Pendant 752 jours, le père missionnaire Pier-Luigi Maccalli, fut l’otage des moudjahidines. Il est retourné au Niger, le lieu de son enlèvement, avant qu’il ne soit captif dans la savane du Burkina Faso, puis dans l’immense désert du Sahara.
Mauro Armanino, Niamey, octobre 2024
Entre ces moments symboliques, deux ans de captivité dans la solitude, avec des chaînes pendant les longues nuits étoilées du désert. Depuis, Pierluigi est très attentif à l’évolution des négociations pour d’autres otages comme lui, détenus au Sahel et ailleurs. Ses chaînes étaient celles de la liberté car elles ont fait de lui un otage de la paix, de la parole et des mains désarmées.
Il arrive cependant, pour ceux qui n’ont pas eu le même privilège dramatique que l’ami et confrère précité, que l’on vive en otage sans le savoir ni le vouloir. Ou bien il arrive que l’on préfère vivre en otage pour ne pas risquer ce qu’il y a de plus dangereux dans la vie, à savoir la liberté. Pierluigi a vu, senti, souffert les chaînes à ses pieds. Pendant près d’un mois, il a été enchaîné nuit et jour à une chaîne d’un mètre vingt. Seuls les chiens, peut-être, peuvent comprendre ce que cela signifie pour une personne habituée à se déplacer, à voyager et à décider où aller. Il y a ceux qui ne se rendent pas compte qu’ils sont enchaînés, comme Pierluigi, et qui se contentent de la nourriture qu’on leur donne quotidiennement.
Il y a les otages de la misère, créée, reproduite, acceptée comme inéluctable et parfois entretenue parce que c’est ainsi que le monde semble fonctionner depuis la nuit des temps. Il y a ceux qui naissent pour vivre en esclaves, résignés à leur destin inscrit dans le livre de sable, et ceux qui ont les moyens de décider de leur avenir et de celui de leurs enfants. Otages du monde humanitaire qui prospère précisément là où résonne le plus fort le cri des otages de la maladie qui tue plus que la guerre et qui s’appelle la faim. Des otages à qui, souvent, personne n’a jamais dit que ce qui est écrit dans le livre du destin n’est que du sable que le vent disperse. Un autre monde est possible quand les chaînes invisibles sont reconnues comme telles.
Elles suivent, au Sahel, cet espace extraordinaire d’histoire, de cultures, de traditions, de conflits et d’aventures, les otages de la peur. Peur d’aujourd’hui, de l’arrivée possible de groupes armés qui dictent la loi et la mort. Peur du lendemain, des semailles, des récoltes, des greniers, des impôts à payer par personne, des conversions forcées, de l’enrôlement dans la nébuleuse djihadiste qui marchande la religion, l’or, la drogue, les armes et les plus belles années de la jeunesse. La peur de la dénonciation rend tout le monde méfiant, même au sein des familles et des villages où, pendant des décennies, les gens ont vécu ensemble dans une relative harmonie et dans l’acceptation de la diversité. Viennent ensuite les identités fomentées et donc excluantes, mortifères et clivantes.
Et enfin, les otages qui sont peut-être moins reconnaissables, et peut-être aussi pour cette raison très délétères. Ce sont les otages du mensonge qui règne à travers une rhétorique qui vend les moyens pour justifier la fin. Ils s’associent, soutiennent, justifient, défendent et adhèrent à la pensée dominante du moment. La politique ne sert à rien et les droits de l’homme sont des marchandises idéologiques parce que ce qui compte, c’est le bien du peuple tel qu’un groupe de personnes « éclairées », souvent armées, le décide. Des otages qui infiltrent ce qui reste des partis, des syndicats, des médias et même des badges de mérite sur le terrain.
Mon ami Pierluigi avait raison. Il disait qu’ils pouvaient enchaîner ses pieds mais pas le cœur et l’esprit. En souvenir de son séjour en prison, il a emporté un maillon de la chaîne. Pour rappeler que seuls ceux qui ont porté des chaînes peuvent jouer leur vie pour la liberté des autres.