Qu’est-ce qui a poussé le président ivoirien et Alassane Ouattara et le chef de la junte militaire au pouvoir au Burkina Paul Henri Damiba à monter cette opération de réconciliation au Burkina Faso qui a viré en un monumental fiasco ? On a connu le président ivoirien plus fin manœuvrier.
De gauche à droite sur la photo qui devait faire date:
Jean-Baptiste Ouédraogo, le nouveau premier président du Conseil d’Etat au Burkina; Paul Henri Damiba, chef de la junte militaire au pouvoir; Blaise Compaoré, l’ancien Président burkinabé…
Huit ans après avoir été chassé du pouvoir par la rue, Blaise Compaoré a foulé à nouveau le sol burkinabé le 7 juillet. Il est arrivé à Ouagadougou dans un avion mis à sa disposition par la présidence ivoirienne et était accompagné d’Ally Coulibaly, conseiller spécial d’Alassane Ouattara, qui ne l’a pas quitté d’une semelle. Cela montre à quel point, Abidjan a été impliquée dans ce naufrage dont personne à cette heure ne peut en mesurer les conséquences.
Une initiative à priori louable
Au départ, il s’agissait pour la junte au pouvoir, affaiblie par ses échecs politiques et sécuritaires, de réunir tous les anciens chefs d’Etat afin de montrer un visage uni et ainsi sauver le pays. Sauf que la réconciliation ne se décrète pas d’un claquement de doigt par une décision arbitraire mais est le résultat d’un long processus. Résultat : sur les cinq anciens présidents attendus, seuls deux ont répondu présents, Blaise Compaoré et Jean-Baptiste Ouédraogo. En exil au Canada, Isaac Zida n’a pas fait le déplacement. Hyacinthe Kafando s’est fait porter pâle. Dans une manœuvre dont il a le secret, Roch Marc Christian Kaboré a été empêché de sortir de son domicile par des manifestants, au premier rang desquelles figurait son épouse !
En réalité, aucun de ces trois anciens présidents là, n’avait envie de figurer sur la photo aux côtés de leur ancien ennemi qui en prime venait tout juste d’être condamné, en avril 2022, à la prison à perpétuité dans le procès Thomas Sankara.
L’état de droit aux orties
Comment les organisateurs de cette rencontre ont-ils pu imaginer que cette décision de justice pouvait-elle être foulée au pied ? Car c’est bien ce point-là qui a été la principale pomme de discorde. Dès l’annonce de l’arrivée de Blaise Compaoré connue, les avocats de Sankara et plusieurs organisations de la société civile ont demandé que l’ancien président soit arrêté. Pas question a répondu la junte qui a pondu un communiqué indiquant que le mandat d’arrêt était levé pour 24 h. Réponse cinglante des syndicats de magistrats demandant : « le nécessaire respect des décisions de justice. »
Que des perdants…
Les réseaux sociaux s’enflamment : « Tout ça pour ça, on nous a volé notre révolution », « Cher Burkinabè veuillez assister en direct, à l’assassinat de votre justice. Elle a été décapitée en plein jour, l’impunité à de beaux jours devant elle. » Face au tollé, la rencontre des trois chefs d’Etat à la présidence de Kosyam tourne au désastre. Le « beau Blaise », comme il était surnommé, a perdu sa superbe d’antan, il apparaît amaigri, affaibli, le regard infiniment triste. 48 h plus tard, il repart comme il était venu, sans qu’aucune scène de liesse n’ait accompagné son retour. Un internaute résume le sentiment général : « Félicitations, vous avez réussi à l’humilier une seconde fois, vous avez montré au monde entier un Monsieur très diminué. Nous avons vu dans cette triste mascarade la légèreté avec laquelle les autorités de ce pays traitent certaines questions qui, malheureusement peuvent faire exploser les fondements de notre nation déjà grabataire. Nous avons vu la légèreté avec laquelle ils jouent avec le tissu social déjà en lambeaux. »
En effet, l’ancien président n’est pas le seul perdant de l’histoire, Paul-Henri Damiba y perd aussi le peu de légitimité dont il bénéficiait. D’aucun ne se prive pas de lui rappeler le serment fait lors de son investiture lorsqu’il a juré de respecter l’état de droit. Alassane Ouattara déjà impopulaire à cause de ses prises de position au sein de la CEDEAO n’en sort pas grandi non plus. Quant au peuple burkinabè, il entre dans une période de plus grande incertitude, à la crise sécuritaire, s’ajoute désormais une crise politique.