…Et les principaux tortionnaires de ce régime dictatorial ont été libérés.
(Nairobi, le 23 octobre 2019) – Le gouvernement tchadien n’a toujours pas exécuté une décision de justice de 2015 ordonnant réparation à plus de 7 000 victimes de crimes graves commis durant le régime de l’ancien dictateur tchadien Hissène Habré, ont déclaré aujourd’hui quatre organisations de défense des droits humains.
La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), qui examine actuellement à Banjul, en Gambie, le bilan du Tchad en matière des droits humains, devrait faire pression auprès du gouvernement tchadien pour qu’il respecte ses obligations envers les victimes de Hissène Habré.
« Cela fait quatre ans et le gouvernement tchadien n’a pas même commencé à exécuter la décision de la Cour », a déclaré Jacqueline Moudeïna, principale avocate des victimes et présidente de l’Association Tchadienne pour la Promotion et la Défense des Droits de l’Homme (ATPDH). « C’est une insulte faite aux victimes et un affront à l’État de droit. »
Le 25 mars 2015, après trois mois de procès, la Cour d’appel de N’Djaména a condamné 20 agents du régime de Hissène Habré pour assassinats, tortures, séquestrations, et détentions arbitraires, parmi d’autres crimes. La Cour a également accordé aux 7 000 victimes la somme de 75 milliards de francs CFA (soit environ 140 millions de dollars US) à titre de dommages et intérêts, ordonnant au gouvernement d’en verser la moitié et aux agents condamnés d’en verser l’autre moitié.
Hissène Habré lui-même a été reconnu coupable en 2016 de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et de torture, et notamment de viol et de violences sexuelles, par un tribunal spécial au Sénégal et condamné à la prison à perpétuité. Une chambre d’appel a confirmé cette condamnation en 2017, a accordé la somme de 82 milliards de francs CFA (soit environ 153 millions de dollar US) aux 7 396 victimes désignées, et a donné mandat à un Fonds de l’Union africaine pour collecter les fonds en recherchant les avoirs de Hissène Habré et en sollicitant des contributions.
Bien que l’Union africaine ait alloué cinq millions de dollars au Fonds fiduciaire pour les indemnisations, le Fonds n’est à ce jour pas opérationnel, 30 mois après le verdict de Dakar. Les organisations ont déclaré que la CADHP devrait également insister pour que l’Union africaine accélère la mise en place du Fonds fiduciaire, afin que les victimes puissent commencer à recevoir des indemnisations.
« Les victimes de Hissène Habré ont lutté sans relâche pendant 25 ans, ont fait traduire en justice leur dictateur et ses sbires et se sont vu accorder des millions de dollars, mais à ce jour elles n’ont pas reçu un seul centime de ces réparations », a déclaré Reed Brody, conseiller juridique à Human Rights Watch, qui travaille auprès des victimes de Hissène Habré depuis 1999. « Nombre des victimes qui ont remporté ces victoires historiques sont aux abois et dans une situation désespérée. »
Au cours du procès historique tenu au Tchad en 2015, environ 50 victimes ont décrit les tortures et les mauvais traitements subis aux mains des agents de la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS), la redoutée police politique de Habré. Parmi les personnes condamnées à perpétuité à l’issue de ce procès figuraient Saleh Younous, ancien directeur de la DDS, et Mahamat Djibrine dit « El-Djonto » qui était, selon la Commission nationale tchadienne d’enquête de 1992, l’un des « tortionnaires les plus redoutés » de ce pays. Saleh Younous et Mahamat Djibrine, comme beaucoup d’autres condamnés, auraient été libérés depuis, sans qu’un motif officiel ne soit fourni.