Le 15 décembre 2021 – La Cour de cassation vient de rendre sa décision dans le cadre de l’affaire opposant le géant pétrolier Total à six associations françaises et ougandaises – les Amis de la Terre France, Survie, AFIEGO, CRED, NAPE et NAVODA -, qui constitue la première action en justice sur le fondement de la loi sur le devoir de vigilance des multinationales. Clôturant près de deux ans de bataille procédurale, la juridiction suprême a donné raison aux associations en rejetant la compétence des tribunaux de commerce [1]. Alors que les violations perdurent et se multiplient sur le terrain, l’affaire va donc retourner en première instance pour être enfin examinée au fond par un tribunal judiciaire.
Après une décision du tribunal judiciaire de Nanterre en janvier 2020, qui s’était déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce, et sa confirmation en décembre 2020 par la Cour d’appel de Versailles [2], les Amis de la Terre France, Survie et leurs quatre partenaires ougandais avaient décidé début 2021 de se pourvoir en cassation, avec le soutien, sur cette question de la compétence, d’ActionAid France, du CCFD-Terre Solidaire, du Collectif Éthique sur l’étiquette et de la CFDT.
Pour les associations, la décision rendue aujourd’hui par la Cour de cassation, donnant compétence au tribunal judiciaire, est une victoire importante. La Cour a tranché en faveur des associations en reconnaissant le “droit d’option” dont celles-ci bénéficient en tant que requérantes non commerçantes [3]. En confiant l’affaire au tribunal judiciaire, cette décision permet de s’inscrire dans l’esprit de la loi sur le devoir de vigilance. En effet, cette loi a pour objectif de rendre les entreprises responsables des impacts de leurs activités sur les tiers que sont les salarié-e-s de ses filiales, fournisseurs et sous-traitants, les communautés locales ou encore l’environnement. Alors que le tribunal de commerce tire sa légitimité de la connaissance du monde des affaires, il s’agit ici d’enjeux externes, de protection des droits humains et de la planète, qui ne peuvent être réduits à un litige purement commercial.
De plus, cette décision s’inscrit dans la même logique que l’article adopté il y a peu par le Parlement dans le cadre de la loi sur la Confiance dans l’institution judiciaire – qui sera bientôt promulguée -, donnant dorénavant compétence au tribunal judiciaire de Paris pour toutes les affaires fondées sur la loi sur le devoir de vigilance [4].
Pour Juliette Renaud, des Amis de la Terre France, « Nous sommes soulagés par cette décision de la Cour de cassation, qui vient enfin clôturer près de deux longues années de bataille de procédure. Nous sommes cependant très inquiets par les délais que cette question a engendrés : pendant ce temps, selon nos enquêtes, plus de 100 000 personnes sont toujours privées totalement ou partiellement de leurs terres et de leurs moyens de subsistance en Ouganda et en Tanzanie [5]. Il y a urgence à agir, et nous espérons que la décision à venir sur le fond permettra d’ordonner à Total de prendre enfin des mesures concrètes pour faire cesser ces violations ».
Pour Thomas Bart, de Survie, « Cette décision constitue une première victoire dans la longue bataille judiciaire que nous avons engagée contre la multinationale. Nous allons enfin pouvoir nous concentrer sur le fond de l’affaire. Malgré les alertes répétées de la société civile, le projet continue d’avancer à marche forcée sans se soucier de la répression des opposants sur le terrain : nos partenaires et les membres de communautés qui osent élever leurs voix contre ce mégaprojet pétrolier font l’objet d’intimidations croissantes et les arrestations arbitraires se multiplient [6] ».
Cette décision de la Cour de cassation renvoie l’affaire au tribunal judiciaire de Nanterre, où une audience, portant enfin sur le fond de l’affaire, devrait donc se tenir dans les prochains mois