, la dame de fer 

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Cette loi scélérate qui interdit tout contact entre Libanais et Israéliens https://mondafrique.com/moyen-orient/cette-loi-scelerate-qui-interdit-tout-contact-entre-libanais-et-israeliens/ https://mondafrique.com/moyen-orient/cette-loi-scelerate-qui-interdit-tout-contact-entre-libanais-et-israeliens/#respond Sat, 08 Nov 2025 06:40:36 +0000 https://mondafrique.com/?p=142299 Prétendument conçue pour préserver la solidarité arabe, la loi s’immisce dans tous les domaines : commerce, finance, services, jusqu’au moindre échange de mails.

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La loi libanaise sur le boycott d’Israël, héritée de 1955, s’enorgueillit d’être l’une des plus inflexibles du monde arabe. Elle interdit, en bloc, toute relation – directe ou indirecte – entre Libanais et quiconque vivant en Israël ou travaillant pour ses intérêts.

Il n’existe pas de décompte public unique et officiel recouvrant toutes les condamnations prononcées au titre de l’interdiction de tout contact avec Israël (la situation judiciaire est en partie traitée par les tribunaux militaires et les communiqués de sécurité, souvent fragmentaires).

Des sources fiables indiquent 185 arrestations depuis 2019, dont 165 poursuivies (prosecutions) et 25 condamnées (données rapportées en décembre 2022). Ces chiffres proviennent d’un reportage AFP largement repris par la presse régionale et internationale.

Nicolas Beau

Prétendument conçue pour préserver la solidarité arabe, la loi s’immisce dans tous les domaines : commerce, finance, services, jusqu’au moindre échange de mails. Sa portée extraterritoriale est telle qu’un simple courrier à une société israélienne via un intermédiaire suffit à tomber sous le coup de la loi.

Le code pénal, lui, s’empresse de renforcer cette logique paranoïaque : collaboration, assistance ou transmission d’informations à « l’ennemi » sont traquées par des articles fourre-tout (278 et 285) qui servent de prétexte à toutes les poursuites, même les plus absurdes. Les peines sont lourdes, les interdictions nombreuses : il est même illégal pour un Libanais de se rendre en Israël sans le tampon d’une administration toujours prompte à soupçonner. Et pourtant, derrière la façade, la justice se révèle hésitante : preuve, intention, matérialité des faits… autan de brèches qui laissent passer l’arbitraire et l’incertitude.

Le politique, lui, ne s’embarrasse pas de ces subtilités : il s’agit d’empêcher toute « normalisation », de conjurer l’espionnage, l’infiltration, la manipulation. Derrière la sévérité, il y a surtout la mémoire d’une guerre non digérée, de contentieux sans fin, de frontières jamais apaisées.

Entre fantasme de pureté nationale, frontières mouvantes et réalité d’un monde où tout circule (sauf l’hypocrisie), la loi libanaise sur les contacts avec Israël se rêve en rempart. Mais à force de vouloir tout interdire, elle se prend dans ses propres contradictions, laissant place à un théâtre d’interdits officiels, de tolérances tacites et de contournements bien rodés. Au Liban, chacun jongle avec l’ennemi désigné : l’État brandit le texte, la société l’adapte, et la vie, elle, trouve toujours un passage.

Qu’il s’agisse d’un accord commercial, d’une discussion en ligne, d’un mariage ou d’un simple cliché partagé, chaque interaction avec « l’autre rive » révèle l’ambivalence d’un système juridique écartelé entre l’absolu de l’interdit et la ruse du réel.

Frontières poreuses, œillères d’État

Côté économie, la loi libanaise rêve de pureté : toute affaire, de l’importation à la sous-traitance, est bannie. Les douanes montent la garde, listes noires à l’appui, prêtes à épingler tout ce qui porte une trace d’Israël. Les sanctions ? Interdiction d’exercer, saisies, poursuites, fermetures : tout l’arsenal y passe.

Mais à l’ère des circuits mondiaux et des marchés dématérialisés, ce zèle n’est souvent qu’un vœu pieux. Les produits israéliens franchissent les frontières sous de fausses étiquettes, les logiciels circulent sous licence tierce, les fraudes prospèrent. Seuls les cas flagrants – saisis à l’importation – finissent par une condamnation ; le reste file entre les mailles d’une loi conçue pour un autre siècle.

La jurisprudence, elle aussi, déborde d’acrobaties : en 2000, la cour de cassation blanchit un trafiquant de tabac, estimant que la marchandise venait d’un territoire occupé par Israël, pas d’Israël : il fallait oser. Plus récemment, des multinationales sont exclues d’appels d’offres publics pour cause de filiales en Israël, mais d’autres secteurs – métaux précieux, pétrole, services numériques – échappent à toute vigilance. On frôle parfois l’absurdité : comment, dans la jungle des sociétés-écrans et des flux financiers opaques, empêcher le moindre profit de « tomber dans l’escarcelle de l’ennemi » ? La réponse officielle : contrôle renforcé dans les secteurs sensibles… mais le doute demeure, et la modernité dépasse chaque jour la vieille obsession du contrôle.

Intimité surveillée, humanité niée

Même la sphère privée, censée être le refuge ultime, n’échappe pas à la surveillance. Le moindre geste pouvant servir l’ennemi – héberger, renseigner, aider, parfois même parler – peut valoir des ennuis judiciaires. Mais la machine judiciaire, embourbée dans la nécessité de prouver l’intention de nuire, relaxe souvent les suspects : le boulanger qui vend son pain à un soldat israélien n’est pas un traître, décrète la cour, s’il ne s’agit pas d’espionnage. Le berger qui discute avec des soldats israéliens ne tombe pas sous le coup de la loi, tant que ses propos restent triviaux.

Le mariage entre Libanais et Israéliens, officiellement non interdit, vire au casse-tête politique dès qu’il s’agit d’enregistrement administratif. Rares, mais éloquents, ces cas montrent un appareil d’État obligé de reconnaître, parfois à contrecœur, la complexité humaine derrière la rigidité de l’interdit.

La monnaie n’est pas en reste : posséder des shekels n’est pas un crime, sauf preuve d’une transaction illicite. Même la mer, théâtre de drames et de sauvetages, impose ses exceptions : un navire libanais accostant en Israël pour fuir un naufrage n’est pas puni, la solidarité internationale l’emporte sur la logique du boycott.

Sport, musique, universités : là encore, l’hypocrisie domine. Des sportifs libanais accusés de trahison pour avoir croisé des Israéliens lors de compétitions internationales ne sont jamais condamnés : la société s’indigne, la justice absout.

Libertés piégées, opinion traquée

Dans un pays où tout peut devenir politique, l’espace numérique n’offre qu’une illusion de protection. La loi du boycott, écrite pour une autre époque, ne dit rien des réseaux sociaux ou des images virales. Tant que la communication reste privée et apolitique, la sanction pénale s’éloigne… mais la société, elle, veille : un commentaire, une photo, peuvent déclencher enquête, exclusion, lynchage médiatique.

L’affaire Ziad Doueiri est devenue l’exemple parfait de cette fragilité. Cinéaste reconnu, il est arrêté à Beyrouth pour avoir tourné en Israël : son procès finit en non-lieu, mais la polémique révèle à quel point le monde artistique et intellectuel doit marcher sur des œufs.

Quant au tribunal de l’opinion, il tranche sans appel : une Miss Liban photographiée avec Miss Israël ? C’est la meute, la mise à l’écart, la menace, même si la lettre de la loi ne condamne rien. La société exige la pureté, la loi joue les équilibristes.

Musique, sport, art : tous connaissent la même logique. La justice hésite, mais l’opprobre publique, elle, ne rate jamais sa cible. L’ère numérique a démultiplié cette dynamique : chaque image peut devenir, en quelques heures, l’étendard d’un faux procès ou d’une chasse aux sorcières.

Face à la porosité des frontières virtuelles, chacun – artiste, citoyen, internaute – doit composer, dans la solitude, avec l’ombre de l’interdit. Entre la lettre d’un droit daté, l’esprit d’un boycott devenu réflexe, et le poids d’un regard social impitoyable, la marge d’erreur se rétrécit chaque jour.

Le droit libanais, imprégné de la mémoire du conflit, dessine autour de l’ennemi une frontière invisible, redoutée ou contournée selon l’époque, mais toujours fragile. Si la loi s’obstine à construire des murs, la vie, elle, s’acharne à inventer des passerelles – par nécessité, par hasard ou par simple envie de dialogue.

Dans cette zone grise, les risques sont là : sanctions pour les contacts jugés dangereux, exclusion pour des gestes mal compris. Mais la réalité, plus fluide, plus mobile, s’impose peu à peu. Les nouvelles générations, connectées et lassées des vieux tabous, osent poser la question : dans un monde ouvert, qui croit encore possible de tout contrôle ?

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Mali, le chemin vers le pouvoir d’Iyad Ag Ghali https://mondafrique.com/decryptage/mali-le-chemin-vers-le-pouvoir-diyad-ag-ghali/ Wed, 05 Nov 2025 04:48:00 +0000 https://mondafrique.com/?p=90520 Rebelle touareg du nord Mali devenu le chef dy GSIM, le principal mouvement djihadiste au Mali, Iyad Ag Ghali, qui est devenuune figure centrale de l’avenir du Mali, est passé par l’armée de Kadhafi et proche des services de renseignements algériens (DRS), celui que l’on surnomme « le lion du désert » a construit une […]

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Rebelle touareg du nord Mali devenu le chef dy GSIM, le principal mouvement djihadiste au Mali, Iyad Ag Ghali, qui est devenuune figure centrale de l’avenir du Mali, est passé par l’armée de Kadhafi et proche des services de renseignements algériens (DRS), celui que l’on surnomme « le lion du désert » a construit une organisation populaire en privilégiant le contact avec les populations locales sur toute stratégie terroriste à l’étranger.

À la façon des Talibans en Afghanistan et sur un mode opposé à la brutalité des organisations sahéliennes fidèles à Daech, comme le raconte l’excellent livre de Seidik Abba (« Mali-Sahel, notre Afghanistan à nous »),  qui nous a permis de publier des extraits de cette enquête particulièrement fouillée.

Les réseaux tentaculaires placent Iyad ag Ghali  hors de toute atteinte et le rendent incontournable dans la crise malienne. Replié dans le sud algérien depuis l’offensive des militaires français, cet expert des jeux à mille bandes est devenu le chef du GSIM, le principal groupe djihadiste malien, rallié  Al-Qaïda au Maghreb islamique. Bien qu’Emmanuel Macron ait désigné ce notable de l’islamisme comme « l’ennemi publuc numéro un » de la France, tout dans son parcours et sa personnalité le désigne comme un chef politique pragmatique qui cherche, y compris en s’appuyant sur des forces salafistes, à s’imposer sur le théâtre politique malien.

L’Odyssée d’Iyad Ag Ghali

Né vers 1955 dans une famille noble d’éleveurs de la tribu des Ifoghas au nord-est du Mali, Iyad Ag Ghali a un parcours digne de l’Odyssée. Agé d’à peine vingt ans dans les années 1980, il prend la route de la Libye comme de nombreux touaregs qui fuient le chômage et les terribles sécheresses qui dévastent la région. Là-bas, le futur chef rebelle enchaîne les jobs à la sauvette, jardinier, gardien de voitures, avant d’intégrer, comme des milliers d’autres touaregs, la légion islamique de Kadhafi. « A l’époque, s’enrôler dans l’armée libyenne représentait une possibilité de se former au combat dans l’optique d’une future rébellion »  explique Pierre Boilley, directeur du Centre d’étude des mondes africains qui a connu Iyad Ag Ghali. Au Liban, où on l’envoie combattre les milices chrétiennes, puis sur le terrain tchadien, Iyad s’initie donc à l’art de la guerre.

C’est en combattant aguerri qu’il revient au pays lorsque Kadhafi démantèle la légion en 1987. Il troque alors son uniforme militaire pour celui de la rébellion touareg dont il va devenir une icône. A la tête du Mouvement populaire pour la libération de l’Azawad (MPLA), il lance sa première action d’envergure le 28 juin 1990 : un assaut contre la gendarmerie de la ville de Ménaka. Plusieurs policiers maliens meurent pendant l’attaque. Un fait d’arme qui lui vaut d’être reconnu comme un combattant redoutable. Au point de s’attirer l’oeil de l’Algérie, puissance régionale incontournable qui considère le nord Mali comme sa zone d’influence et craint de voir s’exporter les velléités autonomistes sur son territoire. Après avoir longtemps réprimé les touaregs aux côtés de l’armée malienne, Alger s’engage en effet, dans une stratégie d’infiltration de ces mouvements. Stratégie dont Iyad sera la pierre angulaire.

 

Iyad Ag Ghali, l’allié d’Alger

Lorsque la diplomatie algérienne impose sa médiation dans le conflit malien et organise des négociations à Tamanrasset en 1991, les hommes du DRS choisissent de miser sur le jeune et ambitieux leader. Interlocuteur du gouvernement malien lors de ces pourparlers, Iyad accepte de signer l’accord de paix de Tamanrasset alors qu’aucun des objectifs de la rébellion n’est atteint. Un acte qui lui vaudra d’être considéré par beaucoup de maliens comme l’homme qui a ramené la paix au nord Mali, et par beaucoup de rebelles comme un traître passé sous la coupe de l’Etat. Le camp  touareg se divise. Iyad, qui a fait d’une pierre deux coups a acquis le soutien d’Alger et la confiance des autorités maliennes.,

Progressivement, il plonge dans le fondamentalisme religieux. Déjà acquis au discours antioccidental cultivé dans les camps d’entrainement libyens, il se radicalise. Difficile d’expliquer ce virage. Si certains doutent de la sincérité de sa foi, beaucoup évoquent un épisode décisif. Entre 1997 et 1998, des missionnaires salafistes pakistanais affiliés au courant Jamaat al-Tabligh qui prône un islam rigoriste débarquent à Kidal. Pendant de longues heures, Iyad discute avec eux et devient leur disciple. A leur contact, il change. « Il ne s’habillait plus qu’en blanc, ne buvait plus d’alcool » explique le chercheur Pierre Boiley. « Il dormait même dans les mosquées » affirme un homme politique malien. Son épouse, Anna Walet Bicha, valeureuse combattante aux côtés de la rébellion des années 1990, se voile de noir. Selon un ancien officier des services de renseignement à Bamako, Iyad effectue même une courte retraite au Peshawar. Tout en adhérant aux thèses fondamentalistes dont il se réclame officiellement à partir de 2003, le fin stratège peaufine son image d’islamiste « light » en prenant soin d’affirmer son rejet des attaques suicides et du terrorisme.« C’est un véritable entrepreneur politique. Il peut changer d’alliance du jour au lendemain selon les rapports de force » explique un diplomate français (1).

Admiré et redouté à la fois, Iyad fascine et se rend indispensable. Même le président ATT sait, à l’époque, à quel point il peut lui être utile. « ATT avait une ligne directe avec Iyad qui était un relai extrêmement précieux pour lui au nord Mali » affirme le même diplomate. Pourtant, son influence croissante est source d’inquiétudes et Iyad se voit nommé consul à Djeddah en novembre 2007. « Grave erreur » confie un ancien officier du renseignement malien. « Nous avions sous-estimé son degré de radicalisation à l’époque ». Les contacts qu’il noue sur place avec des groupes salafistes lui valent de se faire expulser du territoire en 2010.

De retour au Mali avec son nouveau carnet d’adresse, il gravite autour de personnalités liées à Aqmi et fait son retour sur le marché des otages qui lui rapporte gros. Son nom apparaît notamment à plusieurs reprises en 2013 lors de la libération des otages d’Areva capturés à Arlit au Niger. 

L’agrégation de groupes disparates

Comme en Afghanistan où la victoire des talibans a été acquise par l’alliance entre la connaissance du terrain et le maillage territorial, le GSIM agrège un ensemble de groupes disparates : Ansare Dine, créée en 2012 par Iyad Ag Ghali, pour rallier une partie de la communauté touarègue la Katiba Macina d’Amadou Koufa, dont le fief se situe au centre du pays, la Katiba Serma, près de la forêt éponyme, dans le Centre, et la Katiba Gourma, dans la zone des trois frontières communes au Burkina Faso, au Mali et au Niger.

Par le nombre des structures qu’il fédère mais surtout par son implantation ethnique ouverte aux populations arabe, touareg, peul ou bambara, le GSIM revendique une identité nationale malienne comparable à la dynamique créée par les talibans dans ses alliances avec les structures tribales afghanes.

Tout comme « les frères » de Kaboul, le GSIM a adopté la même architecture organisationnelle que les talibans : Un conseil de chefs, Majilis-Al-Ayan au sommet assisté par une assemblée générale populaire Majilis-Al-Choura.  Comme chez les talibans, et à la différence de l’EIGS, n’il n’y a pas dans le GSIM un « gourou », mais une sorte de « responsable » délégué. Iyad Ag Ghali n’est que « le Mollah » du GSIM, une sorte de « Mollah Omar », de son vrai nom Mohammad Omar, chef des talibans de 1994 jusqu’à son décès en 2013.

Autre élément qui fait écho au Sahel à la victoire des talibans, c’est l’adoption de la même stratégie d’agenda. Le GSIM n’a jamais eu l’ambition d’aller frapper Paris, New York, Londres ou Bruxelles. Son agenda est malien, nigérien, burkinabé et sahélien. Autant les talibans cherchaient seulement à chasser les « forces d’invasion » du territoire national, autant les groupes fédérés au sein du GSIM cherchent à bouter hors du Sahel Barkhane, la MINUSMA, les armées européennes ainsi que toutes les autres forces étrangères.

L’armée française ciblée

Comme les talibans qui s’en prenaient, non pas aux populations, mais aux forces étrangères et à l’armée régulière afghane, les combattants du GSIM ciblent les forces étrangères et les armées sahéliennes. En 2018, ils ont ciblé simultanément, à Ouagadougou, au Burkina Faso, la France (l’ambassade de France) et le Burkina Faso (l’état-major des armées burkinabé).

Ils frappent en mars 2017 une patrouille des forces armées maliennes à Boulkessi, dans le nord, faisant 11 morts et des blessés graves. Les djihadistes du GSIM ont tué lors d’une attaque perpétrée en mai de la même année à Nampala, dans le centre du Mali, neuf autre soldats maliens.  A Sevaré, dans le Centre, le GSIM avait attaqué en juin 2018 le quartier général de la Force conjointe du G5 Sahel à Sevaré, tuant six personnes et imposant son transfert à Bamako.

La proximité avec le terrain

Comme en Afghanistan où l’intervention internationale n’a pas empêché le discrédit de l’Etat caractérisé par la corruption, les « talibans » sahéliens exploitent à fond le terreau local favorable à leurs activités.

Ils apportent des solutions aux problèmes matériels de certaines populations en assurant des prestations de services de base en matière d’accès à l’eau, de pâturages, de transhumances des animaux. Ils disposent pour cela d’un trésor de guerre acquis à travers le paiement des rançons par les Etats occidentaux en échange de la libération de leurs ressortissants. Rien que pour la libération en octobre 2020 de la Française Sophie Pétronin et du chef d file de l’opposition Soumaïla Cissé le GSIM, qui les détenait, le GSIM aurait perçu entre 10 et 18 millions d’euros.

 Il est même arrivé que des mouvements djihadistes assurent la sécurité d’événements communautaires, notamment au Mali dans des zones où l’Etat est totalement absent.  Des exactions régulièrement attribuées aux forces de défense et de sécurité ont brisé la confiance entre les Etats sahéliens et leurs populations. Une grande brèche dans laquelle se sont aisément engouffrés les mouvements fédérés dans le GSIM.  

« Nous sommes aujourd’hui arrivés dans le delta central à un stade où les populations ont autant peur de l’armée malienne, de la gendarmerie malienne, de la police malienne que des hommes d’Amadou Koufa », nous avait confié en 2017, Alioune Nouhoum Diallo, ancien président de l’Assemblée nationale du Mali (1992-2002) et  ancien président de parlement de la communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO, 2002-2006).

Des passerelles vers l’État malien

Après les assises de la paix dans le delta central malien, organisées du 2 au 3 mai 2017, à Mopti, dans le centre du Mali, Amadou Koufa s’était déclaré ouvert à des négociations avec l’Etat malien, à la condition que son interlocuteur soit le professeur Alioune Nouhoum Diallo, grande figure de la communauté peule.

De Kidal, sur la frontière algérienne à Ménaka et Gao, sur la frontière avec le Niger, en passant par Ségou et Mopti dans le Centre, les groupes djihadistes affiliés au GSIM ont investi depuis plus de dix ans les zones rurales, comme les talibans en Afghanistan.

Avec la même démarche, la même architecture de gouvernance, le même agenda d’expulsion des armées étrangères, le même terreau favorable, ils rêvent de faire autant que les talibans. 

« Ils sont galvanisés par la victoire des talibans. Ils se disent que les frères ont vaincu là-bas la plus puissante armée du monde, pourquoi pas nous au Sahel », a décrypté pour nous, en octobre 2021 à Paris, Tiébilé Dramé négociateur de l’accord de paix inter-malien signé en 2013 à Ouagadougou, au Burkina Faso, et ancien chef de la diplomatie malienne.

Le même argumentaire est repris par Moussa Ag Assarid, figure emblématique du MNLA : « La victoire des talibans en Afghanistan a eu une vraie résonance chez les groupes djihadistes sahéliens sur le mode : nous aussi, nous y arriverons tôt ou tard ».

La fin de Barkhane annoncée en juin 2021 par le président Macron et les départs, même très ordonnés et scénarisés, des soldats français de leurs bases de Tessalit, Kidal et Tombouctou, dans le nord du Mali, ont été accueillis par Iyad Ag Ghali et ses camarades comme une demi-victoire qui présage de la victoire totale comme en Afghanistan.

(1) Cette citation figure dans un article du site Mondafrique, « l’intouchable Iyad Ag Ghali »

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L’incroyable histoire de l’enlèvement d’un prince émirati au Mali (suite et fin) https://mondafrique.com/decryptage/lincroyable-histoire-de-la-prise-en-otage-dun-prince-emirati-au-mali-suite-et-fin/ Tue, 04 Nov 2025 09:59:02 +0000 https://mondafrique.com/?p=142140 Comment une telle prise d’otages parvint-elle à se produire, si près du cœur d’un gouvernement reconnu et se conclure selon les termes même du brigandage ?

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Retenus par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Gsim) depuis leur disparition le 23 septembre à Sanankoraba, village sis à 40 kilomètres de la capitale, deux citoyens émiratis et leur collaborateur iranien viennent de recouvrer la liberté sains et saufs, après des négociations intenses et un accord qui suscite un torrent de réactions. Revenus à Bamako le 30 octobre 2025, au départ de Gao, leur retour marque la fin d’une épreuve assez insolite, si l’on considère les circonstances du rapt. 

Les contingences suspectes du dénouement révèlent, outre le choc initial, le contexte de précarité et de non-droit où l’Afrique s’enfonce, malade de sa gouvernance. Les pays concernés – Mali, Émirats arabes unis, Iran – et la communauté internationale ont l’obligation solidaire de répondre aux questions de l’heure :

  1. Comment une telle prise d’otages parvint-elle à se produire, si près du cœur d’un gouvernement reconnu et se conclure selon les termes même du brigandage ?
  2. Pourquoi les auteurs disposaient-ils de données précises sur la cible, au point de demander, dès leur intrusion à l’intérieur de la ferme de Cheikh Ahmed bin Maktoum bin Joumoua al Maktoum, membre de la famille princière de Dubaï? 

Les interrogations justifient une prospection de qualité, qui situera les niveaux de connivence, entre les ravisseurs, les sécurocraties maliens et quelques familles du bourg de Tilemsi au nord du Mali – à la fois sous-traitants du kidnapping et marchandeurs de rançons, en somme pyromanes et extincteurs. La préoccupation s’avère d’autant moins contournable que l’économie de la proie humaine génère un gisement quasi-inépuisable d’enrichissement rapide que les Nations unies échouent à défaire. Les précédents sont légion et il aura fallu la délocalisation du rallye Paris-Dakar en 2008, pour prendre conscience d’une criminalité très rentable, à mi-chemin du trafic des personnes et de la dissuasion diplomatique.

Mafia des sables

Le rôle ambigu de certains médiateurs, propulsés en sauveurs des cas d’urgence convoque la suspicion légitime.  Mohamed Mehri, dit « Rougi », et Sid’A Ahmed, alias « Zmeylou » comptent au nombre des rares intrigants de la sous-région, à disposer, en raison de leur entregent auprès services des Emirats arabes unis, du Mali et d’autres pays de l’arc-saharo-sahélien, d’un accès préférentiel à l’exercice discrétionnaire du pouvoir d’Etat. Ils détenaient la faculté de connaître la présence et les déplacements des trois victimes. Leurs attaches de parenté et connexions parallèles aux professionnels locaux du jihad, alimentent un microclimat du secret, souvent empreint de transactions poudreuses. Ici, le déroulement des faits autorise le soupçon du double jeu. Il importe de souligner que Rougi, le compère de Zmeylou, est le cousin de Houssein Ould Hamada, dirigeant du Gsim autour de Gao. S’ajoute, au trio, Abou Hamza al-Shinghitti, autre meneur de katiba. Quoique militants de camps opposés, leur loyauté de dernier ressort s’enracine dans les liens indissolubles de la Assabiyah, l’esprit de corps tribal qu’avait tôt décelé et théorisé Ibn Khaldun, le long de ses fameux prolégomènes.

Tous les quatre, de la tribu Lemhar de Tilemsi, à la lisière de la frontière algéro-nigérienne, ont été mêlés à la genèse du rapt puis à l’issue de l’arrangement. La rumeur, en l’occurrence invérifiable, leur impute un concours aux préparatifs de la rapine du 23 septembre. L’article de Mondafrique en date du 4 octobre détaille les circonstances présumées d’un tour de passe-passe digne de la prestidigitation. Aujourd’hui, il est bien établi que Iyad ag Ghaly a piloté le cours des pourparlers et pesé sur la décision, sans jamais désavouer le quatuor de Tilemsi par qui commence et se clôt l’escamotage juteux.

La tentative de la Mauritanie a tourné court. Les autorités voulaient recourir à l’expérience riche de Ahmed ag Bibi, ancien député de la région de Kidal qui n’appartient à une fraction armée et cultive des rapports cordiaux avec la majorité des acteurs de la crise au Mali. Notable Touareg des Ifoghas de l’extrême nord – d’ailleurs au même titre que Iyad ag Ghaly – il se trouvait en Algérie, pour y soigner son père, alité. A contrario des conjectures de la semaine, Mondafrique atteste, sources fiables à l’appui, que sa disponibilité aux instances de Nouakchott fit défaut. Il demeura en dehors du dossier.

Répartition inéquitable

La libération des otages a été obtenue en contrepartie de concessions de taille, dont une rançon à donner le tournis, sans doute la plus onéreuse du genre. D’aucuns évoquent, au bas mot, 50 millions d’euros, de dizaines de tonnes (de 20 à 40) de munitions acheminées, par transport terrestre, à partir du Tchad, en plus de l’échange d’environ 75 combattants du Gsim, contre 61 militaires du Mali. Les premiers ont été effectivement relâchés, à l’inverse des seconds car l’insurrection islamiste attend de récupérer 65 autres de ses éléments encore prisonniers. Or, la plupart seraient morts en détention. Il appert, des antécédents du début du siècle au Sahara-Sahel, que le montant de 50 millions comprend la rétribution des ravisseurs, la commission des facilitateurs et le défrayement des décideurs de l’Etat profond. Le partage ne tient d’une mesure déterminée à l’avance. Il arrive que les partenaires se flouent allègrement, en toute réciprocité, à l’instant de fixer la quote-part de chacun.

Hormis la spéculation sur l’argent et les armes, le troc inédit dévoile, d’emblée, le déséquilibre du partage aux dépens de la seule entité capable de réaliser une opération aussi intrépide, à proximité de Bamako. La Katiba Macina, principale composante du Gsim sera pourtant tenue à l’écart du tripatouillage, malgré l’implication manifeste de ses combattants. Le second dindon de la farce – il y en a deux – risque d’être la redoutable fédération des Emirats arabes unis, ainsi grugée à la faveur d’une tortueuse manipulation. Les mauvaises langues du Sahel supputent une rétrocommission au Général Modibo Koné, chef de l’Agence nationale de la sécurité d’Etat (Anse), service de renseignement et police politique, auquel la junte doit le prix de sa longévité. Le duo Rougi et Zmeylou, certes lié par le sang aux leaders du Gsim à l’entour de Gao, figurerait, également, parmi les informateurs attitrés de Bamako. Cependant, il est sûr que le pouvoir n’a pas contribué au rapt, n’en déplaise à l’esprit conspiratif de la barbouzerie sans frontières. Que des caciques, au sein de la junte, aient tiré profit du règlement final, relève du domaine de la probabilité. Le panier à crabes malien n’en est pas à une pince près.

Une faille dans l’ordre mondial

Les personnages au centre de l’intrigue semblent incontournables, comme le rappellent les archives du Comité des sanctions de l’Onu. Accusés de participation au trafic de cocaïne en provenance d’Amérique du Sud, de complicité ponctuelle avec le terrorisme, ils fourniraient, suivant les besoins et l’offre du client, logistique, trajets sécurisés et indications de première main, brouillant alors les frontières du crime organisé, de la rébellion et du jihad.

Chaque année, ils écument les showrooms de Dubaï pour acquérir les derniers modèles de véhicules de luxe – 4×4 blindés, SUV haut de gamme – qu’ils s’empressent de redistribuer aux officiers des services et politiciens, jusque dans les pays voisins, à la périphérie immédiate des Chefs d’Etat. Les « cadeaux » traversent les frontières et scellent des alliances tacites à l’échelle de la sous-région. Les donateurs s’assurent des passages francs et étouffent, dans l’œuf, les velléités d’investigation. A l’entrée des territoires limitrophes du Mali, ils atterrissent en VIP, tapis rouge déroulé grâce aux soins d’officines parfois proches des présidents mais loin des regards indiscrets. Le parcours sulfureux de Rougi et Zmeylou témoigne d’une défaite morale du multilatéralisme.

La toile de corruption systémique mine la capacité des États sahéliens à contrer la délinquance ordinaire et le terrorisme. Elle ne se réduit à un bruit de salon ni à un filon d’anecdotes. Les chiffres du flux ininterrompu de la drogue explosent, d’une année à la suivante. De 2023 à 2025, leur taux de croissance atteint 30%. Certes, les volontaires du jihad ne recourent aux revenus du commerce ou du transit des stupéfiants mais ils ferment les yeux sur la vénalité d’acteurs susceptibles de concourir à la réalisation du Califat.

L’enquête internationale qui ne verra pas le jour

Face à l’ampleur du rançonnement et à la densité de ses zones d’ombre, la communauté des nations – ou plutôt ce qui en subsiste – ne saurait éluder les conséquences de son devoir de prévention. L’enjeu dépasse la quête de la vérité ultime à la germination de l’acte. Il concerne, davantage, la sûreté collective au-delà de l’Afrique de l’Ouest.

La démarche comporte un effet, double : Il s’agit, d’abord, de rompre le sentiment d’impunité qui entretient la tentation de la dérive, ensuite de décourager la repousse de l’entreprise, en asséchant, à la source, ses circuits d’espionnage, de financement et de logistique. Là, résident la restauration de la confiance entre États et l’avenir de la protection des ressortissants étrangers. Il presse d’envoyer, au monde, un message limpide, sous peine de banaliser, partout, la régression vers l’immémoriale loi de la jungle, vecteur de repli sur soi : Aucun enlèvement ne devrait rester à l’abri d’une pénitence exemplaire.

Mali, une rançon de 50 millions d’euros versée par les Emirats à Iyad Ag Ghali

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Alger/Tunis (volet 3), la boulimie hégémonique de l’Algérie https://mondafrique.com/decryptage/alger-tunis-volet-3-la-boulimie-hegemonique-de-lalgerie/ https://mondafrique.com/decryptage/alger-tunis-volet-3-la-boulimie-hegemonique-de-lalgerie/#comments Sat, 01 Nov 2025 20:59:58 +0000 https://mondafrique.com/?p=142003 Le 7 octobre dernier, un accord de coopération militaire et sécuritaire était signé entre Saïd Chengriha et Khaled Sehili, les ministres de la Défense respectifs de l’Algérie et de la Tunisie, dont le contenu n’a été que partiellement rendu public mais qui entérine la mainmise de l’Algérie sur « la 59 eme wilaya » qu’est souvent la […]

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Le 7 octobre dernier, un accord de coopération militaire et sécuritaire était signé entre Saïd Chengriha et Khaled Sehili, les ministres de la Défense respectifs de l’Algérie et de la Tunisie, dont le contenu n’a été que partiellement rendu public mais qui entérine la mainmise de l’Algérie sur « la 59 eme wilaya » qu’est souvent la Tunisie aux yeux d’Alger. Cet accord intervient après l’attaque d’Israël contre la flottille pour Gaza au large de Tunis. Aussi discret que décisif, ce texte n’a donné lieu à aucun communiqué officiel à Tunis de la présidence, du ministère de la Défense ou des Affaires étrangères.

Après l’ablation de janvier 1970 des territoires du sud, le régime algérien n’a pas guéri de sa boulimie hégémonique à l’égard de la Tunisie, en multipliant les sabotages, les complots et les tentatives de déstabilisation.

Mezri Haddad, ancien chargé de mission auprès de la présidence tunisienne (2002), ex-Ambassadeur auprès de l’UNESCO (2009)

Premier coup de semonce post-traité de la Honte, la menace à peine voilée de Boumediene d’envahir la Tunisie si elle ne renonçait pas à son union avec la Libye, conclue à Djerba en 1974. Selon Mohsen Toumi, « le 14 janvier, deux jours après Djerba, le Conseil de la Révolution et le Conseil des ministres se réunissent sous la présidence de Houari Boumediene pour examiner la décision relative à la fusion de la Tunisie et de la Libye, et publient un communiqué sévère : Le Maghreb étant lui-même une entité indivisible, l’édification d’un tel ensemble ne peut être facilitée par une tentative hâtive et artificielle » (La Tunisie de Bourguiba à Ben Ali, p. 97). La suite est connue.

La tentative d’insurrection de Gafsa (1980)

Second coup et pas seulement de semonce, la tentative d’insurrection de Gafsa le 27 janvier 1980, lorsque 3 groupes de 15 commandos ont pris d’assaut la caserne Ahmed Tlili qui abritait 350 nouvelles recrues. Ce ramassis de mercenaires Tunisiens à la solde de la Libye et de l’Algérie, parmi lesquels Amara Dhaou, Ezzeddine Chérif, Ahmed el-Merghenni, Larbi Akremi…, comptait sur un soulèvement général des gafsiens pour faire tomber le régime de Bourguiba. Leur tentative fut un échec total même si le bilan a été lourd : 115 blessés graves, une cinquantaine de morts dont 20 jeunes soldats froidement abattus et 4 mercenaires tués. A l’époque, les autorités tunisiennes ont exclusivement attribué cette agression à Kaddafi ; ils ont tout fait pour blanchir le grand voisin de l’Ouest alors que beaucoup savaient déjà, preuves factuelles à l’appui, que le véritable cerveau était bel et bien le régime algérien. L’enquête a pu retracer le parcours des assaillants : partant de Tripoli, ils sont passés par Alger via Beyrouth et Rome pour finalement s’infiltrer en Tunisie par la région de Tébessa.     

Plusieurs ouvrages ont étayé cette thèse, y compris celui de Mohsen Toumi, qui était pourtant très proche de l’Algérie et qui affirme (p. 161) que Ezzeddine Chérif, par ailleurs membre du Polisario, « est tamponné par la sécurité militaire algérienne. Dès 1977, il est établi qu’il a rencontré le colonel Slimane Hoffmann et que l’opération de Gafsa est envisagée ». Autre témoignage limpide et accablant de celui qui était en 1980 ministre de l’Intérieur, Othman Kechrid : « L’implication libyenne dans l’organisation, le financement et l’exécution de l’attaque de Gafsa était évidente. Au cours de leur passage par l’Algérie, les membres du commando avaient été pris en charge par certains cadres de la sécurité militaire algérienne. Cependant, la conception de l’opération est imputable à l’ancien président Boumediene qui avait décidé, quelques mois avant sa mort, d’opter pour la programmation d’une action déstabilisatrice en Tunisie » (site tunisien Leaders, 21 janvier 2013). Premier et rare chef d’Etat arabe à manifester réellement sa solidarité à l’égard de la Tunisie à l’époque, le Roi Hassan II : « Au cas où la Tunisie était attaquée, le Maroc est prêt -et il a déjà pris ses dispositions- pour être aux côtés du peuple tunisien…y compris militairement » (TV Antenne2, février 1980).

« La Révoltution du jasmin » de 2011 fatale

Après la « révolution du jasmin », les ingérences directes et les coups bas du régime algérien sont bien trop nombreux pour les énumérer dans cet article déjà long. Je me contente seulement de dire que dès la chute de l’Etat tunisien le 14 janvier 2011, fidèle en infidélité, le régime algérien a mené une véritable guerre hybride, jusqu’à l’instauration de Kaïs Saïed, le plus distingué de leurs valets. Je n’adhère pas à la thèse des pseudo-révolutionnaires selon laquelle le régime algérien craignait la contagion démocratique (ce qui était vrai en 2011), et c’est pourquoi il aurait suscité le coup d’Etat du 25 juillet 2021, puis soutenu résolument l’autocratie de l’apprenti dictateur. Bien plus que la démocratie tunisienne qui était risible plus que crainte, ce que le régime algérien redoutait et redoute le plus, c’est un Etat tunisien fort, totalement souverain, dirigé par les véritables élites patriotiques du pays. Je n’en pense pas moins que le principal message que délivre le traité du 7 octobre 2025, aussi bien au peuple tunisien qu’aux véritables pays amis, voire à l’armée tunisienne elle-même, c’est que le régime de Kaïs Saïed est désormais sanctuarisé et intouchable, qu’en cas de soulèvement populaire, l’armée algérienne interviendrait.     

Bien que réduite à sa géographie actuelle, n’ayant pas les richesses pétrolières et gazières de la voisine de l’Ouest, richesses dont elle a été arbitrairement privée d’abord par la France, ensuite par l’Algérie, le pays de Bourguiba a pu rayonner bien au-delà de ses frontières, partout dans le monde. Par son Histoire, par sa diplomatie pragmatique et visionnaire, par le génie exceptionnel de son Président-fondateur, par la compétence et le patriotisme de tous les ministres qui l’ont loyalement servi, par ses réalisations multiples sous Bourguiba comme sous Ben Ali.

Mais survint la chute vertigineuse de 2011, ensuite le déclin graduel et la décadence inexorable, dont la mise sous tutelle algérienne n’est que la conséquence logique et dialectique (La Tunisie dans le giron algérien, titrait Le Point le 26 mars 2023).  En quasi-faillite économique, vidée de ses jeunes médecins, ingénieurs, pilotes, cadres financiers…tous partis vers d’autres cieux européens, la Tunisie connait et subit aujourd’hui, en effet, la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave. C’est si vrai, hélas, qu’un certain Houari Tigharsi, ancien parlementaire algérien recyclé dans l’expertise économique, a eu l’outrecuidance de déclarer sur la chaîne arabe SkyNews, en juillet 2022 : « Disons-le en toute franchise, la Tunisie est considérée comme l’une des plus importantes Wilayas (province) algériennes. Le président de la République a insisté sur un point, c’est que la sécurité de la Tunisie relevait de l’Algérie ». Cet expert dit tout haut ce que toute la nomenclature politico-militaire pense tout bas.

Et l’armée tunisienne dans tout cela ? Complice ou otage ? Est-elle complice de ce naufrage national, ou otage d’un homme parvenu au pouvoir par un accident de l’histoire ? C’est l’interrogation majeure et inéluctable à laquelle l’armée, seule clef de voûte du régime actuel, doit répondre, comme elle doit répondre de toutes ses turpitudes depuis le coup d’Etat du 14 janvier 2011. C’est aussi la question que je traiterai dans les prochains jours.

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Alger/Tunis (volet 2), la Tunisie spoliée de ses territoires au Sud https://mondafrique.com/decryptage/quand-lalgerie-spoliait-la-tunisie-de-ses-territoires-au-sud-volet-2/ Thu, 30 Oct 2025 22:44:41 +0000 https://mondafrique.com/?p=141880 Mezri Haddad, historien et diplomate, raconte l'ingratitude des dirigeants algériens qui, pour remercier Tunisiens et Marocains de leur aide dans le combat de leur pays

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Le 7 octobre dernier, un accord de coopération militaire et sécuritaire était signé entre Saïd Chengriha et Khaled Sehili, les ministres de la Défense respectifs de l’Algérie et de la Tunisie, dont le contenu n’a été que partiellement rendu public mais qui entérine la mainmise de l’Algérie sur « la 59 eme wilaya » qu’est souvent la Tunisie aux yeux d’Alger. Cet accord intervient après l’attaque d’Israël contre la flottille pour Gaza au large de Tunis. Aussi discret que décisif, ce texte n’a donné lieu à aucun communiqué officiel à Tunis de la présidence, du ministère de la Défense ou des Affaires étrangères.

Dans le deuxième volet de son enquête, Mezri Haddad, historien et diplomate, raconte l’ingratitude des dirigeants algériens qui, pour remercier Tunisiens et Marocains de leur aide dans le combat de leur pays pour son indépendance,  vont estimer que « le Sahara, tout le Sahara lui appartient à l’Algérie et à elle seule ».

Soudain, le gouvernement algérien postcolonial rêve de dominer le Maghreb au nom d’un panarabisme éculé, d’un islamisme aseptisé et d’un socialisme fantasmé. Ce qu’il va tenter de faire.

Analysant les dessous de l’éphémère union tuniso-libyenne de 1974, le fondateur de Jeune Afrique confessait que « le tandem Boumediene-Bouteflika rêvait d’un Maghreb sous sa coupe, où son ami Masmoudi aurait pris le pouvoir en Tunisie et le général Oufkir au Maroc » (Béchir Ben Yahmed, J’assume, 2021, p. 191). Fini le rêve né en avril 1958 à Tanger, lorsque les chefs de l’Istiqlal, du FLN et du Néo-Destour exprimaient leur détermination de fonder un Maghreb uni. Le traité de Marrakech en 1989 pour promouvoir l’intégration économique et politique des cinq pays n’a été, a posteriori, d’une chimère. C’est que pour les Tunisiens, leur pays appartient au Maghreb. Pour les Marocains, le Maroc appartient au Maghreb. Idem pour les Mauritaniens et les Libyens. C’est aussi le cas du peuple algérien mais pas du régime selon lequel c’est le Maghreb qui appartient à l’Algérie !

Les dirigeants Algériens ont rapidement oublié que le Maroc et la Tunisie avaient hébergé des milliers de réfugiés Algériens (selon Mohsen Toumi, La Tunisie de Bourguiba à Ben Ali, 1989, p. 72). Plus exactement « près d’un million de réfugiés entre 1957 et 1962 », ainsi que l’ALN et le GPRA (gouvernement provisoire de la République algérienne). Le Maroc et la Tunisie ont massivement soutenu l’action militaire de l’Algérie jusqu’à en subir les conséquences tragiques, notamment à Oujda et à Sakiet-Sidi-Youssef en 1958.

Avant même la proclamation de son indépendance imminente, acquise certes par la résistance héroïque de son peuple mais aussi grâce au soutien politique, diplomatique, logistique et même militaire des Tunisiens et des Marocains, l’Algérie faisait preuve de reconnaissance à l’égard de ses fidèles voisins de manière bien singulière : le Sahara, tout le Sahara lui appartient à elle et à elle seule.

Ainsi, tout est répulsif et abominable dans l’œuvre coloniale, sauf le tracé des frontières unilatéralement établies par le colon ! Et pour cause, ce leg précieux du colonialisme lui était bien favorable aux dépens de la Tunisie et du Maroc, qui avaient de leurs côtés l’Histoire et même certains traités juridiques remontant à l’époque ottomane et au début de l’ère coloniale, mais pas les volte-face de la France sous le général de Gaulle !

Un affrontement armé avec le Maroc  

A peine une année après son indépendance, sachant qu’elle va devoir restituer ce qui ne lui appartient pas, conformément d’ailleurs aux engagements de certains de ses chefs historiques, l’Algérie mobilisait ainsi son armée pour préserver l’intangibilité de « son » territoire des nouveaux « ennemis » Marocains et Tunisiens, considérant comme fait accompli et non négociable les délimitations coloniales de ses frontières avec le Maroc d’une part et la Tunisie d’autre part.

Avec le Maroc, le différend frontalier a tourné à l’affrontement armé en octobre 1963, avec la « guerre des Sables », provoquée par l’armée algérienne avec l’appui notamment de l’Egypte nasserienne. En dépit d’une convention reconnaissant implicitement la revendication marocaine, signée à Rabat en juillet 1961 entre Hassan II, 21ème représentant de la dynastie alaouite et Ferhat Abbas, président du GPRA avant d’être renversé par Ben Bella, un détachement des Forces armées royales est attaqué à Hassi-Beïda, non loin de Béchar, affrontement qui va rapidement s’étendre à Tindouf et Figuig.

Le conflit fratricide, qui va tourner à l’avantage du Maroc pour ne pas dire à la débâcle de l’ANP -malgré le renoncement volontaire de Hassan II à la région de Tindouf-, prend fin au bout de quatre semaines à l’initiative de l’OUA et sera officiellement réglé par un traité de « fraternité et de bon voisinage » conclu le 15 janvier 1969 à Ifrane. Si pour le Maroc c’était enfin la paix de la bravoure, pour l’Algérie c’était le répit de la rancune… en attendant d’allumer, via le Polisario, son proxy installé à Tindouf, le feu de la discorde au Sahara marocain, improprement appelé « Sahara occidental », une création ex nihilo de Kadhafi avant la récupération de la créature par Boumediene.

S’ensuivit près d’un demi-siècle de guerre froide, parfois chaude, toujours par mercenaires interposés, pour finir ces jours-ci au Conseil de sécurité des Nations-Unies. Inféodation oblige, l’usurpateur de Carthage a entrainé le pays dans ce conflit algéro-marocain, rompant ainsi avec la doctrine des Affaires étrangères tunisiennes de la non-ingérence (Polisario, port de Zarzis : ce qu’Abdelmadjid Tebboune et Kaïs Saïed se sont dit, article de Jeune Afrique du 11 juin 2025), établie par Bourguiba dès 1956 et fidèlement suivie par Ben Ali. Sur cette question du Sahara marocain, il ne s’agit pas ici d’un propos de circonstance mais d’une position de principe que j’ai toujours exprimé depuis trente ans, notamment dans mon essai Carthage ne sera pas détruite (2002).  

« Fraternité algérienne » avec la Tunisie!

Avec la Tunisie, que nos « frères » Algériens continuent d’appeler non sans condescendance « la sœur cadette », le litige frontalier n’a jamais tourné à l’affrontement militaire comme avec le Maroc. Non guère que la « grande sœur » ait fait preuve de plus d’aménité et de gratitude à notre endroit, mais bien parce que la sagesse gouvernait à l’époque la Tunisie. Juriste, légaliste, pacifiste, Bourguiba misait beaucoup plus sur le droit international et les négociations diplomatiques que sur un bras de fer armée, dont il n’avait d’ailleurs ni la force physique, ni les moyens financiers, ni même l’envie. Le 17 juillet 1961, dans son discours à l’Assemblée nationale, il déclarait : « Nous espérons que notre bon droit, notre franchise, et notre désir sincère de coopération pourront nous éviter d’entrer en conflit armé avec la France et à plus forte raison avec nos frères algériens ».  

Le litige en question, leg du découpage colonial, concerne essentiellement la fameuse Borne 233, située à Garat el Hamel, à une quinzaine de kilomètres au Sud-Ouest de Ghadamès, considérée comme l’ultime point de la frontière tuniso-libyenne et légitimement (en termes de droit comme au regard de l’Histoire) revendiquée par la Tunisie indépendante conformément au traité du 19 mai 1910, qui délimite précisément la frontière tuniso-libyenne de la mer à la Borne 233, ainsi qu’au traité franco-libyen de 1956 fixant la frontière entre l’Algérie et le royaume libyen, et qui se réfère également à la Borne 233. L’affaire dite de la Borne 233 relate une amputation géographique des plus injuste, arbitraire et douloureuse ; elle incarne dans sa quintessence la spoliation de la Tunisie de tout son Sahara, immensément riche en hydrocarbures, par l’Algérie avec la complicité active de la France. Comme l’écrit très justement Karim Serraj, « Derrière le litige frontalier se cache donc une bataille pour le contrôle de ressources vitales, un enjeu économique qui transforme un différend historique en une question de survie économique pour la Tunisie. On peut dire que la Tunisie utile a été donnée à l’Algérie post-indépendance » (Territoires tunisiens spoliés par l’Algérie : genèse des revendications contemporaines, site Le360, 26 octobre 2025).

« J’avais déjà dit, dans mon discours du 5 février 1959, que nos frontières territoriales et notre existence géographique nous ont été spoliées au Nord et au Sud et doivent nous être rétrocédées (…) Nous croyons, de notre devoir, de revendiquer notre espace saharien aujourd’hui plutôt que d’ouvrir, demain, un conflit avec nos frères algériens ». Bourguiba, le 17 juillet 1961

Dans son livre Mon combat pour les Lumières (éd. p. 168), s’arrêtant sur le cynisme du gouvernement français sous de Gaulle, feu Mohamed Charfi, professeur de droit, président de la Ligue des droits de l’homme et ministre de l’Education nationale sous la présidence de Ben Ali, écrit : « Peut-être que des raisons objectives, coloniales (attribution du Sahara à l’Algérie) et géologiques (richesses fabuleuses du Sahara en pétrole et en gaz), ont favorisé cette attitude. Dans le tracé des frontières en Afrique du Nord, les dirigeants français ont tenu à avantager l’Algérie, considérée à l’époque comme étant un département français et qui, dans leurs esprits, devaient le rester, par rapport à la Tunisie et au Maroc, par définition provisoire. Ainsi, ils ont attribué tout le Sahara qu’ils occupaient à l’Algérie. C’est là un fait colonial et un accident de l’histoire… (la Tunisie) avait des revendications légitimes concernant sa part du Sahara ».

Dès 1962, l’Algérie ne se voyait pas comme le dernier pays à recouvrer sa pleine souveraineté moins pour réaliser l’unité du grand Maghreb arabe dont rêvaient les précurseurs de la lutte anticoloniale que pour contribuer à son propreessor social, culturel, économique et diplomatique. L’Algérie se voyait plutôt comme une nouvelle puissance hégémonique, en lieu et place de l’empire colonial français.

Un an avant la proclamation de l’indépendance algérienne et un mois après le début des négociations d’Evian (mai 1961), soit le 26 juin 1961, Mohamed Masmoudi, alors secrétaire d’Etat à l’information, s’adressait ainsi aux frères Algériens : « Est-ce le Sahara qui nous divise (…) ? Tout le monde sait que la rectification des frontières sud, c’est-à- dire le droit de la Tunisie à son espace saharien, était l’un des principaux points du contentieux franco-tunisien (…). Est-ce porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’Algérie que de dire : c’est avec la France et non avec l’Algérie que nous avons un contentieux portant sur nos frontières sud ?» (cité par Tahar Belkhodja, Les trois décennies Bourguiba, 2010, p. 56).

Spoliation de la Tunisie 

Certains de mes compatriotes parmi lesquels des historiens, ont beaucoup écrit sur la bataille décisive de Bizerte à l’été 1961. Mais peu d’entre eux prêtait attention au fait que la crise de Bizerte et la crise du Sahara tunisien étaient politiquement, stratégiquement et même temporellement liées. Elles éclatent simultanément, à savoir le 18 juillet 1961 dans le Sud tunisien, et le 19 juillet à Bizerte.

En cette journée mémorable et paradoxalement occultée du 18 juillet 1961, affluaient à Tataouine, où les attendait Ahmed Tlili, des centaines de jeunes volontaires venus de Médenine, Gafsa, Douz et Gabès, se portant volontaires pour la bataille ultime. Le lendemain matin, notre jeune et vaillante armée plantait à Garet El Hamel, sur la Borne 233, le drapeau tunisien. Courte victoire face aux bombardements de l’aviation française et aux troupes de l’infanterie précipitamment dépêchés d’Alger.

Dans ses Mémoires, le général de Gaulle racontera l’événement à sa manière : « le 18 du mois de juillet, dans l’extrême sud, un imposant détachement tunisien franchit la frontière saharienne, assiège notre poste de Garet El Hamel et occupe le terrain dit (la borne 233). Vraisemblablement Bourguiba estime que Paris reculera devant la décision de déclencher une action d’envergure… Il compte donc qu’une négociation s’ouvrira sur la base du fait accompli, et par conséquent lui donne satisfaction… Je n’admets pas qu’on manque à la France… » !

De Gaulle au secours d’Alger

De Gaulle a été plus loquace et néanmoins fourbe lors de sa célèbre conférence de presse du 5 septembre 1961 : « Il faut dire que dans les négociations de Rambouillet (27 février 1961), le président de la République tunisienne avait réclamé au Sahara une rectification des frontières en faveur de la Tunisie et aux dépens de l’Algérie. Cette rectification de frontières devant ménager en quelque sorte un accès futur à la Tunisie vers le Sahara. Et du reste, Monsieur Bourguiba ne cachait pas que c’était là qu’une étape et qu’il visait au plus profond du désert la région des gelées où se trouvent comme on sait d’importants gisements de pétrole…L’Etat tunisien réclamait la source du pactole…Nous avons fait connaître à l’époque à Monsieur Bourguiba que du moment où nous étions en train d’aider à naître un Etat algérien qui pouvait pas ne pas être intéressé au premier chef par le Sahara…nous n’allons pas inconsidérément découper les pierres et les sables … ».  

Une année après, l’Algérie devenue indépendante, Bourguiba va user de toute son énergie et diplomatie pour convaincre les nouveaux dirigeants Algériens. Peine perdue. Devant l’hubris, la phronesis est impuissante. La dernière illusion d’une solution pacifique et équitable fut l’année 1964. En juillet, raconte Tahar Belkhodja, « je rejoins de Dakar notre délégation au Caire, à la deuxième conférence au sommet des pays africains. Bourguiba soumet, encore une fois, à Ben Bella le problème de la délimitation des frontières à partir de la borne 233. Le chef d’Etat algérien consent verbalement à un arrangement reconnaissant la souveraineté tunisienne. Mais à son retour à Alger, Boumediene, ministre de la Défense et Bouteflika, ministre des Affaires étrangères, refusent d’entériner cet accord ».

Alors qu’une délégation tunisienne composée d’officiers supérieurs se trouvait à Alger le 5 janvier 1970 pour discuter de la sempiternelle question frontalière, elle fut priée de rebrousser chemin car « les discussions sur le problème des frontières n’ont plus raison d’être. La question est résolue », lui fit-on savoir ! En effet, un « traité de fraternité, de bon voisinage et de coopération », délimitant notre frontière à la Borne 220 comme le voulaient les Algériens et les Français, et non plus à la Borne 233, est signé à Tunis le lendemain, 6 janvier 1970, par les deux ministres des Affaires étrangères, Habib Bourguiba Junior et Abdellaziz Bouteflika.

Un protocole annexe comportait la cession à l’Algérie des biens domaniaux tunisiens, à savoir Fort Carquet, deux puits artésiens, et l’aérodrome. En échange, l’Algérie versera l’équivalent modique en Francs français de 10 millions de dinars algériens ! Avant la donation à l’Algérie par de Gaulle de territoires tunisiens, donation « légalisée » par le traité de la Honte, la superficie de notre pays atteignait les 185 000 Km2 ; après ce traité, sa superficie a été réduite à 164 000 Km2.

Un traité de la honte

Cet accord inique entre les deux pays sera ratifié par l’Assemblée nationale le 30 janvier 1970. Un seul député, Ali Marzouki, osa prendre la parole : « Ce n’est pas la première fois que la Tunisie se déleste d’une partie de son territoire au profit de la France, et aujourd’hui en faveur de l’Algérie… Le même événement se produisit sous le règne d’Ahmed Bey, lorsque notre pays a cédé aux autorités françaises de l’Algérie une région entière qui s’appelait Najd près de Souk el Arba. Puis, en 1901, lorsque les frontières passèrent par le Sahara, la Tunisie fût amputée malgré elle d’une partie importante du Sahara…Nous avions trouvé un tracé de Bir Romane jusqu’au Sud sans qu’il parvienne à la borne 233… Aujourd’hui, la Tunisie accepte de sacrifier au nom de l’amitié et de la fraternité une partie importante de son territoire aux frères algériens…Parallèlement, j’aurais aimé que nos frères Algériens eux-mêmes se désistent de la petite portion qui n’a aucune valeur, sinon qu’elle nous est chère historiquement : le puits artésien était le premier puits dans la région, le deuxième a été creusé en 1963. Lors de la bataille de juillet 1961, plusieurs de nos soldats et de nos citoyens sont tombés au champ d’honneur… Mais pour l’amitié et la fraternité et le bon voisinage, j’approuve cet accord et espère que le peuple algérien sera au niveau du peuple tunisien… ».

Les deux ministres signataires, Abdellaziz Bouteflika et Habib Bourguiba Junior envoient un message de « félicitation » à Bourguiba, hospitalisé à Paris : « En ce jour historique… nous avons signé, un traité et des accords qui mettent fin aux différends précédents, et ouvrent une page nouvelle de coopération entre les deux pays… ». Profondément affecté et meurtris, Bourguiba ne réagira point, et depuis, il ne fera plus jamais allusion à ce qu’il appelait « nos territoires du Sud ». Mais il conservera toute sa vie, accroché au mur derrière son bureau, la vraie carte géographique de la Tunisie avec la frontière non délimitée au-delà de la borne 233, y compris le Sahara tunisien, soit 20 000 Km2, près de deux fois la superficie du Qatar ! A ses visiteurs étrangers, y compris des Algériens, il lui arrivait avec humour noir de commenter la carte : « Tout ça c’est l’Algérie, elle a un gros ventre…plein de gaz » ! Cette carte géographique devenue tableau historique ne sera jamais décrochée par Ben Ali. Mieux encore, lors de son premier déplacement à l’étranger en tant que Président, qui a été pour l’Algérie (2-3 mars 1988), il a eu l’audace « militaire » de dire par boutade à Chadly Ben Jedid que « la question de nos territoires du Sud nous est restée là », faisant un geste du doigt pointée sur la gorge (cela m’a été raconté par mon ami, feu Dali Jazi, professeur de droit public et politologue, plusieurs fois ministre sous Ben Ali, notamment de la Défense).     

Pour l’anecdote, cinq jours avant la conclusion du « traité de fraternité, de bon voisinage et de coopération », soit le 1er janvier 1970, Habib Bourguiba Junior rendait hommage à l’armée française et « aux efforts prodigieux déployés par l’équipe du génie militaire français venue reconstruire les voies ferrées du sud-tunisien, qui avaient été détruites par de récentes inondations » (Le Monde du 1er janvier 1970) !

Le président Kaïs Saïed place la Tunisie sous protectorat algérien (1er volet)

 

 

 

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