C’était un souhait du dictateur Al-Sissi : le méga-contrat d’armement de presque 4 milliards d’euros, signé entre la France et l’Egypte le 26 avril dernier, devait rester secret. C’est raté ! Une chronique de Rabha Attaf.
Le média d’investigation Disclose l’a révélé le 3 mai dernier, la veille de l’arrivée en catimini à Paris d’une délégation officielle égyptienne pour parapher un accord financier au ministère de l’Économie et des Finances. Objet de l’opération : la livraison de 30 avions de chasse Rafale pour un montant de 3,75 milliards d’euros avec, en guise de cerise sur le gâteau, 200 millions d’euros au profit du missilier MBDA et de l’équipementier Safran Electronics & Defense. Soit 3,95 milliards d’euros !
L’Égypte, premier client de l’armement français
Ces 30 Rafales viennent s’ajouter au 24 déjà livrés depuis 2015. De 2014 à 2018, l’Égypte était de principal client de l’industrie française de l’armement. Depuis, l’Élysée voyait d’un mauvais œil Al-Sissi se tourner vers les concurrents allemands, russes ou italiens. D’où l’accueil de ce dernier, en grandes pompes à Paris, les 7 et 8 décembre dernier. Lors de cette visite officielle, le président Macron lui avait réaffirmé son soutien (https://mondafrique.com/al-sissi-a-paris-une-idylle-dangereuse/), et le gratifiait même de la grand-croix de la légion d’honneur. Dans la foulée, le maréchal recevait dans sa résidence parisienne Eric Trappier, le PDG de Dassault Aviation. Un mois après, Jean-Yves Le Drian s’envolait pour Le Caire…
Cette opération de séduction, qui avait soulevé de vives protestations des ONG internationales, a certainement porté ses fruits. Sans oublier les conditions de crédit avantageuses octroyées par Bercy. Courant sur une dizaine d’années, un prêt bancaire garanti par le Trésor public français couvre, en effet, 85 % du montant de ce contrat record -contre 60 % pour les précédents. C’est à dire 3,4 milliards d’euros ! Pourtant, depuis le coup d’état militaire de 2013, et l’accession au pouvoir d’Al-Sissi en 2014, l’Egypte ne cesse de s’endetter pour acquérir des armes, alors que sont économie est sinistrée et que les droits humains sont réduits à une peau de chagrin (https://mondafrique.com/france-egypte-rafales-ont-coule-droits-de-lhomme/).
Par ailleurs, d’après Amnesty International, l’Égypte -alliée du maréchal Haftar- viole l’embargo sur la vente d’armes à la Libye, et « ces avions de combat Rafale pourraient être utilisés sur le territoire libyen », voire même « cibler des zones civiles ». En fait, d’après des observateurs locaux, cette situation s’est déjà produite. En mai 2019, des avions de chasse égyptiens -dont deux Rafale- ont bombardé les villes de Derna et de Houn, pour appuyer les troupes d’Haftar. Or, de part ses engagements internationaux, la France a l’obligation de ne pas livrer d’armes aux pays qui enfreignent les embargos.
L’Égypte vaut bien un tweet
Quoi qu’il en soit, Florence Parly, ministre des Armées, s’est empressée de se réjouir. « Je me félicite de la vente de 30 Rafale à l’Egypte, partenaire stratégique », a-t-elle twitté le 4 mai. « Ce succès à l’export est crucial pour notre souveraineté et le maintien de 7000 emplois industriels en France pendant 3 ans. » Quand à l’Élysée ou Bercy, c’est silence radio….
Autant dire que l’argent n’a pas d’odeur !
Rabha Attaf, Grand reporter, spécialiste du Maghreb et du Moyen-Orient.
Auteure de « Place Tahrir, une révolution inachevée », éditions Workshop 19.