Bouba Fané, l’influenceur qui fait peur à la junte malienne

Bouba Fané, l’enfant de Badalabougou devenu figure incontournable de l’événementiel et opposant influent à la junte malienne

Mohamed ag Ahmedou

À l’état civil, il s’appelle Boubacar Soumahoro. Mais c’est sous son surnom de Bouba Fané qu’il est devenu l’un des visages les plus connus de la scène événementielle, culturelle et politique du Mali. Un sobriquet hérité de son enfance à Badalabougou, quartier populaire et vibrant au cœur de Bamako, et qui rend hommage à la famille maternelle auprès de laquelle il a grandi. Né au tout début des années 1980, Bouba Fané a bâti sa trajectoire sur l’audace, le flair entrepreneurial et un engagement constant auprès de la jeunesse.

Un autodidacte ambitieux

 
Élève appliqué, il effectue son cycle fondamental à Badalabougou avant d’intégrer le lycée Cheikh Anta Diop, où il obtient son baccalauréat en 1997. Attiré par le commerce et la communication, il poursuit des études en marketing, force de vente à l’institut IGLAM, l’un des établissements les plus prisés de Bamako.
 
Dès 2002, à peine sorti de l’université, il plonge dans le monde de la nuit et de l’événementiel en devenant gérant de l’Atlantis Night Club, l’une des premières boîtes modernes de la capitale. C’est une école grandeur nature : il y acquiert indépendance financière et réseaux, prenant très tôt en charge sa mère et ses proches.

De la fête à l’engagement citoyen

 
Le jeune manager enchaîne ensuite les expériences : Jet Set Night Club, Byblos, soirées coupé-décalé, concerts « Sambé Sambé décalé ». Mais il ne se contente pas d’importer les modes festives d’Abidjan ou de Dakar : il invente un style bamakois, mêlant divertissement et ambition sociale.
 
À partir de 2008, il fonde Mali Événement International, une agence qui va marquer la décennie suivante. Son initiative Trophée de l’Espoir, lancée en 2009 et parrainée par l’entrepreneur Mohamed Dia, attire l’attention du président Amadou Toumani Touré, qui le reçoit à Koulouba pour saluer « un projet qui enlève la jeunesse du complexe et l’oriente vers la création ».
 
En 2010, il organise un téléthon du cinquantenaire de l’indépendance : 154 millions de francs CFA sont mobilisés et reversés à l’État. L’année suivante, il frappe un grand coup avec Sida Foot, un match de gala contre le VIH qui réunit les stars africaines du ballon rond et remplit le stade du 26 Mars devant plus de 50 000 spectateurs. « Je suis fier, le Mali est fier », lui lance alors ATT, présent dans les tribunes.

Entre politique et société civile

 
Proche des présidents Amadou Toumani Touré et Ibrahim Boubacar Keïta, Bouba Fané a toujours revendiqué un attachement fort aux institutions républicaines. Fidèle à IBK jusqu’à sa chute en août 2020, il s’est ensuite tenu à l’écart de la transition militaire, affirmant son opposition catégorique aux coups d’État.
 
Depuis 2020, il est devenu l’un des opposants les plus virulents à la junte militaire au Mali. Installé en France depuis 2022, il s’est imposé comme l’influenceur politique malien le plus populaire sur les réseaux sociaux, suivi par des centaines de milliers d’internautes qui voient en lui une voix libre face au régime des colonels. Ses prises de parole, souvent incisives, critiquent la mauvaise gouvernance, la militarisation de la vie publique et les dérives autoritaires du pouvoir en place.
 

Une carrière aux dimensions internationales

 
Son engagement ne se limite pas au Mali. En 2013, il initie au Sénégal, en France et au Burkina Faso l’opération « Un citoyen engagé, un geste pour la reconstruction nationale ». En 2017, il coorganise à Bercy la Nuit du Mali, qui fait vibrer Paris aux couleurs de Bamako. En 2019, il lance le jeu Mali Millions, puis, en 2021, une web TV à son nom.
 
Exilé en France en 2022, devenu autoentrepreneur l’année suivante, Bouba Fané poursuit ses activités avec la même énergie. En 2024, il organise « Afrique à Montreuil », en présence de Samuel Eto’o et d’icônes du football mondial, puis, en 2025, « Afrique à Bouaké ».
 
Une marque, une vision
 
Aujourd’hui, Bouba Fané n’est plus seulement un organisateur de spectacles ni un opposant politique. Il est aussi entrepreneur dans la mode, avec sa griffe « Force à l’Afrique Verte » (FAVE) : vêtements, chaussures et accessoires distribués en Afrique et au-delà. Fidèle à son credo, il veut conjuguer esthétique, identité africaine et ambition économique.
 
L’influence d’une figure hybride
 
De Badalabougou à Montreuil, de l’Atlantis Night Club au stade du 26 Mars, de la fête populaire aux campagnes de sensibilisation, du téléthon à la lutte contre la junte, Bouba Fané incarne une figure hybride : entrepreneur, activiste culturel, influenceur politique. Ses détracteurs lui reprochent ses anciennes proximités avec le pouvoir ; ses partisans y voient au contraire l’itinéraire d’un homme qui, par son franc-parler et sa constance, a choisi le camp de la démocratie contre l’autoritarisme.
 
Dans un Mali fragilisé par les guerres et les putschs, Bouba Fané s’impose comme l’une des voix les plus écoutées et les plus contestataires de sa génération, un enfant de Badalabougou devenu symbole d’audace et d’opposition.
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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)