Le nouveau chef d’état-major de l’armée (CEMA), Saïd Chengriha est un soldat à l’ancienne, issu des Forces Terrestres, dont l’atout principal est de ne faire de l’ombre à personne.
Une chronique de l’universitaire algérien Abderrahmane El Maghribi
Rares sont ceux en Algérie qui se risquent à un jugement définitif sur la personnalité du général-major Saïd Chengriha. Une certitude, l’homme n’est pas le plus gradé au sein de l’Armée algérienne (ANP). Ce titre appartient au général-major Benali Benali, commandant de la garde républicaine sur le départ. Tradition oblige, c’est à nouveau le chef des forces terrestres (CFT), tremplin habituel vers la direction de l’armée, qui est nommé au poste de CEMA.
Pour la première fois dans l’histoire de l’Algérie indépendante (1962), le CEMA, n’est pas issu du mouvement de libération nationale, ni de l’Armée de libération nationale (ALN). Son parcours au sein du système algérien ne leur donne sans doute pas le logiciel ou la légitimité pour bousculer le cours de l’Histoire.
Un parcours classique
Le nouveau chef d’état major n’est pas un perdreau de l’année. Agé de 74 ans, Saïd Chengriha est né en 1945 à El Kantara. Il n’incarne ni un changement de génération, ni un changement de système. Et c’est pour ces raisons sans doute qu’il a été choisi par ses pairs, plus petit commun dénominateur d’une hiérarchie militaire aujourd’hui divisée.
Saïd Chengriha n’est évidemment pas la rupture qu’attendent les Algériens, mais c’est le candidat d’apaisement que souhaite la hiérarchie militaire. Ne serait-ce que pour calmer les ambitions qui en cette période d’incertitude sont nombreuses au sein de l’institution militaire.
Les anecdotes, comme souvent en Algérie, illustrent l’absence de transparence du système. Ainsi on raconte qu’il nage lesté de plomb, que ce n’est pas un homme qui manie l’humour et qu’il mène une vie discrète et ascétique (tout cela est impossible à vérifier). Le mythe à valeur de réputation et il est alimenté par l’opacité du fonctionnement du système politique algérien.
La gérontocratie aux commandes
Au cours des trois dernières années l’armée a connu des bouleversements, limogeages et arrestations pour corruption et enrichissement illicite, qui ont écarté au sein de la haute hiérarchie militaire les hommes hostiles à un 5è mandant de l’ancien président Bouteflika.
C’est en septembre 2018 que le général major Saïd Chengriha est désigné, septembre 2018, chef des forces terrestres (CFT). En cela, il prend la suite du général major Lahcène Tafer limogé de ses fonctions. Le prédécesseur du général major Chengriha, n’est autre que Ahmed Gaïd Salah qui est promu CEMA par l’ancien président Bouteflika en 2004.
Lorsqu’il accède au poste de CFT, de facto, Saïd Chengriha devient le numéro deux de l’ANP et il dispose d’un secteur qui concentre la plus grande partie des effectifs de l’armée algérienne. Dès lors, son nom est évoqué comme dauphin de Gaïd Salah, le chef d’état major qui aura été confronté à la contestation sociale du Hirak, vaste mouvement de contestation de la population depuis février 2019.
Depuis trente ans, tous les précédents chefs d’état-major (Khaled Nezzar, Mohamed Lamari et Ahmed Gaïd Salah), sont tous passés par ce poste stratégique de commandant des forces terrestres (CFT), avant de devenir CEMA.
Saïd Chengriha a lui aussi, c’était le cas de Gaïd Salah avant lui, dépassé l’âge de la retraite. Conformément au statut général des personnels militaires, qui limite la poursuite de l’activité à 64 ans pour un général de corps d’armée et 60 ans pour un général-major. Toutefois, un article de la loi, promulguée en 2006, prévoit qu’une dérogation peut être accordée par le président de la République « aux officiers généraux occupant de hautes fonctions au sein de la hiérarchie militaire ». Une disposition qui a permis à Abdelaziz Bouteflika de maintenir en poste des hommes de confiance?
Ce qui a eu pour effet de retarder le changement générationnel parmi les officiers généraux et les officiers supérieurs.
Gaïd Salah, décédé en décembre 2019, et Mohamed Médiène –alias Tewfik- ancien chef de la police politique (Direction du renseignement et de la sécurité DRS), ont bénéficié de cette dérogation accordée aux deux hommes par l’ex président de la République.
Saïd Chengriha, la continuité
Saïd Chengriha est réputé être le premier officier bachelier après l’indépendance. Il a participé à la guerre de 1973 sur le front du Sinaï. C’est là qu’il fait la connaissance de Gaïd Salah, au sein d’une division blindée envoyée par le président Houari Boumediène.
Le nouveau CEMA, a longtemps travaillé à la sécurisation de la frontière ouest lorsqu’il était chef de la 3è région militaire. Il a été l’une des éminences du redéploiement vers les frontières est et sud du pays. Dans ces conditions, il apparait, au Maroc notamment, comme un des gardiens du temple de l’alliance du soutien de l’armée algérienne au Polisario.
Ce haut gradé, contrairement à son prédécesseur Gaïd Salah, n’a pas géré les achats de l’ANP, ni les relations extérieures. C’est un atout qui lui a forgé une réputation d’intégrité et un inconvénient puisqu’il est très peu connu à l’étranger. Dans un contexte de tensions sociales internes et de menaces aux frontières, le CEMA sera-t-il un réformateur ou bien un continuateur ? Pris entre la population qui exige des changements politiques et des groupes terroristes au Sahel qui menacent de déstabiliser toute la région, le nouveau chef de l’ANP redistribuera-t-il les cartes ? On peut en douter.
Une longévité incertaine
L’actuel chef d’état major a été nommé « par intérim » et par décret du Président de la République. C’est dire qu’il est assis sur un siège éjectable. Mais ce gradé a fait preuve d’une loyauté sans faille à l’égard de ses pairs, ce qui le protège, pour l’instant, d’un coup tordu. Mias ce qui le prive de vraie marge de manoeuvre pour recomposer le pouvoir en Algérie. Sa longévité est incertaine.
Il reste que personne ne peut imaginer les soubresauts qui peuvent agiter demain l’institution militaire, plus que jamais une boite noire.