Le Président Macron avait déclaré en 2017 qu’il ne sert à rien « de dépenser des milliards d’euros » dans « des pays qui ont encore sept à huit enfants par femme ». Il a remis cette allégation généralisante et nauséabonde lors de son déplacement à Ouagadougou.
En disant cela, il participe à une campagne idéologique visant à accréditer le fait que l’Afrique ne s’en sort pas à cause de sa démographie et de manière sous-jacente qu’elle constituerait une bombe migratoire. C’est le retour en force d’une vieille idée réactionnaire (que l’on pensait estompée) qui inverse les choses pour mieux masquer les responsabilités coloniales et néolibérales dans la situation du continent africain. Ces visions erronées ont jadis servi de substrat aux idéologies esclavagistes puis colonialistes. Elles continuent de prospérer de nos jours.
L’une des caractéristiques dissonantes entre des pays comme la France et des pays africains est le comportement démographique. Ce que les experts appellent la « transition démographique ». Il s’agit du passage d’un régime dit « traditionnel » caractérisé par un nombre élevé d’enfants par femme, à un régime démographique « moderne » marqué par un petit nombre d’enfants par femme (2 ou moins) comme c’est le cas en Europe et dans le monde dit « développé ». Cela est le résultat d’un processus historique marqué par des changements dans les conditions de vie et plus récemment par de fortes avancées sociales (sécurité sociale, retraite, etc.). Cette transition a commencé en Europe du nord au XVIII ͤsiècle et a mis, dans un pays comme le Royaume-Uni, plus de deux siècles à se réaliser. Dans son ensemble, l’Afrique au sud du Sahara est sans aucun doute entrée dans ce processus global de transition démographique, avec une baisse préalable de la mortalité dès les années 1960, suivie plus récemment d’un début du recul de la natalité.
N’en déplaise à M. Macron, la réflexion sur la démographie africaine a commencé bien avant son discours. Les connaissances accumulées au fil du temps ont déplacé la problématique de l’approche malthusienne qui est la sienne à une vision beaucoup plus en accord avec les faits. Ainsi, la Conférence internationale du Caire sur la population et le développement en 1994 avait montré que l’accès à l’éducation, à la santé, au développement, singulièrement pour les femmes, amenait à une baisse du taux de fécondité. Le progrès social et la promotion des droits des femmes par l’amélioration de la santé génésique sont le meilleur moyen de réduire la fécondité.
Il est aujourd’hui clairement établi que la croissance démographique interagit avec l’économie et le social. Après avoir subi des années d’endettement, d’ajustement structurel et de pillage, des pays d’Afrique ont inauguré un modèle libéral de croissance forte sans développement réel, car très inégalitaire. Cette logique capitaliste d’accaparement à un pôle de plus en plus restreint se généralise dangereusement dans le monde. Elle se traduit par cette donnée rappelée par l’ONG Oxfam : 82 % des richesses nouvelles produites sur la planète sont captées par les 1 % les plus riches. C’est ce modèle qui déstabilise les sociétés, encore plus durement en Afrique. Que l’on permette aux pays africains de mettre en œuvre des choix de développement endogènes, créateurs d’emploi, valorisant les richesses du sol et du sous-sol au profit des populations, avec de larges programmes sociaux et un retour des services publics, et l’on verra automatiquement baisser le taux de fécondité. Voilà la réalité qu’il faut opposer au retour des discours dominants.
Félix Atchadé