Pour Human Rights Watch, les autorités n’ont pas mené d’enquête crédible sur son décès en détention
(Nairobi, le 17 août 2020) – Les autorités rwandaises n’ont pas mené d’enquête crédible et transparente sur le décès suspect en garde à vue du chanteur célèbre Kizito Mihigo, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Il est essentiel qu’une enquête indépendante et efficace soit menée avec la participation d’experts étrangers, notamment le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires.
Les autorités rwandaises ont annoncé avoir trouvé Kizito Mihigo mort dans sa cellule le 17 février 2020 au poste de police de Remera, affirmant qu’il « s’était étranglé » à mort. Quelques jours avant son arrestation, cependant, Kizito Mihigo avait raconté à Human Rights Watch qu’il faisait l’objet de menaces afin qu’il fournisse de faux témoignages contre des opposants politiques et qu’il voulait quitter le pays parce qu’il craignait pour sa sécurité. Détracteur du gouvernement qui avait déjà été poursuivi et emprisonné pendant quatre ans, il avait exprimé des inquiétudes face au risque sérieux d’être tué par des agents de l’État.
« Il incombe au gouvernement rwandais de démontrer que Kizito Mihigo n’a pas été tué illégalement pendant sa garde à vue, mais six mois plus tard, le gouvernement a manifestement manqué de le faire », a expliqué Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale chez Human Rights Watch. « Au lieu de faire la lumière sur les circonstances entourant la mort de Kizito Mihigo et de poursuivre les responsables, les autorités ont alimenté une version selon laquelle il était déprimé et suicidaire. »
L’enquête externe indépendante devrait non seulement se pencher sur l’arrestation et la détention de Kizito Mihigo en février immédiatement avant son décès, mais aussi sur les actes abusifs basés sur des motifs politiques commis par les autorités à son encontre en 2014 et 2015, ainsi que sur l’enquête menée par les autorités sur sa mort et leurs actions après son décès.
Kizito Mihigo a été arrêté à Nyaruguru, près de la frontière avec le Burundi, le 13 février 2020, avec deux autres personnes. Le Bureau d’enquêtes rwandais (Rwanda Investigation Bureau, RIB) a annoncé tard dans l’après-midi du 14 février que Kizito Mihigo était en garde à vue et a indiqué qu’il était inculpé de tentative de traverser la frontière illégalement, d’association avec des « groupes terroristes » et de corruption. Les circonstances autour de son arrestation et de sa détention ultérieure restent floues.
La police nationale rwandaise a rapporté que Kizito Mihigo est mort le 17 février, présumément par suicide, quelques heures après qu’elle a affirmé avoir trouvé son corps sans vie dans sa cellule au poste de police de Remera. Le même jour, la porte-parole du RIB, Marie-Michelle Umuhoza, a annoncé aux médias locaux que Kizito Mihigo « s’était étranglé » avec ses draps et avait montré un « comportement inhabituel » pendant sa garde à vue.
Kizito Mihigo a été détenu au secret dans un lieu inconnu pendant neuf jours en avril 2014, où il a dit avoir été frappé, menacé et forcé d’avouer des crimes dont il a été inculpé plus tard. En février 2015, la Haute Cour de Kigali l’a condamné à 10 ans de prison pour des délits présumés de formation d’une association de malfaiteurs, de planification de meurtre et de complot d’attentat contre le pouvoir en place ou le président. Il a été libéré en septembre 2018 en vertu d’une grâce présidentielle.
Kizito Mihigo a fait un enregistrement le 6 octobre 2016 alors qu’il purgeait sa peine à la prison de Nyarugenge à Kigali qu’il a transmis à Human Rights Watch à l’époque. Dans cet enregistrement, il expliquait que les poursuites à son encontre étaient politiques et constituaient une tentative de censurer une chanson qu’il avait diffusée quelques semaines avant son arrestation. Dans la chanson sortie le 5 mars 2014, Kizito Mihigo – rescapé du génocide – exprimait sa compassion pour les victimes du génocide ainsi que des autres crimes commis au lendemain du génocide.
Dans l’enregistrement, Kizito Mihigo indiquait qu’il avait été forcé d’assister à des réunions avec plusieurs hauts responsables du gouvernement, dont la directrice de cabinet du président Paul Kagame, Ines Mpambara, et le vice-président du Sénat de l’époque, Bernard Makuza, qui lui auraient dit que le président n’avait pas aimé sa chanson et que s’il ne demandait pas pardon, il serait mort.
Dans l’enregistrement, Kizito Mihigo a aussi précisé que pendant sa détention au secret, du 6 au 15 avril 2014, il a été frappé et interrogé devant Dan Munyuza, alors inspecteur général adjoint de la police, qui lui a dit de plaider coupable et de « demander pardon ». Dans le cas contraire, il ferait face à une peine à perpétuité et une mort en prison. Dan Munyuza est actuellement inspecteur général de la police