Entre 1 500 et 3 000 soldats « indigènes » ont été impitoyablement assassinés lors de la Débâcle de juin 1940. Un lourd tribut payé par les colonies longtemps minoré, voire ignoré par la métropole
Un article d’Olivier Toscer
Clamecy dans la Nièvre, son ancien château des comtes de Nevers et sa collégiale Saint-Martin avec sa tour flamboyante hérissée de gargouilles. En juin 1940, cette charmante bourgade de 5 000 habitants est surtout connue de l’histoire pour son soulèvement de 1851 quand la population avait cherché à se protester contre le coup d’Etat de Charles Louis Napoléon Bonaparte, le futur Napoléon III.
C’est ici que les Allemands arrivent à l’issue de la Blitzkrieg qui a enfoncé toutes les lignes françaises. Ils arrivent avec des soldats français faits prisonniers dans la débâcle. qu’ils répartissent dans trois camps disséminé s sur la commune.
Que se passe-t-il ensuite ? L’Histoire ne l’a pas déterminé avec précision. Une version en vogue après la guerre fait état d’un tirailleur sénégalais qui se serait rebellé et aurait mordu un officier allemands. Mais il est possible que ce geste n’ait jamais existé et que l’histoire qui va suivre soit simplement la conséquence de l’endoctrinement raciste dans les rangs de la Wehrmacht doublé d’une revanche à prendre sur l’Histoire de l’après-Première guerre mondiale où les troupes françaises, composées notamment de soldats africains avaient occupé un temps la Ruhr, la grande humiliation de l’Allemagne.
Le 18 juin 1940, le premier massacre de soldats coloniaux
Toujours est-il que le 18 juin, 44 tirailleurs africains sont extraits des camps et conduit au petit bois de La Pépinière, avant d’être abattus comme des chiens. Seule certitude, le massacre dans lequel ont péri onze Algériens, quatre Marocains et d’autres soldats coloniaux originaires du Mali, du Brukina-Faso et du Sénégal, a eu lieu en deux temps. Quelque 21 soldats sont d’abord abattus à la mitrailleuse. Leurs camarades doivent les enterrer. Et une fois, la tâche accomplis, ils sont eux-mêmes passés par les armes. Les corps vont rester cinq jours dans le bois avant que le maire de Clamecy les fasse enterrer dans une simple tranchée, en raison manque de cercueils.
Mais un soldat marocain du 6ème régiment des tirailleurs sénégalais, un certain Damoua Da de Bacaria a réussi à s’enfuir. Il sera finalement abattu quelques jours plus tard près de la ferme du Poil-Rôti. Il s’était caché là, mais avait eu l’imprudence de se ravitailler dans les fermes environnantes et avait été dénoncé par une fermière des environs.
Ce premier massacre de soldats coloniaux aura un certain retentissement dans la région. Au point que trois ans plus tard, le 11 novembre 1943, en pleine période d’Occupation, la Résistance locale réussira même à rendre hommage à ces tirailleurs massacrés. La « fosse », où ils ont été enterrés, est alors décorée des drapeaux alliés (France, Grande-Bretagne, États-Unis, URSS), mais aussi d’une Croix de Lorraine en fleurs naturelles, au nez et à la barbe des Allemands
Les 9 et 10 juin, d’autres massacres
Pendant la guerre, d’autres massacres de soldats coloniaux avaient déjà eu lieu les 9 et 10 juin 1940, dans un quadrilatère Angivillers – Cressonsacq – Bailleul-le- Soc-Erquinvillers (Oise), où les Régiments de Tirailleurs sénégalais (RTS) de la 4e Division d’Infanterie coloniale (DIC) avaient été fait prisonniers. L’historien Raffael Scheck évalue à un minimum de 150 le nombre de soldats venus des Colonies, massacrés ces jours-là.
En totalité, on estime qu’entre 1 500 et 3 000 soldats africains ont été tués par les nazis lors de la bataille de France de juin 1940.
En font partie notamment les victimes de Chasselay. Ici, dans la région lyonnaise, du 19 au 20 juin 1940, les troupes coloniales tentaient de retardeer l’entrée des troupes allemandes dans Lyon, alors même que les autorités de la ville avaient déjà rendus les armes. Face à la résistance acharnée du 25ème régiment des troupes coloniales les Allemands restent coincés quelques temps dans le village de Chasselay, à une quinzaine de kilomètres de la métropole. Mais le 20 juin, les derniers soldats doivent se rendre. Immédiatement, les nazis séparent le contingent en deux : d’un côté, les blancs ; de l’autre, les autres. Ceux-là sont immédiatement mitraillés et les Nazis vont jusqu’à écraser les corps avec leurs chars d’assaut. Les soldats coloniaux qui ont réussi à échapper au massacre, errent dans la campagne. Ils sont repris dans les jours suivants et sauvagement assassinés parfois même brûlés vifs. Sur les 196 soldats coloniaux tués ces jours-là, la majorité venaient d’Afrique de l’Ouest mais six d’entre eux étaient des Nord-Africains, dont l’identification n’a jamais été possible. Les cadavres ont été dépouillées par les criminels de guerre de tout élément permettant de les identifier, ultime négation de leur humanité. Ils reposent tous aujourd’hui dans un « tata » (enceinte fortifiée, en langue wolof), construit dès 1942 et érigé officiellement depuis en « nécropole nationale ».
Les responsables et les auteurs de ce massacre n’ont jamais rendus le moindre compte après la guerre. Les récents travaux de l’historien Julien Fargettas et du collectionneur privé Baptiste Garin[1] viennent tout juste de démontrer que le massacre avait été commis par les hommes de la Wehrmacht avec deux chars de la 2e section de la 3e compagnie du 8e régiment de Panzer, intégrés à la 10e Panzerdivision.
L’oubli des victimes « indigènes »
Tous ces massacres perpétrés dans le sillage de la défaite ont longtemps été Ces négligés par l’historiographie. Le traumatisme de la déroute de mai-juin 1940 a sans doute contribué à en effacer le souvenir et à oublier le sort des victimes « indigènes ». . Mais d’autres massacres, cette fois-ci en 1944, lors les Nazis battaient en retraite ont plus marquer la mémoire.
Le 14 août 1944, par exemple, une unité de la Wehrmacht qui se replie en provenance de la Région parisienne arrive avec une soixantaine de prisonniers de guerre nord-africains à Thibie, un petit village de la Marne situé près de Châlons-sur-Marne (Châlons-en-Champagne). Le bourg jouxte un petit aéroport éphémère construit par les Allemands au milieu d’un bois de pins. Huit jours plus tard, alors que l’armée nazie se prépare à reprendre leur retraite, un appareil de la Luftwaffe est abattu par la Royal Air Force juste avant d’atterrir à Thibie. Le pilote allemand réussi à s’éjecter avant le crash. Il revient à la base furieux, criant vengeance. Il entreprend de sélectionner lui-même huit prisonniers détenus sur le terrain de sport de la bourgade, les fait mettre à genoux et les roue de coups. Puis il les emmène sur le terrain d’aviation et titre dans le tas. Puis il monte dans un autre avion, survole les corps et les mitraille depuis son appareil. Seuls quatre d’entre eux pourront être identifiés. Il s’agit des tunisiens Ahmed Brahmi, 33 ans, Ben Salah Boubaker, soldats au 8e Régiment de tirailleurs tunisiens et Touhami Ben Amor Ben Mekaoual, 32 ans, soldat au 44e Bataillon de pionniers et de l’algérien Abdallah Djaarir, 32 ans, soldat du 3ème régiment de Spahis.
Longtemps après la guerre, le 10 juillet 1959, les suppliciés seront exhumés et ré-inhumés dans le carré militaire 1939-1945 de la nécropole nationale de la Ferme de Suippes, un site mémoriel où était déjà enterrés six résistants. Parmi eux, le caporal FFI, Abdelkader Boudjema, un ancien prisonnier de guerre algérien évadé, entré dans la Résistance puis tué au combat lors de la Libération. Encore un héros dont peu de gens ont entendu parler.
[1] Juin 1940. Combats et massacres en lyonnais, édition du Poutan, 2021