Les Nations Unies et leur envoyé spécial en Libye, Bernardino Léon, ont une fois de plus échoué à constituer un gouvernement d’union nationale. Décryptage d’un échec
L’Espagnol Bernardino Léon est l’émissaire des Nations Unies pour la Libye depuis août 2014. Sa mission : trouver, au nom de la communauté internationale, un accord de paix dans ce pays en guerre civile depuis 2011. Une paix qui, selon la doxa européenne, doit passer par la constitution d’un gouvernement d’union nationale.
Qualifié de volontaire, de tenace, voire de coriace, par la totalité des experts s’intéressant à la scène libyenne, Bernardino Leon ne ménage pas ses efforts. Son dévouement est total, tout comme le temps qu’il consacre à ce pays. Hélas, son bilan est décevant. A ce jour, et en dépit de nombreux clairons de victoire, monsieur Léon a échoué à constituer un gouvernement d’union nationale. Il est parvenu à asseoir les belligérants autour d’une table mais pas à les faire accoucher d’un accord. Pourquoi cet échec alors que le diplomate espagnol jouit du soutient inconditionnel de la “communauté internationale” ?
Hurlements à Tobrouk
Il y a d’abord la méthode Léon qui pose problème et choque les Libyens en charge des négociations. L’épisode du 8 octobre dernier (le dernier d’une longue série) est révélateur de ladite méthode. Tout feu tout flemme, Bernardino Léon annonce dans la nuit la formation d’un gouvernement d’union qui sera dirigé par un Premier ministre, Fayez el-Serraj, affilié au camp de Tripoli. En théorie, cela supposerait que les belligérants se soient mis d’accord sur ce nom en amont. Que nenni ! Hurlements à Tobrouk où l’on affirme que le plan final proposé par Léon n’a rien à voir avec ce qui a été négocié ; hurlements à Tripoli où personne ne semble connaître Fayez el-Serraj ; et, comble du ridicule, hurlements du futur-ex Premier ministre qui déclare ne jamais avoir voulu ce poste !
A Tripoli, on accuse même l’envoyé des Nations Unies de vouloir semer la zizanie en créant un troisième gouvernement en Libye, en plus de ceux de Tobrouk et de Tripoli. A Tobrouk, on n’hésite même plus à comparer Bernardino Léon à Bernard Henri Lévy. « En 2011, BHL se piquait d’être l’architecte auto-proclamé de la Libye en créant presque ex-nihilo le CNT. Aujourd’hui, Bernardino Léon fait de même mais à la place du CNT brandit son gouvernement d’union nationale imposé de l’extérieur ».
Comme le rappelle cyniquement ce diplomate italien, « lorsque la communauté internationale ne veut pas régler un problème, elle le confie aux Nations Unies »… Une maxime conçue sur mesure pour la Libye post-Kadhafi tant cette communauté y est désunie. Le camp islamiste de Tripoli est soutenu financièrement et logistiquement par la Turquie et le Qatar. L’Arabie Saoudite est en embuscade prête à prendre la relève de l’ennemi qatari. Le camp de Tobrouk est, lui, sponsorisé par l’Egypte du maréchal Al-Sissi, un éradicateur d’islamistes convaincu, ainsi que plus discrètement par les Emirats Arabes Unis qui ne lésinent pas sur le carnet de chèque. Il peut aussi compter sur l’Algérie et les sécuritaires tunisiens que la pétaudière libyenne inquiète au plus haut point.
Double jeu
Au niveau des puissances occidentales, la situation est toute aussi confuse, l’hypocrisie en prime. Officiellement, la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni ont reconnu les autorités de Tobrouk comme étant les représentants officiels de la Libye. Mais soignent leurs relations avec les islamistes de Tripoli et en particulier avec Abdelhakim Belhadj. Ce dernier a la main haute (et militaire) sur Tripoli et est étroitement lié à la Turquie après avoir été le protégé du Qatar. Relevons au passage que l’Europe, qui soutient tant Bernardino Léon et son gouvernement d’union nationale, n’hésite pas à traiter secrètement avec Abdelhakim Belhadj, chef de milice de son état, et vierge de tout mandat politique.
Les Etats-Unis sont sur une ligne semblable quoique plus distanciée depuis l’attaque du consulat US de Benghazi en 2012 qui a coûté la vie à l’ambassadeur et a trois autres Américains.
Reste enfin deux pays susceptibles de peser en Libye. Le premier est la Russie de Vladimir Poutine qui, à titre personnel, a été révulsé par le sort fait au colonel Kadhafi. Et qui, cohérent dans sa politique arabe, ne traitera pas avec les islamistes de Tripoli. Le second est la Chine qui, tout en s’abritant derrière son statut de soft power, attend, comme elle l’a fait en Irak, de rafler la mise pétrolière. D’expérience, Pékin sait que l’Occident inspirera du dégoût aux décideurs libyens de demain. Et, une fois de plus, les Européens seront les cocus de l’histoire.