L’Algérie et la famille sont quasi toujours au centre des films d’Alexandre Arcady, Le Petit Blond de la Casbah (qui adapte son roman autobiographique éponyme, publié en 2003) ne déroge pas à la règle. Alexandre Arcady revient sans cesse sur ce hiatus traumatique qui a marqué son enfance : le départ précipité, la perte des racines, le choc entre « la vie d’avant » et « la vie d’après » l’Algérie.
Le héros et réalisateur qui revient sur sa terre natale en invité d’honneur pour présenter son film… est tout de même en permanence flanqué de deux gardes du corps sur le qui-vive, prêts à le défendre ne cas d’agression : c’est l’Algérie d’aujourd’hui.
Un film d’ Alexandre Arcady Avec Patrick Mille, Léo Campion, Marie Gillain, Pascal Elbé, Françoise Fabian, Michel Boujenah, Jean Benguigui
Une chronique de Sandra Joxe
Il y avait déjà dans sa filmographie « Coup de Sirocco » en 1979 ou bien « Ce que le jour doit à la nuit » en 2012, mais le réalisateur revient à nouveau, et d’une façon un peu différente, sur ses souvenirs d’enfance en Algérie et le traumatisme de l’arrachement au pays, suite aux « événements ».
Le propos général n’a rien de bien neuf, mais l’action se situe dans un contexte tellement épineux, celui de la guerre d ‘Algérie, tâche aveugle de l’histoire de France, qu’il suscite toujours l’émotion.
Le film évoque le retour d’un réalisateur « consacré » (incarné par Patrick Mille en clone d’Arcady) dans l’Alger d’aujourd’hui, cette ville aimée où il a grandi avec toute sa famille juive pied-noir jusqu’au début des années 60 – avant de la quitter en catastrophe.lC ’est pour le réalisateur l’occasion d’une mise en abyme et d’un jeu un peu systématique entre le présent de la réussite (la projection du film face à un public enthousiaste dans l’Alger contemporaine) et les « flash-backs » qui évoquent l’enfance perdue.
Le ton est nostalgique : autant d’anecdotes pittoresques, de souvenirs qu’on imagine un peu idéalisés de la casbah de son enfance et des ses habitants : juifs, arabes, chrétiens – vivant globalement en (très) bonne intelligence.
Le héros débarque donc avec son fils pour y présenter son nouveau film, qui évoque sa jeunesse passée dans la ville blanche : le quotidien plutôt heureux d’un petit garçon blond, flanqué d’une chaleureuse smalah familiale et d’amitiés solides, avec les enfants juifs comme avec les petits arabes ou les élèves de l’école chrétienne où ses parents l’ont inscrit.
S’il n’y avait pas les tensions récurrentes, causées par les velléités indépendantistes montantes, le tableau serait idyllique, nimbé de la lumière solaire d’Alger la blanche. Mais l’insouciance enfantine est battue en brèche par les explosions, les attentats et l’inquiétude parentale qui en découle. Même si les tensions demeurent toujours évoquées de façon rapide, quasi en toile de fond, elles sont présentes et plombent la légèreté apparente de la narration, comme un rappel au réel.
Une violence qui n’a pas disparu, évidemment.
Hymne à la tolérance
La « Petit Blond de la Casbah » se contente d’une mise en scène très conventionnelle et son propos évite soigneusement les sujets qui fâchent. Sa limite mais aussi son atout. Sa sortie en ce bien sombre mois de novembre, en pleine tragédie du conflit au Proche Orient, peut se révéler comme une message de tolérance et de paix.
Car le réalisateur insiste dans son film sur les rapports d’amitié et de profonde complicité, de solidarité même, entre tous les habitants d’une casbah métissée : les enfants juifs, catholiques et arabes se retrouvent sur les mêmes bancs d’écoliers, jouent dans les mêmes cour de récré, vibrent devant les mêmes films, sont friands des mêmes douceurs…
La cohabitation multi culturelle et multi fonctionnait à petite échelle, à l’échelle des rapports inter-individuels, c’est une réalité incontestable sur laquelle Arcady à raison d’insister… comme il l’a toujours fait
Naissance d’une vocation
Mais ce qui distingue ce film des précédents films plus ou moins autobiographiques du réalisateur, c’est qu’il y raconte la naissance de sa passion pour le cinéma. Une scène est emblématique à cet égard : celle ou le « petit blond de la casbah », Antoine (Léo Camion, craquant) découvre la magie du 7 ème art .Bien calé dans son fauteuil il pleure à chaude larmes en regardant « Jeux Interdits » alors que dehors, dans les rues d’Alger c’est aussi la guerre, et la vraie !
Tandis que le gamin compatit, hypnotisé par l’écran, avec la jeune Brigittte Fossey dont les parents viennent de mourir sous les bombes, toute la salle de projection se vide de ses spectateurs car dehors, dans les rues d’Alger, c’est déjà la guerre, et pour de vrai !
Une explosion à la voiture piégées vient de causer la mort de plusieurs victimes.
D’une guerre à l’autre, de la fiction cinématographique à la réalité de la rue : l’enfant est confronté à la violence tous azimuts. Et son amour pour le cinéma, déclenché lors de cette scène inaugurale, lui offre probablement la seule évasion possible : celle de la fiction, même triste, comme un refuge, une échappatoire. D ‘autres découvertes cinématographiques le confortent ensuite dans son envie de faire du cinéma : notamment celle de Brigittte Bardot dans « Babette s’en va en guerre » (sorti à Alger en 1959). Naissance d’une vocation…
Le film s’attache à mettre en scène de la volonté (plus ou moins contrariée par l’incompréhension parentale) d’Antoine de faire du cinéma, de devenir cinéaste.
N’est pas Steven Spielberg qui veut
Le film d’Arcady, qui se contente d’enfiler les anecdotes émouvantes et légères, n’atteint pas la complexité et la profondeur de « The Fabelmans » chef d’œuvre récemment sorti, sur le même sujet : un enfant (un « petit juif » dans les deux cas) toqué de cinéma qui deviendra réalisateur malgré les obstacles sociaux-familiaux.
Le film d’Arcady est bon enfant, tant au niveau de son message que de sa réalisation un peu paresseuse qui se contente d’enregistrer des saynettes dans le décor toujours aussi cinégénique d’Alger, la ville blanche, forcément blanche.
Du soleil, de la chaleur humaine, de la générosité, des sentiments intenses, parfois tragiques mais toujours enrobés de tolérance malgré le conflit qui gronde et bientôt émerge, provoquant le départ précipité de toute la famille : on connaît la recette !
Ajoutez y une floppée d’acteurs au ton juste, une pincée d’humour, beaucoup d’amour et les terrasses sur la grande bleue : voilà qui donne un film chaleureux, enjoué, sympathique aux allures de téléfilm distrayant, à voir avec plaisir en cette fin d’année glaciale et glaçante.
Sandra JOXE