En dépit de nombreux défis de sécurité au Sahel, certains gouvernements et des acteurs de l’industrie aérospatiale multiplient des initiatives pour l’essor d’un astrocapitalisme à l’Africaine en cédant aux demandes d’Elon Musk alors qu’il étaient jusqu’ici réticents au déploiement de Starlink, le groupe dirigé par l’ancien complice de Donald Trump.
Une chronique du docteur Qemal Affagnon, responsable Afrique de l’Ouest de l’ONG de défense des droits numériques, Internet Sans Frontières. Expert électoral, l’auteur a observé des scrutins électoraux en RDC, en Afrique du Sud, au Mozambique et en Russie.
Depuis le retour de Donald Trump à Maison Blanche, les bouleversements provoqués par sa réélection pèsent sur l’industrie spatiale africaine. Constructeur de fusées, de voitures électriques, milliardaire atypique et volontiers provocateur, Elon Musk qui a mis la main sur l’influent réseau social Twitter en 2022, est de plus en plus présent sur un marché africain en plein essor, notamment grâce à son service d’accès à Internet par satellite.
Comptant à son actif 61 satellites lancés par 17 Etats africains, l’industrie spatiale africaine affiche une dynamique encourageante qui s’articule autour de l’observation de la Terre, du positionnement, de la navigation, et la connectivité Internet au nombre des marchés qui dominent ce secteur. Le développement des capacités spatiales africaines repose sur des partenariats avec des nations disposant de technologies avancées.
ll n’y a pas très longtemps, le Maroc, l’Egypte et l’Afrique du Sud, faisaient partie des rares puissances continentales à disposer d’un satellite de reconnaissance militaire. Le Royaume marocain avait conclu en 2013, un contrat avec la France. Dans le plus grand secret, le contrat avait coûté au royaume chérifien la bagatelle de 500 millions d’euros au moment où François Hollande était au pouvoir. Avec ce satellite, le Maroc disposait d’un avantage décisif qui lui permettait de tout savoir des positions de l’armée algérienne et de celles des insurgés sahraouis au Sahara occidental. Grâce à cet outil, le royaume chérifien disposait aussi de précieuses informations sur l’Espagne qui est le seul pays européen à encore disposer de territoires en Afrique, notamment les enclaves de Ceuta et Melilla en territoire marocain (1).
Comme l’Afrique n’investit que 7,7 milliards de dollars dans l’espace, les plus grandes entreprises spatiales mondiales jouent également un rôle important afin que le continent se dote d’applications spatiales dans les domaines de l’agriculture, de la gestion des ressources en eau, de la prévision des catastrophes, de la planification urbaine, mais aussi dans le secteur de la fourniture Internet.
Elon Musk offensif au Bénin
Déjà disponible au Bénin depuis novembre 2023, le groupe Starlink d’Elon Musk cherche à renforcer sa présence, au regard des défis sécuritaires qui persistent, notamment dans le nord du pays. Avec les autorités béninoises, il a été question d’explorer des opportunités de collaboration stratégique autour du renforcement de la surveillance des frontières. Ces derniers mois , les assauts contre l’armée béninoise se sont intensifiés dans le nord du pays qui paie le prix fort d’une politique sécuritaire défaillante. Au mois de février, le ministre de l’Économie et des Finances du Bénin, Romuald Wadagni, indiquait avoir eu des échanges avec une délégation de Starlink afin d’explorer des opportunités de collaboration stratégique.
Pour sa part, Airtel Africa a annoncé la signature d’un accord de partenariat avec la société américaine SpaceX, pour l’intégration des services Internet satellitaires, Starlink à son offre data. À travers cet accord, la branche africaine de la filiale africaine du groupe indien Bharti Airtel pourra faire du backhauling cellulaire.
Il s’agit d’une méthode visant à relier les antennes-relais au réseau principal via le satellite. Pour cet opérateur télécom, cette manœuvre permettra de proposer du haut débit, aussi bien en zones urbaines que rurales, ce qui permettra de séduire davantage de consommateurs mobiles avec une qualité de service renforcée.
Au Bénin, plusieurs organisations de défense des droits humains appellent à une révision du Code du numérique (2). Or, à travers l’action qu’il vient d’intenter en justice, Musk estime que le gouvernement n’a pas à dicter les limites du débat public et dénonce une ingérence politique dans la gestion des contenus en ligne. Le milliardaire fera tout pour bloquer la mise en œuvre de lois visant à réguler les plateformes en ligne.
Un partenariat avec Air France
Avec ses 6 700 satellites situés à 550 km d’altitude, Starlink vient également de nouer un partenariat avec Air France. Ce service sera accessible à tous les clients, sans frais supplémentaires, via un simple compte Flying Blue, le programme de fidélité gratuit d’Air France. En misant sur Starlink, Air France s’aligne sur d’autres compagnies aériennes déjà séduites par la solution de SpaceX, à l’instar de United, Qatar Airways ou encore Air New Zealand. Pour sa part, Air Canada a opté pour un partenariat avec Eutelsat, afin de proposer une connexion via la constellation OneWeb à ses passagers.
En Afrique, ce partenariat entre Air France et Starlink, représente une véritable aubaine, car Air France maintient une présence significative sur le continent, malgré certains défis géopolitiques et la concurrence d’autres compagnies aériennes. De fait, à travers ce partenariat, Starlink et Air France vont sans doute se lancer dans une véritable lutte au couteau afin d’explorer un minerai nouveau à savoir les données personnelles des passagers du transport aérien.
Une soif insatiable de contrats
Depuis une vingtaine d’années, les origines du succès de Musk sont connues. L’entrepreneur profite d’importantes commandes et de crédits d’impôt de la part des Etats locaux et du gouvernement fédéral américain. Dans les années 2000, il mène de front deux projets que sont la voiture électrique et la conquête de l’espace. Avec des services déjà déployés dans 18 pays africains, Starlink, le fournisseur de connectivité par satellite en orbite basse, prévoit d’étendre son empreinte à 20 nouveaux marchés en 2025 et cinq supplémentaires en 2026.
Cependant, ces chiffres cachent de nombreux enjeux économiques, technologiques et géopolitiques qui méritent une analyse approfondie. Au Niger et au Bénin par exemple, les autorités ont signé un accord avec le même fournisseur qu’est Starlink dans le but d’améliorer la couverture Internet. Depuis, les tensions ne cessent de grimper entre les deux voisins pendant que Starlink continue de tisser tranquillement sa toile alors que dans le même temps, qu’on assiste à des sorties médiatiques controversées entre le Bénin et ses voisins limitrophes. Les accusations fusent de toute part qui dénoncent des complots sécuritaires, alors que que les incidents se multiplient au nord du Bénin.
Sur le plan International, le rouleau compresseur Musk rencontre aussi des critiques . En Italie par exemple, la fourniture d’un système de communication élaboré par Musk pour le compte des autorités et des forces armées en Méditerranée, rencontre les critiques des partis d’opposition de Giorgia Meloni.
Dans ce contexte trouble et incertain, Musk continue toutefois d’avancer ses pions. Au Mali par exemple, les autorités du pays avaient déploré dans un premier temps, l’utilisation des kits Starlink par des groupes armés. L’importation et la commercialisation des équipements Starlink sont toutefois de nouveau autorisées dans le pays, le temps de mettre en place un cadre réglementaire et une plateforme d’enregistrement et d’identification de l’ensemble des utilisateurs sur le territoire malien.
Trump et Musk, l’éloignement
Entre temps, le président américain appuie sur l’accélérateur dans les négociations commerciales partout dans le monde, y compris en Afrique. À titre d’exemple, la récente instauration par l’administration Trump d’un tarif douanier minimum de 10 % sur les importations provenant de l’Afrique subsaharienne qui marque la fin, de facto, de l’AGOA. Cette décision n’a pas manqué de susciter plusieurs sorties au vitriol à l’encontre du nouveau locataire de la Maison-Blanche.
En plus du nouveau tarif douanier, c’est désormais plus de la moitié du continent qui pourrait être frappée par des mesures d’interdictions de voyage aux États-Unis.
Dans le même ordre d’idées, Trump a également annulé un décret adopté par Joe Biden en 2023, qui encadre le secteur de l’intelligence artificielle sur le plan international.
Autant d’initiatives du président américain qui ne servent pas nécessairement les ambitions africaines d’Elon Musk tant les images des deux hommes restent associées.
(1) Il s’agit de deux villes de garnison au nord du Maroc, auxquelles s’ajoute un chapelet d’îles et de pignons rocheux collés à la rive marocaine
(2) Dans le cadre de l’Examen Périodique Universel, l’auteur de l’article milite en faveur de la révision du texte de la loi portant Code du Numérique au Bénin.