Algérie, de grandes manoeuvres au sommet de l’armée

Les dagues sont sorties au sein de l’Etat-Major de l’armée algérienne où plusieurs clans se disputent le pouvoir

Ce nest pas un hasard si le successeur de Gaïd Salah, qui fut jusqu’à son décès en décembre, le tout puissant chef d’Etat Major de l’armée algérienne a été nommé « par intérim ». L’intérim, semble-t-il, pourrait durer le temps que les clans militaires opposés affutent leurs armes et mobilisent leurs réseaux pour conquérir le pouvoir au sein de l’armée, la seule institution solide qui survive encore dans une Algérie qui bouillonne.

Le spectre de l’Etat DRS

Le retour d’une partie des réseaux de l’ex DRS (services algériens) au coeur du pouvoir est un signal fort des grandes manoeuvres qui ont débuté à Alger. Sous le bref rêgne de Gaïd Salah, décédé cet automne, les hommes du général Mohamed Mediene, dit Toufik, le tout puissant patron de l’ex DRS (services algériens) pendant un quart de siècle, étaient marginalisés ou emprisonnés. Toufik lui même était condamné à quinze ans de prison sur ordre de Gaïd Salah qui le détestait en raison du peu de considération où le chef des services le tenait.

Or le nouveau président, élu le 12 décembre, a recruté comme responsable sécuritaire le général El Mansour Benamara, dit « hadj Redouane », l’ancien directeur de cabinet du général Toufik, dont les compétences sécuritaires sont incontestables.

Abdelaziz Djerad, Premier ministre algérien, est comme beaucoup de hauts responsables algériens un déçu du ganaral Toufik, l’ancien patron des services secrets.

Autre signal, le Premier ministre que Tebboune a nommé, Abdelaziz Djerad, n’est autre que l’ex secrétaire général aux Affaires Etrangères, longtemps proche de l’ex DRS, même s’il fut un des nombreux déçus de Toufik. C’est lui qui, au sein de ce ministère régalien, était en charge des « personnels civils et assimilés »-un corps de fonctionnaires qui permettait d’intégrer discrètement les barbouzes au sein des représentations diplomatiques. « Le président Tebboune, explique un diplomate, déteste tous ceux qui furent proches de Said Bouteflika qui l’a humilié quand il était Premier ministre, mais il n’a rien contre les hommes de l’ex DRS, bien au contraire ».

Toufik, chevalier blanc

Autant de nominations qui permettent à l’Etat algérien de se restructurer en utilisant une parti de l’expertise que l’ex DRS avait su capitaliser, en son sein grace à des moyens considérables et à des prérogatives uniques

Autre signal fort du retour des amis de Toufik, le chauffeur de l’ancien patron du DRS lui même a été libéré. Enfin ses réseaux parisiens, à l’instar de Maitre Hafiz, le nouveau recteur de la Mosquée de Paris, ou le journaliste propagandiste Mohamed Sifaoui, ont été réhabilités.

L’ hypothèse que le général Toufik soit libéré dans les semaines à venir n’est pas jugée absurde à Alger. Des sites, tolérés par le pouvoir, dressent de lui des portraits complaisants en chevalier blanc de la lutte anti corruption- ce qui fait sourire le commun des mortels.

Un nouveau pape de transition?

Par ailleurs, certains hauts gradés qui voudraient hâter les changements au sommet de l’armée, sans se dévoiler, poussent la candidature du général-major Ben Ali Ben Ali. Deux éléments plaident en faveur de la nomination de ce dernier. Tout d’abord, son état de santé fragile -il s’est fait soigner récemment en Europe,-lui laisse en effet peu d’espoir de rester trop longtemps en fonctions. D’autre part, sa souplesse plaide faveur de ce haut gradé.

Responsable, sous Bouteflika, de la Garde républicaine, chargée de la sécurité de la Présidence, le général Ben Ali Ben Ali avait accepté en avril dernier finalement le deal proposé par Ahmed Gaïd Salah, alors chef d’Etat-Major de l’ANP.. Les deux généraux, les seuls qui détenaient seul le grade de général de corps d’armée, avaient conclu un accord à l’amiable qui avait permis de pousser Abdelaziz Bouteflika vers la sortie et de jeter les bases d’une nouvelle feuille de route.

Le général Lachkham dans l’ombre

Parmi les partisans d’une candidature Ben Ali Ben Ali, se trouvent les soutiens du général Lachkham, l’ambitieux patron des transmissions qui s’est révélé un poste clé pour peser sur les résultats du scrutin présidentiel du 12 décembre. Ce que ce militaire a fait discrètement en permettant à son candidat, Abdelmadjid Tebboune, de l’emporter dès le premier tour dans une élection sans véritables électeurs, ni observateurs impartiaux. C’est peu de dire que le soldat Tebboune, à qui l’armée ne laisse que la gestion des affaires courantes, n’attend qu’un signe pour introniser, par décret, son puissant mentor.

Ce militaire influent, qui se sera battu contre d’autres généraux partisans Azzedine Miboubi, longtemps favori, a mis tous ses réseaux, notamment dans le sud et l’ouest au pays, au service du nouveau président algérienDepuis, son role va grandissant. Mais son heure n’est pas encore venue compte tenu des oppositions qui se manifestent contre lui au sein de l’arme.

La nomination du général Ben Ali Ben Ali lui permettrait de marquer un peu plus son territoire.

La vieille garde

La recomposition des clientèles politiques et sécuritaires pourrait s’accommoder du maintien du nouveau chef d’état major par intérim, Saïd Chengriha, qui occupait, avant d’être promu en décembre à lamort de Gaïd Salah, le poste très stratégique de commandant des forces terrestres de l’Armée Nationale après avoir été formé dans des unités de blindés, le coeur de l’armée algérienne. Beaucoup moins clivant qu’un Gaïd Salah, sans coloration partisane et soutenu par plusieurs chefs de région militaire, ces grands féodaux qui sont les vrais patrons de l’armée, ce militaire incarne une forme de consensus.

Depuis son arrivée aux commandes de l’ANP, indique le site Algérie Part, généralement bien informé, Said Chengriha a décidé d’opérer un élargissement du cercle restreint composant le commandement opérationnel de l’armée algérienne. Ainsi aux sept membres incontournables fidèles à Gaid Salah, Said Chengriha a rajouté de nouveaux hauts responsables militaires qui assistent à ces réunions stratégiques et qui sont consultés pour la conduire des affaires de l’armée (1).

Du temps de Gaid Salah, ces généraux ne siégeaient pas dans les réunions restreintes du haut commandement militaire. Cet élargissement, explique toujours Algérie Part, témoigne d’une volonté de fédérer de nombreux hauts responsables de l’ANP autour du nouveau chef de l’institution militaire. 

Le chef d’état major par intérim aura-t-il l’autorité et la rouerie nécessaires pour maintenir la cohésion d’une institution militaire divisée qui cherche les voies de la survie dans un climat pré insurrectionnel? Rien n’est moins certain.

(1) Il s’agit du chef de la 3e région militaire, le général major Mostefa Smaali, le chef de 4e région militaire, le général major Hassan Allaïmia, le chef de 5e région militaire, le général major Ammar Athamnia, le chef de la 6e région militaire, le général major Mohamed Adjroud, le commandant des forces de défense aérienne du territoire, le général-major Amar Amrani, le commandant par intérim des forces militaires terrestres, le général-major Omar Tlemsani.

Des sites algériens instrumentalisés préparent le retour du général Toufik

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