Emmanuel Macron cherche à renforcer « le partenariat stratégique » avec la dictature égyptienne. Et les contrats d’armement qui vont avec. Un article de Rabha Attaf
Exactement comme François Hollande en 2016, Emmanuel Macron, en visite d’Etat au Caire depuis le 27 janvier dernier n’a pas pu faire l’impasse d’évoquer les atteintes aux droits humains lors de la conférence de presse conjointe tenue avec le président-maréchal Al-Sissi. « La stabilité et la paix durable vont de pair avec le respect des libertés de chacun, de la dignité de chacun et d’un État de droit», a-t-il déclaré, insistant sur le fait que la «société civile dynamique, active, inclusive reste le meilleur rempart contre l’extrémisme et une condition même de stabilité».
Cette déclaration est certes un progrès par rapport à celle prononcée par Macron lors de la visite d’Al-Sissi à Paris en octobre 2017. Le président français estimait en effet à l’époque ne pas avoir à « donner des leçons » à l’Égypte en matière de droits humains. Mais les ONG de défense des droits humains attendent des actes concrets. « Une forme d’action serait d’indiquer au président al-Sissi que sa visite doit être l’occasion d’un réexamen du soutien de la France à l’Egypte et que ce soutien, qu’il soit militaire, économique ou politique, sera conditionné à une amélioration des droits de l’homme dans le pays », proposait Bénédicte Jeannerod, la directrice de Human Rights Watch France, lors d’une conférence de presse tenue à Paris le 21 janvier dernier par huit ONG de défense des droits humains.
Les paroles s’envolent…et les contrats restent !
La France continuera de commercer avec le régime d’Al-Sissi comme si ne rien n’était, reprenant, ad nauseam, la ritournelle d’Al-Sissi de lutte contre le terrorisme pour justifier, selon le communiqué de l’Elysée « un renforcement du partenariat stratégique entre les deux pays ». Les contrats d’armement ont déjà engrangé 4 milliards d’Euros depuis 2011 et l’Égypte représente un marché d’environ 100 millions d’habitants. D’où le blanc seing à peine voilé de Macron à la répression menée d’une main de fer par le régime.
Dans un rapport rendu public à Paris en avril dernier, l’ONG irlandaise Front Line Defenders pointait du doigt les violation indirectes de l’État français quant au respect des conventions internationale concernant les droits des travailleurs. Le lieu choisi par cette ONG pour tenir sa conférence de presse n’était pas fortuit. L’étude de cas présentée aux journalistes concerne en effet Naval Group, une entreprise nationale dont l’État français est majoritaire à 62%. Celle-ci a confié la construction de corvettes à Alexandria Shipyard, un chantier naval d’Alexandrie détenu par le ministère égyptien de la Défense, où vingt-six travailleurs ont été poursuivis par un tribunal militaire pour incitation à la grève. Ils ont été contraints de remettre leur démission en 2016, en échange de leur remise en liberté et attendent leur jugement. Ils risquent 15 ans de prison.
Quinze ans de prison pour faits de grève
«Tous ceux qui revendiquent leurs droits sont arrêtés et traduits devant des tribunaux militaires pour atteinte à la sécurité de l’État », explique dans le rapport de « Front line defenders », Fatma Ramadan, l’une des figure de proue des ex-syndicats indépendants -tous interdits depuis une loi promulguée en décembre 2017.
Et ces experts d’ajouter: « Penser à des stratégies est inutile dans un régime qui échappe à toute logique. Les autorités ont simplement envoyé un message, celui que tout le monde peut être arrêté à tout moment. Les arrestations collectives et les procès militaires sont si communs que, dans les faits, tout le monde est en danger. En particulier avec le décret 136 : pratiquement chaque espace en Égypte est un « terrain militaire », ce qui signifie qu’y organiser quoi que ce soit peut nous conduire devant un tribunal militaire. »
Mises en garde de « Front Line Defenders »
Interpellé par Maitre Mohamed Ahmed, l’avocat des ouvriers inculpés, le groupe « Naval Group » prétend n’avoir de lien organique qu’avec le ministère égyptien de la Défense, et pas avec Alexandria Shipyard. Ce que dément fermement Front Line Defenders. « Pendant toute la durée du procès militaire des défenseurs des droits humains, des représentants de l’État français et de l’armée se sont rendus dans l’usine à plusieurs reprises », précise le rapport.
Et ces expert d’ajouter: « En juillet 2017, l’ambassadeur français en Égypte, Stéphane Romatet, a visité le chantier naval. D’après le site d’Alexandria Shipyard, il était accompagné du consul de France à Alexandrie et de l’attaché à l’armement de l’ambassade de France en Égypte. »
Le gouvernement français épinglé
L’ONG demande à Naval Group de se prononcer clairement sur cette affaire en déclarant «publiquement que les relations entre Naval Group et le ministère égyptien de la Défense seront revues si les procès militaires et les actions contre les défenseurs des droits humains (DDH) devaient se poursuivre ». Et de recommander au groupe de « conduire une enquête interne minutieuse et transparente […], notamment pour déterminer si le personnel de Naval Group ou ses sous-traitants en Égypte se sont rendus complices de ces violations des droits humains, et rendre publiques les conclusions de cette enquête ». Le gouvernement français est aussi épinglé. Front Line Defenders lui recommande d’ « intégrer la protection des défenseurs des droits humains, y compris les défenseurs du droit du travail, dans la coopération économique, sécuritaire et militaire bilatérale entre la France et l’Égypte ». L’ONG lui demande aussi de « garantir que le personnel de l’ambassade de France soit disponible pour observer les procès des DDH, dont ceux se déroulant devant des tribunaux militaires ou pour la sécurité de l’État, et plus particulièrement les procès des défenseurs du droit du travail liés aux projets des entreprises françaises, et faire des déclarations publiques indiquant si oui ou non les procès répondent aux normes internationales ».
Autrement dit, Front Line Defenders demande à la France d’exercer des pressions sur l’Egypte pour faire respecter le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié par elle, et qui engage donc sa responsabilité du fait que ses entreprises sont les donneurs d’ordre. Et ce, par des actes concrets et non par des paroles vites oubliées !
Rabha Attaf, grand reporter, spécialiste du Maghreb et du Moyen-Orient
Auteure de « Place Tahrir, une révolution inachevée, édition Workshop 19