Le procès qui a suivi le coup d’état raté de 207 et a abouti à la condamnation de 112 accusés a été entaché d’irrégularités et d’allégations de torture
(Washington, le 2 août 2019) – La condamnation, le 31 mai 2019, de 112 accusés par un tribunal de Guinée équatoriale, dans le cadre d’un procès où de nombreuses violations des garanties de procédure régulière ont été constatées, notamment des aveux extorqués sous la torture, constitue un déni de justice flagrant, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch simultanément à la mise en ligne d’une vidéo sur ce procès.
Dans le cadre du projet TrialWatch de la Fondation Clooney pour la justice, le Centre pour les droits humains de l’Association américaine du barreau a dépêché cinq observateurs pour suivre les audiences. Juan Mendez, ancien rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et membre du comité consultatif de TrialWatch, a préparé un rapport préliminaire sur la base des notes de ces observateurs. Ce document identifie une série d’abus au nombre desquels des aveux forcés et des violations des droits de la défense avant et pendant le procès. La vidéo comprend des entretiens avec Mendez et deux avocats qui ont suivi certaines parties du procès.
« Les avocats indépendants ayant assisté au procès l’ont qualifié de parodie de justice », a déclaré Sarah Saadoun, chercheuse auprès de la division Entreprises et droits humains de Human Rights Watch. « La liberté prise par les autorités équatoguinéenes d’arrêter des dizaines de personnes dans la rue et de les condamner à des décennies de prison sans autre élément de preuve que des aveux extorqués sous la torture devrait déclencher un véritable tollé. »
Les accusés faisaient partie d’un groupe de 130 personnes arrêtées à la suite d’une tentative de coup d’État contre le président Teodoro Obiang en décembre 2017. Un panel de huit juges les a condamnés à l’issue d’un procès qui s’est ouvert le 22 mars 2019 à la cour provinciale de Bata et a prononcé des peines de prison allant de trois à 97 ans, 25 des accusés ayant été condamnés à des peines de plus de 70 ans. L’accusation n’a présenté que peu ou pas d’éléments à charge contre la plupart des accusés, et dans certains cas, s’est appuyée sur des aveux que les accusés ont reconnu devant le tribunal avoir faits sous la torture. La cour, qui comprenait deux juges nommés en cours de procès par le président Obiang lui-même, a imposé de sévères restrictions à la défense, notamment en lui interdisant de présenter des preuves d’actes de torture et en restreignant l’accès des avocats à leurs clients.
Le gouvernement a arrêté une trentaine d’hommes originaires du Tchad, du Cameroun et de la République centrafricaine en décembre 2017, alléguant qu’il s’agissait de mercenaires illégalement introduits en Guinée équatoriale avec des munitions pour organiser un coup d’État. Selon la télévision d’État, l’armée aurait tué un individu lors d’affrontements au moment de son arrestation.
Après cette première vague, le gouvernement a procédé aux arrestations de dizaines de personnes supplémentaires, dont des Équatoguinéens, accusés d’avoir participé à la tentative de coup d’État. Le procès concernait environ 130 accusés, dont 55 jugés par contumace, mais il est difficile de déterminer le nombre exact de ceux qui ont finalement été jugés, car les documents officiels délivrés par le tribunal ne concordent pas entre eux. Selon l’un des observateurs, bon nombre d’accusés affirment être des parents de personnes soupçonnées par le gouvernement et les avocats de la défense arguent que leurs clients ont été pris pour cible pour des raisons politiques sans rapport avec la tentative de coup d’État.
Pendant toute la durée de leur détention provisoire, les accusés ont été placés en détention secrète, sans pouvoir consulter leurs avocats ni recevoir la visite de leurs proches. Ils ont décrit des conditions carcérales sordides et caractérisées par la surpopulation. Nombre d’entre eux ont affirmé avoir été torturés jusqu’à ce qu’ils passent aux aveux, notamment en étant battus, ligotés, électrocutés et privés d’accès à des toilettes et à des soins médicaux.
Desiderio Ondong Abeso, un des accusés, a témoigné avoir été « torturé comme un crocodile », les bras attachés dans le dos. Deux autres ont perdu la vie en détention. Selon un des observateurs, les autorités n’ont pas expliqué ces décès, les avocats de ces individus ayant assuré qu’ils étaient consécutifs à des tortures.
Les juges ont interdit aux avocats de la défense de porter des allégations d’actes de torture devant le tribunal, ont déclaré les observateurs ayant assisté au procès. Des restrictions si sévères leur ont été imposées qu’ils n’ont pu assurer correctement la défense de leurs clients. Ils n’ont été autorisés à les rencontrer que 72 heures avant le procès, avec un accès limité aux dossiers.
Les procureurs ont fait valoir les mêmes chefs d’inculpation pour tous les accusés et présenté de nouveaux chefs d’accusation 11 jours avant la fin du procès. Les juges ont autorisé les avocats de la défense à n’interroger que quelques minutes les accusés, restreignant considérablement leur droit de soulever des objections ou de contre-interroger les témoins de l’accusation.
Les ingérences politiques et militaires étaient évidentes dès le début du procès. Le 1er avril, deux semaines après le début du procès, le président a promulgué un décret nommant deux nouveaux juges et deux nouveaux procureurs, issus des rangs de l’armée. Une semaine plus tard, les observateurs ont aperçu un responsable militaire dans l’audience qui adressait des messages aux juges et à l’accusation.
« Le gouvernement a parfaitement le droit de juger des personnes impliquées dans une tentative de coup d’État, mais n’a pas carte blanche pour torturer, piétiner le droit à une procédure régulière ou cibler l’opposition politique », a conclu Sarah Saadoun. « Les violations documentées par les observateurs correspondent aux agissements répétés des tribunaux équatoguinéens, qui bafouent les droits humains, exigeant l’attention de l’ONU et de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. »