Le Groupe de travail sur la détention arbitraire du Conseil des droits de l’homme de l’ONU a publié son avis n° 34-2024 concernant huit détenus tunisiens dans l’affaire connue sous le nom de « l’affaire du complot contre la sûreté de l’État » et affirme qu’ils ont été victimes de détention arbitraire.
Le Groupe de travail sur la détention arbitraire est un organisme mandaté par l’ONU, regroupant des experts indépendants en droits humains. Il est chargé d’enquêter sur les cas de privation de liberté imposée arbitrairement ou de toute autre manière incompatible avec les normes internationales pertinentes, énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l’homme ou dans les instruments de droit international pertinents acceptés par les États concernés.
Le Groupe de travail enquête sur les cas présumés en adressant des communications et des appels urgents aux gouvernements concernés afin qu’ils fournissent des précisions ou qu’ils prennent en compte ces affaires. Le Groupe examine également les plaintes émanant de particuliers selon sa procédure ordinaire, ce qui peut conduire à l’adoption d’avis sur le caractère arbitraire de la détention. Par ailleurs, le Groupe de travail effectue des visites de pays afin d’évaluer la situation en matière de privation de liberté dans le pays.
Qui sont les huit détenus ?
1.Mohamad Khayam ben Ibrahim ben Mustafa al Turki
2.Chaima bent Issa ben Ibrahim ben Hoagui Issa
3.Abdelhamid ben Abdelkader ben Mohamad al Jelassi
4.Issam ben Abdelaziz ben Ahmed al Chebbi
5.Ghazi ben Mohamad ben al Hadi al Chaouachi
6. Ridha ben al Bachir ben Mohamad Belhaj
7. Jaouhar ben Ezzedine ben Mohamed al Habib ben M’barek
8. Mohamad Lazher al Akremi
La libération provisoire de Chayma Issa et de Mohamed Lazher Al Akremi, survenue pendant la procédure devant le groupe de travail, ne fait pas obstacle à ce que leurs cas soient traités.
Comment ça fonctionne ?
Le groupe de travail examine les cas selon des procédures accusatoires, c’est-à-dire que les allégations et preuves des plaignants sont communiquées à l’État défendeur pour qu’il émette ses conclusions et preuves, et vice versa. L’État tunisien, dans le cas d’espèce, a choisi de ne pas répliquer à la plainte. En ce cas, le groupe de travail continue l’examen du dossier en se basant sur les éléments fournis par les plaignants qu’il estime recevables.
La teneur de l’avis
Le groupe de travail, après examen des documents, a conclu que la détention des huit requérants est (était, pour les deux libérés provisoirement) arbitraire. Cette qualification repose sur plusieurs motifs :
Des motifs liés aux procédures d’arrestation et de détention
Notamment la violation de l’article 9 (paragraphe 2) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui impose l’obligation d’informer la personne détenue ou arrêtée des raisons de son arrestation et de lui signifier les accusations portées contre elle dans les plus brefs délais afin qu’elle puisse se défendre efficacement. L’arrestation a été jugée dépourvue de base légale, a conclu le groupe de travail. Les autorités tunisiennes n’ont également pas respecté leur obligation de traduire les détenus devant un juge dans les plus brefs délais.
Des motifs en relation avec le but poursuivi par la détention
Le groupe de travail a conclu que l’arrestation et la détention constituaient des mesures de représailles contre les détenus pour avoir exercé ou tenté d’exercer leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion, ainsi que leur droit de participer aux affaires publiques de leur pays, des droits consacrés par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et par la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Des motifs en relation avec leur droit à un procès équitable
Notamment les graves atteintes à l’indépendance de la justice, se manifestant dans les propos publics du président de la République, les pressions exercées par le gouvernement, ainsi que les poursuites contre les avocats de la défense. Ces éléments ont conduit le groupe de travail à conclure que « les violations du droit des huit individus à un procès équitable sont d’une gravité telle qu’elles rendent leur privation de liberté arbitraire ».
Les recommandations du groupe de travail
Le groupe de travail invite l’État tunisien à :
- Libérer les détenus encore en prison ;
- Indemniser les détenus libérés ;
- Notifier au groupe de travail les modifications de la législation ou des pratiques entreprises pour mieux se conformer aux obligations du droit international ;
- Notifier toute autre mesure prise pour donner suite à cet avis.
La Tunisie est-elle obligée de respecter cet avis ?
La Tunisie est juridiquement obligée, au sens du droit international, de le faire, puisqu’elle a ratifié les conventions onusiennes et accepté le dépôt et l’examen des plaintes individuelles par le groupe de travail, bien qu’il s’agisse d’un avis et non d’une décision judiciaire.
Cependant, comme la plupart des mécanismes internationaux, il n’existe pas de moyens coercitifs pour contraindre l’État à obtempérer.
Toutefois, le non-respect de cet avis peut avoir des répercussions juridiques devant les tribunaux européens ou les administrations, notamment en ce qui concerne la qualification de la Tunisie comme un pays sûr. Il peut également entraîner des répercussions politiques, notamment sur les relations entre le régime en place et les pays de l’Union européenne ou les États-Unis, qui pourraient le considérer comme encore moins fréquentable.