Selon Dalia Ghanem, auteure du livre « Understanding the Persistence of Competitive Authoritarianism in Algeria”, le régime politique algérien repose sur cinq piliers qu’il utilise selon les circonstances du moment : l’armée (chapitre 2), la cooptation de l’opposition (chapitre 3), la fragmentation de la société civile (chapitre 4), la distribution de la rente (chapitre 5) et la répression (chapitre 6).
Un article d’Arezki Ighemat (Master of Francophone Literature (Purdue University, USA)
Les cinq piliers du régime politique algérien
L’armée nationale populaire (ANP), héritière de l’Armée de Libération Nationale (ALN) a libéré le pays du joug colonial français. L’auteure considère que l’armée algérienne est la véritable détentrice du pouvoir en Algérie et que le gouvernement et l’Assemblée Nationale ne sont que sa façade. Elle passe en revue le rôle joué par l’armée depuis l’indépendance successivement sous les règnes de Ben Bella, Boumediene, Chadli Bendjedid, le HCE (Haut Comité d’Etat, sous Boudiaf), Zeroual, Bouteflika et aujourd’hui Tebboune.
Premier pilier : l’armée algérienne
Comparant le rôle de l’armée pendant les règnes de Ben Bella et Boumediene, elle écrit, « If, under Ben Bella, the army participated in power, under Boumediene, it took power » (Si, sous le régime Ben Bella, l’armée participait au pouvoir, sous celui de Boumediene, elle avait pris le pouvoir). Depuis, selon l’auteure, l’armée est devenue l’entité qui prend les décisions politiques majeures en Algérie, le gouvernement (et le Parlement) ne faisant qu’entériner et appliquer ces décisions. Elle dit que c’est l’armée qui fait et défait les gouvernements : « En sept ans, l’armée a démis trois chefs d’Etat : Chadli Bendjedid en 1992, Ali Kafi en 1994, et Liamine Zeroual en 1999 » et, bien entendu, Bouteflika dans la foulée du Hirak de 2019. Elle dit que, pendant l’ère Bouteflika, les relations entre l’armée et le Président n’étaient pas toujours bonnes et que Bouteflika avait réussi, dans une certaine mesure, à confiner l’armée dans les casernes.
Comme exemple des tensions qui existaient entre les deux institutions, Ghanem cite les mots que Bouteflika avait prononcés lors du ‘Crans Montana Forum (une organisation non gouvernementale de promotion des relations internationales et de la paix) ayant eu lieu dans la ville touristique de Crans Montana en Suisse en juillet 1999. Dans son discours, le Président prétendait qu’il était le seul à détenir le pouvoir en Algérie : « Je suis le représentant du peuple algérien, et aucune institution de la République ne peut mordre une partie de mon pouvoir, y compris l’armée nationale populaire. Je suis l’Algérie toute entière. Je suis la personnification du peuple algérien. Par conséquent, dites aux généraux de me ‘bouffer’ s’ils peuvent » (notre traduction). L’auteure dira que, en dépit de ce rapport de force entre l’armée et le DRS (Direction des Renseignements et de la Sécurité), d’une part, et le Président Bouteflika, d’autre part, l’armée a finalement eu gain de cause pusqu’elle l’a poussé à démissionner en 2019 en pleine crise du Hirak. Ghanem souligne aussi que le peuple, quant à lui, a une position quelque peu ambiguë en réclamant à la fois un pouvoir civil et la fraternité entre l’armée et la population. Ce paradoxe est symbolisé notamment par les deux slogans contradictoires clamés par les hirakistes : « Dawla madania, machi ‘askariya » (Gouvernement civil, non militaire) et « Djeich-Chaab, khawa, khawa » (Armée-Peuple, Fraternité, Fraternité).
Le deuxième pilier : la cooptation de l’opposition
Dans le chapitre 3, intitulé « Hyperpluralism and co-optation : the secrets behind turning the opposition into a pillar of the regime” (L’hyperpluralisme et la cooptation : les secrets derrière l’institution de l’opposition comme pilier du régime), Dalia Ghanem commence par rappeler les réformes de 1989 ayant abouti à mettre fin à l’hégémonie du système de parti unique (FLN) et à créer un multipartisme, augurant de la marche de l’Algérie vers la démocratie. Elle dira, cependant, que cette ouverture démocratique a été momentanée et circonstancielle et qu’elle n’a pas créé un multipartisme authentique.
L’auteure dit que « Dans le cas de l’Algérie, l’établissement d’élections multipartistes permet au régime de projeter vers le monde une image d’ouverture, mais, en même temps, de coopter les partis politiques indépendants ». Elle explique les réformes de 1989 en disant : « La ‘glasnost’ de 1989 entamée par le pays et sa mise en application ultérieure par la politique des partis doit être comprise dans le contexte de la perte, par le régime, de sa légitimité et par l’utilisation de ce stratagème pour se maintenir au pouvoir ». Elle ajoute : « The partis are still meant to strengthen the regime and not to challenge it” (les partis sont supposés renforcer le régime et non le défier). Les partis, selon l’auteure, ont pour but de fournir au régime une « légitimité électorale ». Citant Lahouari Addi, elle dira que « opposition parties are the regime’s fig leaf » (les partis d’opposition sont la feuille de figuier du régime », c’est-à-dire le moyen utilisé par le régime pour dissimuler la réalité du pouvoir. En même temps qu’il présente aux Algériens et au monde une façade démocratique symbolisée par l’hyper-multipartisme, le régime a toujours coopté les partis pour les rallier à ses causes et réduire leur capacité de nuisance.
Le troisième pilier : la fragmentation de la société civile
Dans le chapitre 4 portant le titre de « Divide and Conquer : the atomization of civil society » (Diviser pour régner : l’atomisation de la société civile), Dalia Ghanem rappelle que, à l’instar des partis politiques, les associations de la société civile se sont multipliées suite aux réformes de 1989 : de 13 000 en 1991 à 92 627 en 2011. Comme dans le cas des partis politiques, cette floraison d’associations civiles de toutes sortes n’est que le moyen, pour le régime, de présenter une image démocratique et de se légitimer : « Le régime a ouvert le champ politique en vue d’améliorer sa légitimité nationalement et son image sur le plan international, mais il a pris les précautions de calibrer cette ouverture de sorte à ne pas perdre son pouvoir de façon significative ». L’auteure ajoute : « The regime let CSOs [Civil Society Organizations] multiply but not prosper, keeping the associative sector on a tight leash” (Le régime a laissé les organisations de la société civile foisonner tout en les maintenant sous une laisse étroite).
Ghanem dit aussi que le régime utilise plusieurs moyens pour contrôler le fonctionnement de ces associations et s’assurer qu’elles ne s’érigent pas en véritables pôles d’opposition. Parmi ces moyens, elle cite : le financement des associations, leur cooptation et la division et répression, quand les autres moyens ne réussissent pas à contrôler leurs agissements. Elle dira que, grâce à ces moyens, le régime a fait de ces associations son relai : « L’instrumentalisation des OSC (Organisations de la Société Civile) à des fins politiques a fait de plusieurs d’entre elles une extension de l’Etat et un pont grâce auquel son appareil administratif redistribue les revenus du pétrole à ses anciens et nouveaux réseaux de clientèle ». Dalia Ghanem dit que le régime utilise un autre moyen—le ‘cloning’—pour empêcher que certaines associations deviennent trop puissantes et présentent un défi contre lui. Le ‘cloning’ consiste à créer, à côté des associations « indépendantes », des associations parallèles auxquelles il promet un support financier appréciable et auxquelles il assigne pour mission de saper les velléités d’autonomie des associations originelles. Ce moyen a été utilisé notamment pour saper les associations de défense des droits de l’homme et les syndicats de travailleurs. Ces associations ont aussi été utilisées, selon l’auteure, pour réduire l’influence des partis politiques : « Le champ associatif a évolué pour constituer une sorte de réservoir dans lequel le régime coopte des individus et les nomme à des postes de l’Etat sans avoir à faire appel à des partis politiques de plus en plus discrédités ».
Le quatrième pilier : la redistribution de la rente
Le chapitre 5, dont le titre est « A controlled economic liberalization » (une libéralisation économique contrôlée), analyse le rôle de la redistribution de la rente pétrolière comme pilier utilisé par le régime pour s’assurer un soutien toujours renouvelé et garder les rennes du pouvoir. Le régime utilise, selon l’auteure, les revenus du pétrole selon les circonstances et le degré de loyauté ou de défiance des partis et des associations.
Le régime fournit un financement substantiel aux forces politiques et associations qui le supportent et, à l’inverse, arrêtent de financer celles qui se retournent contre lui. L’auteure écrit à ce sujet : « La rente pétrolière reste le moyen par lequel le régime achète la paix sociale, s’assurer de leur allégeance et aider en même temps le système à se perpétuer ». De ce point de vue, la Sonatrach, l’entreprise nationale de production et d’exportations des hydrocarbures, est la source principale de ces ressources. Citant Miriam R. Lowi, l’auteure écrit : « Sonatrach est devenue quelque peu la vache [à lait] sacrée de l’économie algérienne et ceux qui la gèrent sont devenus virtuellement des intouchables » (Miriam R. Lowi, Oil Wealth and the Poverty of Politics : Algeria Compared » (Cambridge University Press, 2009, p.90, citée par Dalia Ghanem, op. cit, p. 115). Ghanem lie la redistribution de la rente à un autre phénomène qui gangrène le système algérien et qui s’est érigé en système de gouvernance : il s’agit de la corruption. Citant Mohamed Hachemaoui, elle dira : « Corruption in Algeria is neither sectorial nor accidental; it is a system of governance” (Mohamed Hachemaoui, La corruption politique en Algérie : l’envers de l’autoritarisme, Esprit 375 (6), pp. 111-135, cité par Dalia Ghanem, op. cit, p. 137).
Liant la corruption à la cooptation, Ghanem dira : « En vérité, la corruption est utilisée pour rémunérer la loyauté des personnes envers le régime, à compromettre la compétition et à affaiblir l’opposition ». L’auteure ajoute que la corruption a touché des pans entiers de la société algérienne et non uniquement son sommet : « Corruption is deeply ingrained in the political system and the judicial system » (la corruption est profondément enracinée dans le système politique et le système judiciaire algérien). Elle cite, pour justifier cela, le slogan des hirakistes en 2019 et 2021 : « Klitou l’blad ya Serrakine » (Vous avez bouffé le pays, Voleurs !).
Le cinquième pilier : la répression
Le cinquième et dernier pilier sur lequel repose le système algérien, selon Ghanem, est la répression. L’auteure dira que le régime algérien adapte ses stratégies aux circonstances et à la nature des protestations populaires. Selon elle, le régime utilise alternativement, ou en combinaison : la politique d’usure [attendre que le mouvement protestataire s’affaiblisse], la tolérance [laisser les protestataires manifester], les concessions [incrimination et emprisonnement des membres du clan Bouteflika en 2019], la répression à basse densité (« low-density repression [arrestation et harcèlement des manifestants]. Elle dira que les méthodes de répression—qui ont été apprises chez le colonisateur français pendant la lutte de libération nationale—sont ensuite appliquées pour mettre fin aux protestations populaires : « The newly independant state would use the same methods used by the French colonizer : killing opponents, silencing intellectuals, and depriving the people of their freedoms » (L’Etat nouvellement indépendant utilise les mêmes méthodes que celles employées par le colonisateur français : assassiner les opposants, obtenir le silence des intellectuels, et restreindre les libertés du peuple).
Ghanem analyse ensuite les formes de violence et de répression utilisées par les différents gouvernements depuis l’indépendance jusqu’au hirak de 2019. Pour l’auteure, l’utilisation de la répression est justifiée par le régime en invoquant l’unité et la cohésion nationales : « Under the pretense of of preserving national unity, society was closely monitored and repressed » (Sous le prétexte de la préservation de l’unité nationale, la société était étroitement surveillée et réprimée). Ghanem dira que la répression a pris plusieurs formes, allant de la violence physique à des formes de répression mentale : « La violence contre la société, au-delà de sa forme physique, a pris d’autres formes symboliques : l’imposition d’une Histoire fictionnelle et d’une identité unique ». Elle poursuit en disant : « Des pans entiers de l’Histoire furent effacés et les autorités algériennes mettent en exergue uniquement la guerre contre les Français qui est sublimée et idéalisée ».
Toujours selon l’auteure, l’Histoire fictionnelle que le régime s’efforce de vendre au peuple algérien est basée sur trois mythes fondateurs : (1) il n’y a pas d’Histoire, stricto sensu, avant 1954 ; (2) l’existence d’un peuple homogène uni derrière les FLN/ALN, utilisant le fameux slogan « Un seul héro, le peuple » ; et (3) une révolution contre les Français entreprise par les paysans algériens.
L’auteure dira encore : « Après l’indépendance, l’iconographie des personnalités historiques a été falsifiée, réajustée et réadaptée pour se conformer aux normes du nationalisme algérien ». Elle cite le cas de la diversité culturelle qui a été ignorée pendant longtemps : « While Algerian cultural identity—with its Berber, Arab, Turkish, and French dimensions—is rich and complex, the Algérian leadership rode roughshod over this diversity in the name of homogeneity” (Alors que l’identité culturelle algérienne—avec ses composantes Berbère, Arabe, Turque et Française—est riche et complexe, les dirigeants algériens ont complètement ignoré cette diversité au nom de l’homogénété). L’auteure parle aussi de la violence des autorités contre les membres du FIS pendant la « Décennie Noire » des années 1990. Durant cette période, Ghanem dira que les autorités ont utilisé la torture pour obtenir des informations des détenus : « Torture was a tool to obtain crucial information and a means of intimidating entire segments of the population » (La torture était un outil qui permettait d’obtenir des informations cruciales et un moyen d’intimider des pans entiers de la population). Ghanem dira que ce sont toutes ces pratiques qui ont poussé le peuple à sortir dans la rue depuis l’indépendance jusqu’au hirak : « Le mépris des leaders algériens envers leur peuple et le dégoût de ce dernier envers eux ont conduit des centaines de milliers d’Algériens à sortir dans la rue en février 2019 et à poursuivre leurs manifestations ». L’autre forme de répression utilisée par le régime, selon l’auteure, est constituée par le système légal : « The authorities also used the legal system to arrest activists or place them in long-term pretrial imprisonment on false charges » (Les autorités ont aussi utilisé le système légal pour arrêter les activistes et les placer dans un imprisonnement pré-judiciaire à long-terme, les accusant de faux crimes).
Survivre, jusqu’à quand
Dans la conclusion de son ouvrage, Dalia Ghanem souligne que l’étude de la manière avec laquelle le régime algérien a fait face à tous orages politiques, sociaux et économiques depuis plus de 60 ans est très instructive. Elle dit que, en dépit de toutes les crises auxquelles il a eu à faire face depuis 1962 jusqu’au hirak de 2019, le régime a été en mesure d’adapter ses politiques aux changements intervenus aux niveaux national, régional et international et de se maintenir au pouvoir : « This system has produced, renewed, reactivated, and refined strategies to sustain itself » (Ce système a produit, rénové, réactivé, et raffiné ses stratégies pour se maintenir ».
Elle dira que le régime dispose de moyens solides pour résister à tous les vents qui peuvent souffler contre lui en Algérie ou en dehors : « Algeria’s leadership has a robust and forceful state machinery that can easily stifle opposition protests » (Le leadership algérien dispose d’une machinerie robuste, unifiée et énergique capable de faire face aux protestations).
Elle cite quatre facteurs qui, selon elle, laissent à penser que le régime algérien s’oriente vers un système de plus en plus autoritariste. Ces facteurs sont : (1) des institutions étatiques autocratiques, notamment l’armée et le système judiciaire ; (2) ; les divisions au sein de l’opposition et de la société civile ; (3) la capacité décroissante du régime à acheter la paix sociale suite aux défis financiers, notamment ; et (4) l’incapacité croissante du régime à être soutenu socialement et politiquement. L’auteure dira que si le régime a pu défier tous les mouvements de protestations depuis l’indépendance, y compris le Hirak de 2019 et 2021, il ne pourra pas le faire indéfiniment. Elle termine son livre en disant : « En vue de survivre, ou en tous cas, de survivre sans avoir à combattre contre son peuple, le régime—qui est habitué à vendre des changements cosmétiques et les faire passer comme changements fondamentaux—devra faire face à la nécessité d’instituer de réelles réformes ».
Il est bien entendu qu’une revue d’ouvrage comme celle que nous venons de faire ne peut donner que les éléments essentiels de l’ouvrage de Dalia Ghanem. En effet, l’auteure donne, dans son livre, plusieurs anecdotes, faits et chiffres qu’il n’est pas possible de reprendre ici de façon exhaustive, mais qui ajouteraient à sa compréhension. Ce qui est certain, c’est que les lecteurs qui sont intéressés par l’Histoire politique de l’Algérie ont tout intérêt à lire l’ouvrage de Dalia Ghanem.
Je m’étonne que le Dr Arezki Ighemat, que j’ai connu brièvement comme économiste du temps de « l’Union des Économistes Algériens » puisse accepter de mêler son nom à un livre aussi superficielle et bas de gamme tellement il parait écrit par un observateur d’une autre planète, n’ayant jamais connu l’Algérie. Que de stéréotypes !!!!
l’Algérie dans ses moments les plus délicats est beaucoup plus que cela. Certes nous vivons des difficultés à plusieurs niveaux et depuis longtemps.
Mais nous y sommes libres et heureux, loin de ce que vous semblez rapportez dans ce livre comme ragots, radotages et mensonges voulant être pris comme des « analyses ». Nous n’avons, heureusement, ni Saint Denis, ni Lepen, ni l’ex cadre des Rotshilds qui siphone par sa politique anti sociale son pays aux bénéfices des entreprises délocalisées du MEDEF et aux lobbys financiers multiples qui le soutiennent.
»Ce qui est certain, c’est que les lecteurs qui sont intéressés par l’Histoire politique de l’Algérie ont tout intérêt à lire l’ouvrage de Dalia Ghanem ». D’après cette phrase, ça parle de lecteurs intéressés en général. Il n’est pas précisé qu’il soit Algérien, Français ou extra-terrestre. « Les Algériens libres et suffisamment informés » ne sont pas particulièrement concernés. Amicalement.
Je lis : »Ce qui est certain, c’est que les lecteurs qui sont intéressés par l’Histoire politique de l’Algérie ont tout intérêt à lire l’ouvrage de Dalia Ghanem ».
J’aimerais savoir combien on vous paie pour orienter la lecture des algériens.
Les algériens sont libres et suffisamment informés et vous ne pouvez pas les manipulez.