Au Congo “la diplomatie française est illisible” selon le sénateur Billout

DOCUMENT – «Illisible», «ambiguë», «en continuation du nécolonialisme ou de la Françafrique»… C’est en ces termes que le sénateur de Seine et Marne Michel Billout qualifie, dans une lettre adressée à Laurent Fabius, la position de la France sur le référendum constitutionnel qui permet au président congolais Denis Sassou N’Gueso de briguer un nouveau mandat.

Sassou-NguessoEn vigueur depuis vendredi, la nouvelle Constitution congolaise adoptée au terme d’un réfrendum contesté autorisant le président à candidater pour un nouveau mandat est toujours sous le feu des critiques.

Dénoncée unanimement par les organisations de défense des droits de l’homme comme une manoeuvre illégale imposée au forceps par le chef de l’Etat congolais, la réforme constitutionnelle a pourtant provoqué d’énormes cafouillages du côté de la diplomatie française. Après avoir déclaré le 21 octobre que Denis Sassou N’Guesso avait « le droit de consulter son peuple », provoquant ainsi l’ire de l’opposition congolaise, François Hollande acculé, a effectué un délicat rétropédalage en annonçant deux jours après, à travers un communiqué de l’Elysée, qu’il condamnait toute violence, soutenait la liberté d’expression et qu’il avait souhaité, lors de son discours de Dakar le 29 novembre 2014, « que les Constitutions soient respectées ».

Un grand écart qui rend plus que jamais confuse la ligne diplomatique de Paris que François Hollande voulait, lors de son élection, débarrasser des fantômes de la Françafrique. Dans une lettre que Mondafrique a obtenue (reproduite ci-dessous), le sénateur de la Seine et Marne et membre de la Commission des Affaires étrangères Michel Billout adresse au ministre des affaires étrangères Laurent Fabius une critique cinglante de la gestion du dossier congolais. Il dénonce notamment le soutien aveugle de Paris à ce régime autoritaire dont le président et sa famille sont visés en France par une enquête sur leur patrimoine français dans le cadre de la procédure dite des « biens mal acquis ».

 

Paris, le 29 octobre 2015

Monsieur le ministre,

J’ai été interpellé par des membres de la communauté congolaise de mon département au sujet de la position difficilement lisible de la France à propos du référendum concernant le projet de réforme constitutionnelle organisé dimanche dernier au Congo Brazzaville.

Tout d’abord, les très mauvaises conditions de l’organisation d’un débat démocratique  que  nécessite  un  tel  sujet,  les  violences  organisées,  la répression brutale de l’opposition entachent le résultat de ce scrutin.

Ces résultats annoncés officiellement contredisent le peu d’enthousiasme observé dans les bureaux de vote dimanche 25 octobre et relaté par de nombreux observateurs.

Le pouvoir annonce un taux de participation de 72,44 % quand l’opposition le mesure à 10 % et relativise la victoire écrasante du oui en faveur de ce changement de constitution qui ouvre la voie à une nouvelle république et surtout à un troisième, voir un quatrième mandat de nouveau possibles pour le président Denis Sassou Nguesso.

L’appel  au  boycott  de  l’opposition  semblait  pourtant  très  suivi  dans  les quartiers sud de Brazzaville et la zone méridionale du pays.

De plus, selon le ministre de l’intérieur et de la décentralisation, Raymond- Zéphyrin Mboulou, dont les propos ont été rapportés dans l’édition du journal « Le Monde » du mardi 27 octobre, le vote n’a pas pu se dérouler dans plus de cinq sous-préfectures du sud du pays.

Les constitutions sont théoriquement les garantes d’une alternance politique. Fixer une limite au nombre de mandats présidentiels constitue en effet une saine mesure, adoptée par la majorité des pays africains. La disposition est parfois  même  inamovible.  Ces  précautions  n’ont  toutefois  pas  empêché nombre de chefs d’État de se maintenir au pouvoir, des décennies durant, par une violation répétée des principes démocratiques et dans l’indifférence générale des médias et de l’opinion publique internationale. Dans certains pays africains, de véritables dynasties se sont emparées du pouvoir transmis de père en fils. Douze familles aujourd’hui au pouvoir en Afrique l’étaient déjà en 1990. 87% des Gabonais et 79% des Togolais, 69% des congolais dans le cas présent n’ont connu qu’une seule famille à la tête de l’État !

Cette question du respect des constitutions sur le nombre de mandats présidentiels est donc récurrente en Afrique et mériterait que notre pays adopte à ce sujet une position claire, quelques soient les intérêts des entreprises françaises.

Ce n’est malheureusement pas le cas dans la situation du Congo Brazzaville. Ainsi le 7 juillet dernier, le Chef de l’Etat a reçu à l’Elysée le président Denis Sassou-Nguesso à la demande de ce dernier. A cette occasion, il s’est déclaré, par voie de communiqué, attaché au fait que les référendums constitutionnels soient fondés sur « un consensus ».

Ce qui à l’évidence n’était pas le cas ce dimanche à Brazzaville.

Puis le 21 octobre, lors de la visite du président du Mali, il a affirmé que M. Denis Sassou-Nguesso pouvait consulter son peuple. Ce faisant il a apporté un soutien apprécié par le chef d’état africain.

Enfin le 23 octobre,  un communiqué est publié dans lequel le chef de l’Etat français   « condamne  toute  violence,  soutient  la  liberté  d’expression  et rappelle  qu’il  a  souhaité,  lors  de  son  discours  prononcé  à  Dakar  le  29 novembre 2014, que les Constitutions soient respectées ».

Cette diplomatie à géométrie variable est absolument illisible. Pire, toute nouvelle position française ambigüe qui ne condamnerait pas explicitement la dictature congolaise installée depuis 31 ans risquerait d’être comprise par les populations africaines, en attente de changement, comme une continuation du néocolonialisme ou de la Françafrique.

Je m’étonne également de l’écart de position avec le Parti socialiste, publiée le 24 septembre, qui appelait le président congolais à renoncer à son projet de révision de la Constitution, regrettant que le président Denis Sassou Nguesso s’engage dans une voie condamnable qui vise à priver le peuple congolais de toute alternance politique. « L’objectif est de violer à la fois la Charte de la démocratie de l’Union africaine et la Constitution congolaise, laquelle stipule précisément que les limites imposées aux mandats présidentiels ne peuvent être sujettes à des modifications constitutionnelles. »

Bien sûr, je n’ignore pas qu’au delà des principes, la France ait à cœur de défendre ses intérêts économiques. Sur ce plan, le fait que nous demeurions, et de loin, le premier partenaire du Congo, à la fois en tant que premier fournisseur (21% du marché), premier investisseur et premier créancier n’est sans doute pas étranger à la position prise par l’exécutif français sur ce coup d’état constitutionnel. Je n’ignore pas que plus d’une centaine filiales d’entreprises françaises sont présentes au Congo, employant près de 12 000 salariés dont un millier d’expatriés.

Pour autant, ces intérêt ne peuvent justifier le soutien à ce type de régime, jusqu’à écrire sur le site de votre ministère sans aucun recul ni analyse que « le programme lancé en 2009 par le président Denis Sassou Nguesso, le « Chemin   d’avenir »   vise  à  moderniser   le  pays   en   développant   les infrastructures et en luttant contre la pauvreté et la corruption. »

Une position pour le moins étonnante sachant que l’affaire dite des « biens mal  acquis »  a  donné  lieu  cet  été  à  la saisie  de  biens immobiliers  des propriétés appartenant au clan du président congolais. Les investigations se poursuivent, les magistrats le soupçonnant fortement, ainsi que ses proches, de détourner à leur profit une partie importante de la rente pétrolière de leur pays. Selon des informations distillées dans la presse, les enquêteurs seraient persuadés que « leur véritable propriétaire », dissimulé derrière des sociétés-écrans, est le neveu du président, Wilfrid Nguesso. Ces éléments ne sont d’ailleurs pas nouveaux puisque le président du Congo et sa famille sont visés depuis 2009 par une enquête sur leur patrimoine français. La justice avait déjà saisie une quinzaine de véhicules de luxe en février.  L’écheveau de sociétés est complexe, mais les enquêteurs s’appuient notamment sur des signalements de la cellule Tracfin. Je souhaite bien évidemment que la justice française puisse continuer à faire son travail sereinement, sans contraintes ni pression sur ce dossier sensible.

Dans ce contexte général, Monsieur le ministre, je serai heureux que la France éclaircisse sa politique vis à vie des peuples africains comme de ceux qui les oppriment.

Dans  cette  attente,  je  vous  prie  de croire,  Monsieur  le  ministre,  en l’expression de mes salutations les plus respectueuses.

Michel Billout