Connu pour son caractère fonceur, le maire de Koumassi, Cissé Bacongo a été promu le 27 décembre 2023 gouverneur du District autonome d’Abidjan, au grand désarroi des Ebriés à qui ce poste était jusqu’ici dévolu.
Par Z. Bati Abouè
Il faut être l’actuel président ivoirien pour ne pas tenir compte de la géographie. Le 27 décembre 2023, Alassane Ouattara a en effet signé de sa main le décret nommant Cissé Bacongo gouverneur du District autonome d’Abidjan, un poste qui était jusqu’à présent réservé aux Ebriés dont la terre a servi à bâtir la capitale ivoirienne.
Les Ebriés ou, de manière plus large les Tchamans sont des peuples lagunaires qui vivent autour de la lagune Ebrié. Ils représentent 0,5% de la population ivoirienne et sont regroupés dans 28 villages à l’intérieur de la ville d’Abidjan et de Grand-Bassam. Au début des années 2000, Laurent Gbagbo, alors opposant, promit de créer un District autonome d’Abidjan et d’en confier la gestion aux Ebriés pour les récompenser d’avoir cédé toutes leurs terres à l’Etat. Ce qu’il fit lorsqu’il fut élu en octobre 2000. La caution politique du District autonome d’Abidjan vise surtout à pousser les Ebriés à trouver les meilleures solutions à leurs propres problèmes. C’est donc ce pacte qui a été rompu par le président ivoirien avec la désignation de ce professeur d’université très proche de lui.
Cissé Bacongo n’est donc pas un Ebrié. Né en 1955 à Mankono, à 212 km d’Abidjan, dans le nord de la Côte d’Ivoire, il a toujours été un élément central du système Ouattara. Professeur de droit à l’Université d’Abidjan, Cissé Bacongo s’est occupé durant les années d’opposition d’Alassane Ouattara des affaires juridiques du Rassemblement des républicains (RDR) créé par Djéni Kobinan en 1994. C’est un homme déterminé qui ne rechigne devant rien. Les populations de Koumassi, commune qu’il dirige depuis six ans, ne le savent que trop. Cissé Bacongo a pourtant commencé sa carrière professionnelle au bas de l’échelle, travaillant comme instituteur dans les villages d’Ouragahio, une sous-préfecture qui vit naître un certain Laurent Gbagbo, le 31 mai 1945.
Dans l’opposition, cet homme a également travaillé sous divers pseudonymes dans des rédactions apparentées au parti de Ouattara avec la réputation d’un journaliste au style abrupte et très caustique. En 2000, il est nommé ministre dans le premier gouvernement d’ouverture de Laurent Gbagbo au titre du RDR. C’est le début de son ascension. Car lorsqu’Alassane Ouattara arrive au pouvoir, Cissé Bacongo est promu à la tête du département de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Bacongo rêve de reconstruire l’Université d’Abidjan mais sa gestion fait vite apparaître un trou de 40 milliards. Il reste pourtant en poste lorsque le scandale éclate. Seul son directeur financier en paie le prix. Cissé Bancongo multiplie alors les postes de ministres auprès du président de la République et se fait également élire maire de la commune de Koumassi. A la veille de 2000, c’est lui qui co-préside avec le Pr. Ouraga Obou la commission des experts chargés de rédiger la nouvelle constitution de la Côte d’Ivoire. Bacongo écume alors tous les plateaux-télé du pays pour expliquer qu’Alassane Ouattara ne briguera pas un troisième mandat, contraire à l’ancienne constitution dont les dispositions, à cet égard, sont reprises dans la nouvelle. C’est pourtant le contraire qui se produit en 2020. Le président ivoirien profite du décès inattendu de son Premier ministre, désigné pour lui succéder, pour revenir sur sa décision. Cissé Bacongo assure alors, sans craindre le ridicule, qu’Alassane Ouattara connaît le droit plus que lui.
Avec sa nomination à la tête du District, les Ebriés savent que cela va compliquer les choses pour leur communauté. Car même si Beugré Mambé, un Ebrié, a été promu Premier ministre depuis le dernier remaniement ministériel, ils ne sont pas dupes des intentions du président de la République de reprendre en main certains territoires de la commune devenus trop précieux en raison de leur proximité avec le Palais présidentiel. Et face aux échecs successifs des Ado boys face au maire PDCI, Jacques Ehouo, la carte Bacongo peut également aider à changer « le visage du Plateau » comme promettait déjà Fabrice Sawegnon, le Woodoo (sorcier en langue béninoise) de la communication d’Alassane Ouattara.