Le président élu du Niger ,Mohamed Bazoum, sera investi ce vendredi dans un climat délétère (contestation post-électorale, attaques terroristes, retrait partiel de l’allié français) aggravé par une tentative de coup d’Eta fomentée par une aile de l’armée.
L’euphorie de son installation vendredi 2 avril dans le fauteuil de président de la république du Niger sera de très très courte durée pour Mohamed Bazoum. Sans même avoir eu le temps de former l’équipe qui doit l’aider à diriger le pays pour les cinq prochaines années, le nouveau président sera accaparé par la gestion de la crise post-électorale issue de la contestation de sa victoire par son adversaire du second tour Mahamane Ousmane. La coalition de l’opposition CAP 20-21, qui soutient l’ancien président Ousmane, a décidé de maintenir son mot d’ordre de marches pacifiques censées débuter le 26 mars jusqu’à « la victoire ».
A Niamey, la marche n’a pu avoir lieu en raison de la tentative de coup d’Etat perpétrée dans la nuit de mardi à mercredi. En face, le pouvoir encore aux mains du président sortant Mahamadou Issoufou a choisi de répondre aux manifestations de l’opposition par la répression. Le président de la Ville de Niamey a interdit la marche pacifique de l’opposition et fait déployer la police, la gendarmerie et la garde nationale dans les points stratégiques de la capitale nigérienne. Tout porte aujourd’hui à croire que l’investiture de Bazoum le 2 avril ne change pas la stratégie du tout-répressif laissée en héritage par Mahamadou Issoufou.
La répression stratégie aléatoire
Dans la conjoncture actuelle du pays, l’efficacité de la stratégie répressive avec arrestations d’opposants et interdictions systématiques des manifestations apparaît très aléatoire. Les attaques terroristes récentes qui ont fait plus de 250 victimes civiles sur la frontière nord-ouest commune avec le Mali (Tillabéri et Tahoua) sont venues prouver que le pays faisait face à une forte menace terroriste nécessitant la mobilisation des forces de sécurité intérieure ailleurs que pour la répression de l’opposition politique.
Aux attaques terroristes et à la crise politique est venu s’ajouter depuis mercredi matin la tentative de coup d’Etat fomentée par une aile de l’armée nigérienne. Après la confirmation officielle de la tentative une enquête a été ouverte et des arrestations ont été opérées dans les rangs de l’armée. Pour le nouveau président, cette tentative de coup d’Etat sera un héritage lourd et délicat. En effet, les développements de l’enquête sur la tentative de coup d’Etat seront déterminants sur la qualité des rapports que l’armée entretiendra avec le nouveau président qui ne jouit pas d’un préjugé favorable dans les rangs.
Changement de cap
Sur ses rapports avec l’armée et sur bien d’autres dossiers le nouveau président a compris qu’il lui faudra apporter une touche personnelle, même s’il a axé sa campagne électorale sur la continuité avec la politique de son mentor. Mohamed Bazoum a marqué un coup en promettant publiquement avant même son entrée en fonction de ne pas laisser impunies les malversations opérées sous Issoufou au ministère nigérien de la défense et dont le préjudice aux caisses de l’Etat s’évalue à près de 78 milliards de FCFA (environ 118 millions d’euros). Une bonne partie de l’opinion nigérienne et toute l’institution militaire en veulent au pouvoir du président Issoufou autant pour avoir laissé opérer ces graves détournements des deniers publics que pour n’avoir pas pris des mesures fortes lors que les malversations ont été dûment établies par des services de l’Etat. Si Bazoum réussissait à reprendre la main rien que sur ce dossier dès sa prise de fonction, il entamerait une réconciliation avec l’armée qui n’a pas digéré que les fonds affectés à la défense et la sécurité soient détournés à grande échelle alors qu’on perdait des dizaines d’hommes dans les attaques terroristes telles que celles d’Inatès en décembre 2019, de Chinagodère en janvier 2020, dans la zone des trois frontières communes au Burkina Faso, au Mali et au Niger.
Sur les rapports avec la force française Barkhane aussi, le nouveau président nigérien a semblé se démarquer de son prédécesseur en affirmant les militaires français et les armées sahéliennes avaient échoué à endiguer la menace djihadiste au Sahel. Mieux, le nouveau président n’est pas opposé à un ajustement de l’opération militaire française, à condition que la France ne retire pas la composante aérienne. Il faudra pourtant bien plus que ces nuances avec son mentor au nouveau président pour convaincre les Nigériens qu’une nouvelle page s’est ouverte le 2 avril. Ce pacte de confiance passera forcément par un inventaire sur les dix années de gouvernance de Mahamadou Issoufou. Reste à savoir si le président Bazoum en aura les moyens et la volonté.