Surnommés « microbes », des dizaines de jeunes déscolarisés sont montés, jeudi, en première ligne à Adjamé pour sécuriser une opération de démolition de maisons initiée dans la commune qui rencontrait l’hostilité des habitants.
Correspondance à Abidjan, Bati Abouè
Les violentes opérations de déguerpissement des populations se poursuivent à Abidjan sous la supervision de Cissé Bacongo, un cadre du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le parti présidentiel dont il est par ailleurs le secrétaire exécutif. L’année dernière, M. Bacongo a été nommé gouverneur du District d’Abidjan et, depuis cette date, il a initié une série d’opérations de démolition d’habitations qui se sont toujours terminées dans la violence.
Début juin, le déguerpissement du parc à bétail de la commune de Port-Bouët avait fait plusieurs blessés dont des policiers pris à partie par des manifestants qui avaient également mis le feu aux pelleteuses envoyées sur les lieux de l’opération. Un mois plus tard, la démolition de 40 familles dans la commune d’Adjamé, près du Plateau, a donné lieu à une bagarre rangée entre les habitants et des groupes de jeunes armés de gourdins et de pistolets.
Ce n’est pas la première fois que les « microbes », nom donné à des adolescents tueurs, font irruption sur la scène publique pour y semer des actes de violences. Durant la guerre civile de 2010, la plupart d’entre eux servaient déjà d’indics aux milices proches d’Alassane Ouattara. Ces adolescents avaient grandi dans la rue où ils passaient leur journée à agresser des passants où à vendre de la drogue pour des parrains de la pègre ivoirienne. Mais une fois la guerre terminée, ils avaient été abandonnés à leur sort par leurs chefs qui toléraient, en revanche, qu’ils puissent se livrer impunément à des actes d’agression parfois mortels.
D’ailleurs à la veille des élections de 2015, le gouvernement avait pris une loi donnant le statut d’enfants en conflit avec la loi à ces ados tueurs pour les mettre à l’abri d’une procédure judiciaire. Les autorités ivoiriennes avaient également entrepris de les réinsérer dans la société. Mais aux élections présidentielles de cette année-là, une horde d’entre eux armée de couteaux, de haches, de divers objets létaux et parfois de fusils avait surgi pour neutraliser les opposants au régime d’Alassane Ouattara en les agressant durant les marches de protestation ou en attaquant les meetings.
Le précédent de 2020
En 2020, la crise pré-électorale avait fait officiellement 85 morts et plus de 500 blessés, la plupart victimes de ces jeunes hommes. Six des personnes tuées d’entre l’avaient été à Daoukro, dans la ville natale d’Henri Konan Bédié, où un manifestant fut décapité. A Abidjan, ces jeunes qui terrorisaient les opposants étaient transportés de quartier en quartier par des minicars appelés dans la jargon local « gbaka » dont l’un de couleur vert, selon de nombreux témoignages vidéo. Mais aucun de ses occupants n’a été inquiété, l’ancien procureur de la République, Richard Adou, ayant déclaré deux mois plus tard : « je ne peux pas vous dire aujourd’hui qui conduisait le gbaka vert » tout en mettant en doute « les appels à témoin pas toujours crédibles », à ses yeux.
Le déguerpissement de la commune d’Adjamé a donné lieu à des affrontements. Les jeunes résidant dans le quartier à déguerpir ont donné du fil à retordre à leurs vis-à-vis armés de divers objets tranchants et de fusils. Mais finalement, dans l’après-midi, des dizaines de tankers de Crs et de gendarmes ont surgi pour assurer la sécurité de l’opération de déguerpissement qui est finalement allée à son terme.