Le choc de la peinture de Sally Gabori, artiste universelle (d’origine aborigène)

Considérée comme l’une des plus grandes artistes contemporaines australiennes de ces deux dernières décennies, Sally Gaborit, d’origine aborigène, ne commence à peindre en 2005 que vers l’âge de 80 ans avant de s’éteindre dix années plus tard. L’exposition de la fondation Cartier à Paris présente une grande partie de ses œuvres, aux couleurs vibrantes, sans attache apparente avec le reste de la peinture aborigène contemporaine.

Une exposition de la Fondation Cartier jusqu’au 6 novembre 2021

L’essentiel de l’article, signé Nicolas Beau, est puisé dans l’excellente présentation de la Fondation Cartier

 

Mirdidingkingathi Juwarnda Sally Gabori a débuté sa carrière de peintre à 80 ans

Sally Gabori  est née vers 1924 dans une petite crique au sud de l’île de Bentinck au Nord de l’Australie. Son nom originel, Mirdidingkingathi Juwarnda, est issu de la tradition kaiadilt qui veut que chacun soit nommé en fonction de son lieu de naissance. Son « totem » de conception est « Juwarnda », « le dauphin ».

 Cette grande artiste appartient au dernier peuple côtier de l’Australie aborigène, les Kaiadilt, à être entré durablement en contact avec les colons européens lorsque les Presbytériens, au début des années 1940, tentèrent de les convaincre de rejoindre leur mission. Ce que soixante trois survivants du peuple Kaiadilt, dont Sally Gaborit, feront finalement, la mort dans l’âme, après un terrible cyclone qui les privera de toute nourriture

Nyinyilki, 2010, peinture synthétique sur toile de lin

.À Nyinyilki, sur la côte sud est de l’îsle, se trouve un lagon doudou de Juju et de nénuphars, d’où se dégage une atmosphère douce et humide. Issu d’un bras mort d’une rivière ou d’un cours d’eau, cette étendue d’eau est aussi appelé Billabong, typique des paysages australiens.

La mer, dans ces différents tons de bleu, est morcelé par un vaste système de pièges à poissons construits sur les pourtours de l’île dont les femmes assuraient jadis l’entretien. Autant de traits noirs qui tranchent avec les couleurs pastel des paysages.

Thundi, 2010

En apparence abstraite, sa peinture célèbre les différents lieux de son île natale. Sally Gaborit n’a pas revu ces paysages depuis tant d’années. Ils constituent autant de références topographiques et de récits. Leur signification est essentielle pour elle, pour sa famille, et pour son peuple. Aucune vie en dehors de cette matrice nourricière. L’horizon en est illimité, mais d’une totale liberté, comme le trait et la couleur jetés par l’enfant sur une feuiile blanche.

Le plus surprenant dans les 2000 toiles peintes en neuf ans est le formidable équilibre des forces, la structuration dans l’espace des blocs colorés, la légèreté et la fluidité de la composition.

C’est comme si le surgissement d’un passé enfoui comme un trésor dans la mémoire de ce peuple avait libéré une énergie intacte!.

« Voici ma terre, ma mer, celle que je suis » Sally Gabori

« Des toiles collaboratives »

À ses débuts, Sally Gaborit travaille sur des toiles de petits formats qu’elle exécute avec un pinceau fin et des couleurs non diluée. Dès 2007, elle change d’échelle pour des toiles monumental atteignant jusqu’à 6 m de long avec d’autres femmes artiste, dans ses sœurs et nièces. Ainsi l’île Makarrki et celle de son frère aîné connu sous le nom de « Roi Alfred ». Lequel était en fait le chef principal de la communauté Kaiadilt avant leur exode.

Extrait de « Sweers Island » 2008. Le rouge des plages calcaires
Extrait de « Sweers Island » 2008. Les pièges à poisson

Au rez-de-chaussée, on découvre un ensemble de toiles collaboratives réalisé avec d’autres artistes kaiadilt . Ces peintures rappellent d’avantage, par leurs couleurs éclatantes, la peinture arborigêne traditionnelle : le bleu de la mer, le rouge des plages calcaire, ou encore ces croissants transparents qui sont autant de pièges tendus aux poissons sur un bleu éclatant.

Sally Gabori parmi ses « co-peintres » est la deuxième à partir de la droite

Vers la fin de sa carrière, Saly Gabori peindra avec ses filles Amanda et Elsie

Extrait de « Sweers Island, 2008. Le bleu de la mer indépassable

L’ultime reconnaissance

La cour suprême du Queensland commande à Sally Gaborit la réalisation d’une peinture murale en 2011. Un des lieux emblématiques du système qui a dénié tous leurs droits aux aborigènes pendant deux siècles affiche désormais la reconnaissance de la culture Kaiadilt

 

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)