Après été détenu au secret pendant 306 jours dans les locaux de la Direction Générale Des Contres Ingérences et de la Sécurité Militaire (DGCISM- communément appelé B2) où il a subi des tortures, l’opposant gabonais Armel MOUENDOU MWEMBINE (qui a aussi passé plusieurs mois en prison pour « outrage » à Ali Bongo !) se bat pour que ses bourreaux soient traduits devant les tribunaux. Saisie, la justice Gabonaise a demandé que le ministère de la défense l’autorise à ouvrir une enquête sur ses agents. Mondafrique a interrogé cet opposant courageux.
Mondafrique. Pouvez-vous vous présenter ?
Armel Mouendou Mwembine – Je suis Armel Mouendou Mwembine dit « Grant-Kalley » pour les intimes, administrateur GRH, marié et père d’une nombreuse famille, opposant au régime Bongo depuis le retour au multipartisme dans notre pays au sein du RNB (Rassemblement National des Bucherons). Survivant des kidnappés de la période post électorale de 2016, ancien prisonnier politique, défenseur de la dignité humaine, partisan du bonheur partagé.
MA- vous êtes enlevé le 02 janvier 2018 à Libreville, pouvez-vous nous donner des éléments sur le contexte de l’époque ?
AMM- Nous sommes à cette période dans le contexte de la Résistance face à un pouvoir usurpateur qui tentait par tous les moyens de faire asseoir une légitimité après des élections présidentielles volées au véritable Président Élu Jean Ping. L’un de ces moyens est de mettre hors d’état de nuire toutes personnes susceptibles de mettre à mal leur plan machiavélique dont les éléments de LA VOIX DU PEUPLE étaient par leurs fortes prises de positions à cette période, des cibles privilégiées.
MA- Comment s’est passé votre enlèvement ?
AMM- Le 22 décembre 2017, nous échappons le Président Enrique Mamboundou, notre trésorière et moi-même à une première tentative d’enlèvement à l’issue du meeting de la « Résistance » organisé par « La Voie du Peuple » à Awendjé (Un quartier de la capitale, Libreville). Pris en chasse par des hommes lourdement armés, nous n’avons eu la vie sauve ce jour-là que grâce à ma dextérité au volant.
Le 2 janvier 2018, soit 11 jours plus tard, après m’avoir tendu un guet-apens à l’entrée de mon domicile, je suis sauvagement poursuivi par les mêmes hommes, mais cette fois-ci à bord de plusieurs véhicules banalisés, d’où ils ont tiré à balles réelles à plusieurs reprises sur mon véhicule. Arrêté, encagoulé, puis conduit premièrement dans la forêt de la « Cité de la démocratie » (Un complexe militaro- administratif situé dans la capitale gabonaise) pour être in fine conduit au B2 où je vais être gardé au secret pendant 306 jours dans des conditions les plus dégradantes et inhumaines.
MA- Vous avez été retenu pendant 11 mois dans les locaux des renseignements militaires. Comment y avez-vous été traité ?
AMM- Si je suis aujourd’hui plus qu’avant un défenseur de la dignité humaine, c’est fort de cette expérience personnelle vécue dans les locaux de la tristement célèbre B2 ou j’ai été de très nombreuses fois électrocuté et frappé, régulièrement bâillonné, menotté, et encagoulé pendant près de 5 mois. J’ai dû survivre à des sévices inhumains d’une portée psychologique et morale inacceptables, des sévices physiques d’une autre ère et d’une douleur indescriptible qui m’ont marqué à vie.
Permettez-moi de vous raconter comment j’ai été torturé à l’électricité. Un jour le chauffeur du directeur général de la Direction Générale de la Contre Ingérence et de la Sécurité Militaire qu’on appelle le B2 est venu pour m’interroger. Emmené dans une salle, menotté, il a sorti des câbles électriques et m’a dit après m’avoir mouillé et interrogé sur un « plan de déstabilisation du Gabon » dont j’ignorais et j’ignore tout: « Tu as déjà vu comment on exécute les gens avec l’électricité à la télévision ? C’est ce que tu vas subir ».
Il m’a donné deux gifles, m’a versé de l’eau, a mis des gants, mis un bout de câbles électriques aux reins et au ventre. J’ai été électrocuté et je suis tombé…
Cette torture à l’électricité m’a d’ailleurs laissé une cicatrice au ventre.
MA- Plus tard vous avez été incarcéré pour « outrage au président de la République gabonaise » Pouvez-vous revenir là-dessus ?
AMM- 11 mois après « ma relaxe » du B2, je suis dans la même logique mais surtout fidèle à mon engagement politique et prêt à en assumer de nouveau les conséquences. C’est en allant récupérer mon véhicule, celui avec lequel j’avais été pourchassé qui avait été laissé par mes ravisseurs au commissariat de police le jour de mon kidnapping, qu’encore devant leur portail je fais une déclaration face aux médias qui m’accompagnaient ou je lançais un Appel à la mobilisation de toutes les Forces Vives engagées pour la libération du Gabon, tout en rappelant une énième fois l’imposture d’Ali Bongo à la tête de l’Etat.
Je suis arrêté, détenu au commissariat du 5ème arrondissement pour me voir quelques jours plus tard, présenté devant le procureur, qui lui décida de qualifier mes propos d’outrage aux Chef de l’état quand le monde entier pouvait simplement reconnaître en mes dires , les vérités des événements actuels.
Après la séquestration, voici la Prison.
MA- Vous avez déposé plainte. Qu’en est-il aujourd’hui ?
AMM- La plainte n’est pas uniquement basée sur le traitement inhumain subi, mais aussi pour tentative de meurtre, destruction volontaire de bien d’autrui, kidnapping et séquestration. Mais le parquet en violation des libertés individuelles de chacun à revendiquer la justice, m’a opposé une fin de non-recevoir. Mais c’est sans compter avec ma détermination car je suis déterminé à entreprendre toutes les voies juridiques possibles pour que le droit soit lu en ma faveur. J’ai déjà saisi un avocat pour la cause.
MA – Vous ne craignez pas pour votre sécurité ?
AMM- En dépit des sommations que le directeur du B2 nous avait faites, le jour de notre libération qu’on serait éliminé si on essayait une action en justice ou d’en parler. Je sais pertinemment que tous mes appels, mes déplacements et autres sont contrôlés par le gouvernement donc ils seront responsables de tout ce qui m’arrivera. Ce que je retiens je ne suis pas éternel tôt ou tard je partirai de ce monde mais le Gabon demeurera.
MA- Quel est votre mot de la fin ?
AMM- Je vais m’adresser à deux types des personnes :
– aux tortionnaires qui ont pris en otage le Gabon. Si les sévices et les persécutions ont eu réussi à apprivoiser certains, chez d’autres en revanche, cela a créé l’effet contraire.
– Aux dignes fils du Gabon je dirai, pourquoi continuer de regarder les choses telles qu’elles sont et se dire » pourquoi ? » Quand on peut simplement les imaginer telles qu’elles n’ont jamais été et se dire » pourquoi pas ? «
Cette lutte, je la mène pour toutes les victimes des tortures au Gabon qui n’ont pas le courage de parler. Je mène cette lutte pour qu’un jour au Gabon – comme disait Nelson Mandela – « Que jamais, au grand jamais ce beau pays ne subisse l’oppression de l’un par l’autre ».