Plus de cent mille personnes se sont pressées dans le stade de la Cité sportive de Beyrouth – ou dans les ruelles alentour -, le dimanche 23 février 2025, afin de rendre un dernier hommage à Hassan Nasrallah. L’ancien secrétaire général du Hezbollah avait été tué en septembre 2024 dans le bombardement par l’aviation israélienne de son QG de la banlieue sud de Beyrouth.
Augustin Lempereur
C’est la preuve que le mouvement islamiste chiite est loin d’être mort et qu’il restera une composante politique importante sur l’échiquier libanais. Si certains rêvent d’un retour à un Liban sans le Hezbollah, comme on en avait un au tout début des années 1980, ils se trompent. Qu’on le veuille ou non, le Hezbollah continue à être la première formation politique chez les chiites, lesquels représentent au moins 30% de la population libanaise.
Mais la milice n’a-t-elle pas pris des coups très forts de la part de Tsahal depuis qu’elle a pris le parti du Hamas, le 8 octobre 2023 ? En trois étapes – beepers piégés, talkie-walkies qui explosent, invasion du sud-Liban, l’armée israélienne a en effet réussi à décapiter les principaux dirigeants militaires et civils du parti de Dieu. Au Moyen-Orient, on se souviendra de l’année 2024 comme celle d’un affaiblissement historique du Hezbollah. Dans son combat contre les envahisseurs israéliens de décembre 2024, le Hezbollah a beaucoup moins bien réussi qu’il ne l’avait fait contre ceux de juillet-août 2006. Tsahal a beaucoup progressé dans la guerre asymétrique et les combattants du Hezbollah, amollis par le business et le trafic de drogue, ont beaucoup régressé en qualité.
L’aura du Hezbollah intacte
Il est clair que le Hezbollah n’est plus, au Proche-Orient, la puissance militaire redoutée qu’il fut de 2006 à 2023. Israël n’a plus peur de lui, surtout depuis que la Syrie est tombée aux mains de Frères musulmans sunnites proches de la Turquie. Comme l’axe chiite qui allait de Téhéran jusqu’aux plages de la banlieue sud de Beyrouth, a été coupé par les hommes du Syrien al-Chaara à la fin du mois de novembre 2024, et que Tsahal tient les mers et les airs, le mouvement chiite ne peut plus être ravitaillé depuis l’Iran. Il a perdu son pouvoir dissuasif contre Israël. Il n’est plus une arme importante pour la théocratie iranienne.
Si le Hezbollah a perdu une partie de sa force militaire, il a gardé son aura. La communauté chiite lui a pardonné ses défaites militaires, estimant que se battre contre Israël, c’est en fait se battre contre les Etats-Unis d’Amérique. Hassan Nasrallah a gardé intacte sa popularité chez les « déshérités » chiites.
Le Hezbollah va rester important dans la politique libanaise, car les chiites estiment que ce parti leur a redonné leur fierté, en les mettant sur un pied d’égalité avec les chrétiens et les sunnites, qui se partageaient le pouvoir depuis l’indépendance du Liban en 1943.
Le Hezbollah émasculé
Le Hezbollah va rester important, mais il ne pourra plus dicter sa loi aux politiciens libanais, comme il le faisait depuis son coup de force anti-sunnite à Hamra le 7 mai 2008. La réalité est que les accords de Doha du 25 mai 2008 sont caducs, qui donnaient un droit de veto au Hezbollah sur toutes les décisions stratégiques de l’Etat libanais.
Le fait que le général Joseph Aoun ait été, le 9 janvier 2025, élu président de la République par le Parlement libanais, montre que le Hezbollah a bel et bien perdu son pouvoir de veto. Le mouvement chiite souhaitait en effet que son vieil ami maronite Souleymane Frangieh accède à la magistrature suprême. Au Liban, le président de la République est toujours un chrétien maronite.
Affaibli militairement mais toujours populaire chez les chiites libanais, le Hezbollah a perdu son rôle de cimeterre de la théocratie iranienne sur les rivages de la Méditerranée. Mais l’occasion lui est donnée aujourd’hui de se transformer en grand parti politique, afin de s’installer définitivement dans la vie institutionnelle du Pays du Cèdre. Si les Iraniens, patrons historiques du Hezbollah, sont assez intelligents pour répondre positivement à l’envie de deal que le président Trump souhaite faire avec eux – l’option qu’on qualifie de « big bargain » depuis 2005 -, la démilitarisation du Hezbollah ira de soi. La démographie aidant, le parti chiite pourra ensuite envisager de devenir d’ici dix ans le premier parti politique au Parlement libanais.
ENCADRÉ, DES RÉACTIONS ISRAÉLIENNES TRÈS NÉGATIVES AUX FUNÉRAILLES DE NASRALLAH
Des réactions israéliennes ont fusé, dimanche, simultanément avec les funérailles de l’ancien secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah et de Hachem Safieddine, tenues dans la banlieue sud de Beyrouth.
Le ministre israélien de la Défense, Israël Katz, a déclaré que “les avions de chasse qui survolent Beyrouth envoient un message clair: quiconque menace et attaque Israël connaîtra la mort”.
Dans un message publié sur X, le ministre israélien des Affaires étrangères, Gideon Saar, a observé que “les images des funérailles de Nasrallah illustrent le choix auquel le Liban se trouve confronté: soit rester sous l’occupation iranienne représentée par le Hezbollah, soit emprunter la voie de la libération et recouvrer sa liberté”.
Réagissant à son tour sur X, le porte-parole arabophone de l’armée israélienne, Avichay Adraee, a estimé que ces funérailles “n’étaient pas un simple adieu, mais bien une démonstration de force et l’affirmation d’une identité propre, où les drapeaux libanais étaient éclipsés par les étendards du Hezbollah et des milices iraniennes, comme si l’État libanais n’avait jamais existé”.