Des dizaines d’activistes et opposants demeurent dans les prisons congolaises, certains depuis bientôt trois ans, pour avoir simplement exercé leur droit à la liberté d’expression au Congo Brazzaville, pendant que la communauté internationale maintient le silence sur la situation des droits humains dans le pays, ont déclaré aujourd’hui, Amnesty International et quatre organisations de défense des droits humains (ADHUC, Tournons la page, REDHAC et la Commission Justice et Paix Pointe Noire).
Les organisations demandent aux autorités la libération de toutes les personnes arbitrairement arrêtées et détenues, et l’ouverture d’une enquête sur les allégations de tortures dont elles seraient victimes.
« Les autorités congolaises ne se limitent pas seulement aux arrestations arbitraires des opposants et activistes ; elles vont jusqu’à les torturer et leur infliger des traitements inhumains et dégradants dont certains gardent encore les séquelles » a déclaré Balkissa Idé Siddo, chercheur sur l’Afrique centrale à Amnesty International.
« La communauté internationale et partenaires techniques et financiers du Congo tels que l’UE et l’ONU doivent saisir toutes les opportunités pour s’assurer que les autorités congolaises mettent fin à la répression et libèrent tous ceux qui sont arbitrairement détenus ».
Depuis le référendum constitutionnel d’octobre 2015 et les élections présidentielles de mars 2016, fortement contestés tant par l’opposition que la communauté internationale, les autorités ont mené une vague d’arrestations d’opposants et interdit les manifestations pacifiques.
“Incitation aux troubles à l’ordre public”
Les organisations signataires ont documenté au moins 40 cas d’activistes politiques arrêtés entre octobre 2015 et décembre 2016 pour avoir simplement exercé leur droit à la liberté d’expression et de manifestation pacifique. La grande majorité est inculpée pour “ incitation aux troubles à l’ordre public”’ et “atteinte à la sûreté intérieure”.
Parmi ceux arrêtés en rapport avec les manifestations contre le référendum constitutionnel, figure Paulin Makaya, président du parti politique Unis pour le Congo (UPC, opposition). Il a été condamné à deux ans de prison pour avoir participé à une manifestation contre la modification de la constitution. Bien que Paulin Makaya ait fini de purger sa peine depuis novembre 2017, les autorités ont refusé de le libérer, l’inculpant début janvier de cette année, pour de nouvelles infractions d’atteinte à la sécurité nationale et de “complicité de possession illégale d’armes et munitions de guerre”.
Par ailleurs, avant et après les élections présidentielles du 20 mars 2016, les autorités ont arrêté et inculpé plus de 20 leaders et membres de partis d’opposition pour “incitation aux troubles à l’ordre public”, sur la base des dispositions de la loi nationale sur les partis politiques, mais en contradiction avec les textes internationaux et régionaux signés par le Congo. Au moins 16 d’entre eux sont demeurent en prison.
Parmi eux figurent des membres de partis politiques tels que la Convention pour l’action, la démocratie, et le développement (CADD) dont son président André Okombi Salissa. En avril 2016, ce dernier a été contraint à la clandestinité après avoir déclaré publiquement qu’il ne reconnaissait pas les résultats de l’élection présidentielle. Il a été arrêté en janvier 2017 et inculpé pour “atteinte à la sûreté intérieure” et “détention illégale d’armes de guerre”. Il est toujours en détention de même que des responsables de campagne et soutiens politiques du candidat Jean-Marie Michel Mokoko et au moins deux membres du Mouvement congolais pour la démocratie et le développement intégral (MCDDI).
« Ces inculpations fallacieuses utilisées pour détenir les opposants et activistes sont un affront aux engagements du pays à respecter la liberté d’expression et de manifestation pacifique. Elles ne constituent en aucune manière, une solution pour assurer la sécurité ou la paix durable au Congo » a déclaré Moke Loamba, Président de l’Association pour les droits de l’homme et l’univers carcéral (ADHUC).
Fractures, hypertension et problème cardiaque
Selon les informations recueillies par les organisations signataires, plusieurs détenus ont été torturés. Les autorités congolaises n’ont, à ce jour, pris aucune mesure pour enquêter sur ces allégations et mettre fin à cette pratique.
Le 24 janvier 2017, Modeste Boukadia, président du Cercle des démocrates et républicains du Congo (CDRC, opposition), arrêté un an plus tôt, a été admis dans une clinique de Pointe-Noire, pour des blessures que des surveillants de la maison d’arrêt lui avaient infligées en le rouant de coups. Les violences subies en détention lui ont causé deux fractures des lombaires, une hypertension artérielle et un problème cardiaque.
Noël Mienanzambi Boyi, président de l’Association pour la culture de la paix et de la non-violence et animateur dans une station de radio locale, a aussi subi des actes de torture pendant sa détention, après son interpellation en janvier 2017.
« La communauté internationale, notamment l’Union européenne, ne peut plus ignorer la récurrence des violations des droits humains au Congo, ni le manque de volonté politique de ses autorités à lutter efficacement contre l’impunité » a déclaré Laurent Duarte, Coordinateur de la campagne « Tournons la Page ».
« A tous les niveaux de son engagement avec les autorités, la communauté internationale y compris l’UE et l’ONU, doit tout mettre en œuvre pour que les autorités congolaises mettent un terme aux arrestations et détentions arbitraires ainsi qu’à la torture et aux traitements inhumains infligés aux activistes politiques » a déclaré Brice Mackosso, Secrétaire permanent de la Commission épiscopale justice et paix (CEJP) de Pointe Noire.