Le porte-parole du parti d’Alassane Ouattara accuse le président du PDCI, Tidjane Thiam, de pratiques tribalistes pour avoir chanté un air baoulé à une manifestation, et rencontré des chefs traditionnels de cette communauté avant de faire sa première tournée l’intérieur du pays. Risquant ainsi de mettre le doigt dans l’engrenage ethnique qui avait, au début des années 2000, servi d’exutoire à l’émergence de la rébellion du nord.
Correspondance à Abidjan, Bati Abouè
En Côte d’Ivoire, le parti présidentiel puise dans ses ressources ethniques pour tenter de contrer le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), Tidjane Thiam, qu’il semble avoir désigné comme la principale menace à sa survie. M. Thiam a succédé, en septembre 2023, à Konan Bédié à sa mort en août dernier. L’ancien président était la tête de turc du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le parti présidentiel, qui sait jouer sur les peurs contre les populations du nord, et en particulier la menace ivoiritaire, pour souder ces dernières derrière le président Alassane Ouattara.
Malheureusement, Bédié est mort et son successeur s’appelle Tidjane Thiam, un homme qui a travaillé pour les institutions financières internationales autant que le président ivoirien. Thiam, 62 ans, est, au surplus, jeune et de confession musulmane. Il revendique d’ailleurs publiquement sa part de contribution dans la construction de la grande mosquée du Plateau qui était encore, avant l’érection récente de celle de Treichville grâce à des fonds marocains, la plus grande du pays.
Militants captifs
Au plan politique, la candidature de Thiam rebat surtout la carte électorale d’un pays où les lignes idéologiques se confondent parfois avec les fractures régionalistes. Ces fractures sont devenues particulièrement létales depuis l’arrivée d’Alassane Ouattara dans le paysage politique national. Dans un tel contexte, l’ancien directeur général adjoint du FMI représente le bloc nordiste face aux deux candidats chrétiens, Gbagbo et Bédié. Ce qui lui a jusque-là permis de jouer la carte supposée de l’exclusion du nord pour faire de ses populations des militants captifs de son parti.
Pour rappel, pendant la moitié des années 90, les militants du PDCI et du FPI se sont ralliés, sans crier gare, au Rassemblement des Républicains (RDR), parti d’origine du président Ouattara qui faisait de l’exclusion du nord, la substance de son action politique. Du coup, militer au RDR quand on est fils du nord est devenu un réflexe de survie communautaire. Ainsi, dans l’opinion, Alassane Ouattara devint le seul leader capable d’assurer la survie de cette région et de ses habitants. Ce qui le laissait loisible d’agiter la menace du péril bousmani (les non musulmans, ndlr), d’une part, ou la menace de l’ivoirité (politique supposée d’exclusion des nordistes des affaires de l’Etat, ndlr), d’autre part, pour souder, autour de lui, la minorité nordiste, les uns et les autres attirant, en raison de leurs affinités culturelles et religieuses, les populations non ivoiriennes de même confession religieuse qu’eux.
Thiam n’est pas du nord (discours Cissé Bacongo, décembre 2023)
Du coup, ayant affaire à un opposant musulman avec le même patronyme que celui des populations du nord, le parti présidentiel a revu son discours. Ainsi, le 10 décembre 2023, soit trois mois plus tard, le secrétaire exécutif du RHDP, Cissé Bacongo, décochait une première charge en affirmant : « Tidjane Thiam veut jouer sur deux plans. A savoir le patronyme et la région. Il veut aller au nord pour nous dire que nous sommes de la même ethnie ». Bacongo ironisait également sur le port du boubou de Thiam en assurant qu’il porte « un boubou blanc pour aller à la mosquée, mais on n’est pas la même chose ! Il ne faut pas qu’il vienne dire qu’il est du nord comme Alassane Ouattara et qu’entre lui et le président de la République, c’est bonnet banc, bonnet blanc. Ce n’est pas vrai du tout », a-t-il tenu à clarifier.
Mais depuis le 17 juillet, le parti du président Ouattara a changé d’angle de tir. Puisque son porte-parole adjoint, Touré Mamadou, par ailleurs ministre de l’emploi jeunes et du service civique, décrit désormais le nouveau président du PDCI comme un tribaliste, tout comme son parti. « Je voudrais que la presse retienne que le PDCI dans sa version actuelle est tribaliste. D’abord, le fait que le président d’honneur de ce parti réunit les cadres baoulés pour s’immiscer dans la succession en pays baoulé est la preuve que ce parti se considère comme baoulé. Ensuite, avant sa tournée politique à Soubré, le président du PDCI a réuni 300 chefs baoulé pour leur demander la route. Enfin, au début de sa campagne de candidature, M. Thiam a chanté en baoulé », a-t-il pointé.
Quid du rattrapage ethnique
Cette sortie a fait réagir le porte-parole du PDCI, Bredoumy Soumaïla, qui qualifie les propos du ministre de calomnieux. Parce que « la question de la royauté du peuple Baoulé concerne tous les Baoulé. Le président Honoraire Cowpli Boni est Baoulé avant d’être membre du PDCI », a-t-il objecté avant de rappeler que « la bénédiction des chefs de Yamoussoukro à M. Thiam relève purement d’une approche traditionnelle, qui n’est, du reste, pas l’apanage des seuls Baoulé », a-t-il expliqué.
En Côte d’Ivoire, le parti présidentiel est pourtant celui qui promeut le plus le tribalisme. Le président Ouattara a en effet nommé comme Haut représentant du président de la République le chef de son parti, Koné Kafana, qui est par ailleurs le principal fondateur de l’association des cadres du grand nord dont le but, d’un point de vue officiel, est de permettre à ceux qui ont été promus sous la présidence de Ouattara de participer au développement de cette région. Depuis le début de sa présidence, le président Ouattara revendique également le rattrapage ethnique qui est une politique qui réserve l’exclusivité des hauts postes de l’administration ivoirienne aux cadres de sa région.