Une nouvelle ordonnance du gouvernement du Niger établissant une base de données de personnes suspectées de terrorisme entrave les droits fondamentaux garantis par le droit national et international, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les critères d’inclusion dans la base de données, tels que définis par l’ordonnance, sont excessivement larges et prive les individus listés de leurs droits à une procédure régulière et à un mécanisme de recours adéquat. En outre, l’ordonnance met en péril la protection des données personnelles et d’autres droits relatifs à la vie privée.
Ces dernières années, le Niger a fait face à des groupes armés islamistes brutaux et abusifs opérant dans la région du Sahel. Parmi eux figurent l’État Islamique dans le Grand Sahara (EIGS) et le groupe rival affilié à Al-Qaïda, le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (Jama’at Nusrat al-Islam wa al-Muslimeen, JNIM), ainsi que Boko Haram et l’État Islamique en Afrique de l’Ouest, dans les régions de l’ouest et du sud-est.
Ces groupes armés ont concentré leurs efforts de recrutement sur les Peuls, notamment en exploitant leurs griefs contre le gouvernement et d’autres communautés. La présence disproportionnée de Peuls dans les rangs des groupes islamistes a conduit à la stigmatisation de l’ensemble de la communauté peule. Human Rights Watch a documenté que la majorité des victimes des abus du gouvernement au cours d’opérations de contre-insurrection au Niger en 2019 et 2020 étaient des civils peuls.
Un fichage attentatoire aux libertés
Le 27 août 2024, le général Abdourahamane Tiani a signé l’ordonnance n° 2024-43, établissant « un fichier de personnes, groupes de personnes ou entités impliqués dans des actes de terrorisme ». Le 6 septembre, le ministre de la Justice et des Droits de l’Homme Alio Dauda a déclaré aux médias que l’ordonnance s’inscrit dans « un cadre juridique solide, tant sur le plan national qu’international », qu’elle inclut des dispositions du Code pénal nigérien et fait écho à la résolution 1373 du Conseil de Sécurité des Nations Unies pour la lutte contre le terrorisme, adoptée après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis.
« Selon la nouvelle ordonnance de lutte contre le terrorisme au Niger, des personnes peuvent être présumées terroristes sur la base de critères vagues et sans preuve crédible », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur le Sahel à Human Rights Watch. « Le gouvernement devrait suspendre la mise en place de la base de données jusqu’à ce que les critères d’inclusion et autres dispositions se conforment aux normes internationales en matière des droits humains. »
En vertu de l’ordonnance, des personnes ou des entités peuvent également figurer dans la base de données si elles sont soupçonnées d’« infractions de nature à troubler gravement la tranquillité et la sécurité publiques » ou de « diffusion de données ou de propos de nature à troubler l’ordre public ». Des critères aussi vagues peuvent entraîner des restrictions illégales aux droits à la liberté d’expression et d’association.
Un avocat nigérien, Moussa Coulibaly, a déclaré à Human Rights Watch que cette ordonnance, « établi des standards tellement faibles que des sources d’information non vérifiées peuvent être prises en compte pour inscrire quelqu’un dans la base de données ».
Les personnes figurant dans la base de données font face à de graves conséquences, notamment l’interdiction de voyager, aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’étranger, et le gel de leurs avoirs. Elles peuvent être privées de leur nationalité nigérienne, augmentant ainsi le risque d’apatridie. Le Niger est un État partie à la Convention des Nations Unies sur la réduction des cas d’apatridie, qui interdit de priver un individu de sa nationalité si cela le rendrait apatride.